Samir Amin : un prophète renié par les siens !
L’Afrique et l’hémisphère Sud en général viennent de perdre un érudit. Un des derniers templiers du combat de l’altermondialisme. Un des derniers alliés et théoricien du nouvel ordre économique international. Samir Amin a cassé sa pipe le 12 août dernier à Paris.
Economiste du développement, l’Egyptien a été de plusieurs combats et le demeure à travers son œuvre. Anticapitaliste, il s’est opposé au libéralisme sauvage. Il s’est employé dans ses écrits à mettre l’homme au-dessus du marché et donc du capital. Il fut l’un des plus invétérés critiques du système de Bretton Woods. Salué et reconnu pour l’influence de ses thèses sur les mutations en faveur du développement (Cnuced, Pnud), les propositions du père de la déconnexion et cofondateur de la dépendance ont toujours gêné. Nombreux parmi ses pairs vont honnir ses thèses. Ce qui l’éloignera des récompenses individuelles comme le prix Nobel d’économie.
Snobisme africain
En Afrique, la disparition de Samir Amin laisse de marbre plusieurs leaders politiques et économiques. Comme en témoigne le silence assourdissant de l’Union africaine, de certaines de ses institutions spécialisées et de 98% des dirigeants. L’homme se définissait comme un «animal politique» qui ne peut pas séparer sa trajectoire, sa réflexion intellectuelle de ses combats et options politiques. Et, c’est là la pomme de discorde avec une certaine Afrique: celle de la décision.
Dans ses œuvres, l’économiste affirme que le capitalisme et l’impérialisme sont incarnés par la Triade Etats-Unis, Japon et Union européenne. Ils ont pour instruments (militaires, économiques et financiers) l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Cette triade possède cinq monopoles (armes de destruction massive, système de communication de masse, système monétaire et financier, technologies et accès aux ressources naturelles) qu’elle veut conserver à tout prix. Les guerres d’agression contre les peuples, les menaces contre d’autres pays souverains, les interventions de l’Otan sous la direction de l’armée des Etats-Unis, la prétendue guerre «contre le terrorisme», l’établissement des quartiers généraux en Afrique, sont autant de moyens pour préserver son hégémonie.
Héritage
Frantz Fanon, vaillant combattant de la cause noire, assertait: «chaque génération doit, dans une relative opacité, trouver sa mission, la remplir ou la trahir». On peut aujourd’hui affirmer sans ambages que Samir Amin n’a pas trahi la sienne ! L’Egyptien a remis en cause puis déconstruit l’analyse et le discours dominant sur le sous-développement. Une méprise pour bien de ses frères africains (bourgeoisie comprador) à la solde du centre (expression pour désigner les puissances impérialistes).
Pour lui, le «sous-développement» des pays du Sud, de l’Afrique en particulier, est la conséquence logique du déploiement du capitalisme à l’échelle mondiale. Il préconisait alors que «l’éveil du Sud», entamé avec le projet de Bandoeng (1955 – 1980), se poursuive par la déconnexion à travers une longue transition au socialisme. Et cela demanderait une transition démocratique et un développement autocentré porté par des leaders légitimes et consciencieux.
Fondateur et premier dirigeant de l’Institut de planification et de développement (Idep) de la Commission économique des nations unies pour l’Afrique, il va mettre sur pied l’Environnement pour le développement de l’Afrique (Enda) devenu plus tard Enda Tiers Monde, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria) et le Forum du Tiers Monde (FTM). Pendant des décennies, il va œuvrer pour en faire des centres d’excellence, alliant réflexion et formation, au rayonnement international. Aujourd’hui, l’ensemble de ces institutions sont à l’image de l’homme.
Zacharie Roger Mbarga