Rivalité Chine/États-Unis: «L’Amérique est en train de perdre le sceptre du monde» (*)
L’Amérique a exercé le leadeurship du monde occidental depuis 1945. Après la chute de l’URSS, elle a été, pendant une décennie, l’unique superpuissance. Le 11 décembre 2001, la chute des tours du World Trade Center et l’attaque contre le Pentagone sont venues gâcher l’euphorie du monde de l’après-guerre froide.
Depuis, l’Amérique est à l’épreuve. Son leadeurship est contesté. La Chine devient une rivale redoutable. Les épreuves ont succédé aux déconvenues jusqu’à cette crise de la Covid-19, qui a fait plus de 200 000 morts et plongé l’économie américaine dans la pire récession depuis 1945.
Les terroristes islamistes qui ont frappé les tours du World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington n’ont pas seulement réussi l’attentat le plus spectaculaire de l’histoire. Ils ont brisé le mythe de la superpuissance américaine. À quoi ça sert de posséder la première armée du monde et un arsenal nucléaire aussi puissant, si cela ne peut même pas protéger le territoire américain contre de telles attaques? Touchée au cœur, l’Amérique a tenté, avec un succès tout relatif, d’effacer l’affront.
Les Américains ont très mal réagi. Ils ont envahi l’Afghanistan et, peu de temps après, l’Irak de Saddam Hussein. Ils se sont engagés dans deux guerres asymétriques qu’ils n’avaient aucune chance de gagner et qu’ils n’ont pu financer qu’avec les bons du Trésor américain détenus par la Chine. Mais tout cela n’a servi à rien. L’Amérique n’a gagné aucun de ces conflits. Elle s’est discréditée aux yeux des peuples de l’hémisphère Sud qui ne la craignent plus.
À la fin du 20e siècle, les dirigeants américains avaient cru trouver la clé de la prospérité en Chine. Le deal était simple. L’Amérique apporterait ses capitaux et ses technologies. La Chine fabriquerait chez elle les produits manufacturés à bas coûts qu’elle exporterait ensuite aux États-Unis. Les firmes multinationales américaines se délocalisèrent en Chine, imitées par leurs concurrentes européennes et japonaises.
Tout cela marcha un temps, d’autant plus que les Chinois placèrent une partie des gains retirés de leurs excédents commerciaux en bons du Trésor américain. La Chine devint ainsi le premier créancier des États-Unis. L’Amérique y vit, à tort, une sorte d’allégeance de la Chine à leur égard.
Cependant, la Chine poursuivait ses objectifs à long terme. Elle appliqua avec patience et persévérance sa stratégie des remontées de filières du bas — c’est-à-dire les produits du bas de gamme — vers le haut, les produits du haut de gamme, à forte valeur ajoutée. En l’espace d’une génération, la Chine commença à rivaliser avec les États-Unis dans la conception et la fabrication des biens de haute technologie. L’élève commença à dépasser le maitre, faisant de la Chine la première puissance commerciale mondiale, devant les États-Unis et l’Allemagne.
Cette année, pour la première fois, la Chine est devenue la première puissance économique mondiale avec 21 334,2 milliards de dollars, devançant les États-Unis, avec seulement 20 837,3 milliards. Certes, l’écart est faible, mais il revêt une portée symbolique. D’autant plus qu’à travers la crise actuelle, l’écart risque de se creuser aux dépens des États-Unis. L’Amérique est en train de perdre le sceptre du monde. Elle n’est plus l’orgueilleuse république impériale dépeinte par Raymond Aron dans les années soixante.
Yves Perez (**)
(*) Tribune parue dans le Figaro du 13 octobre 2020
(**) Professeur émérite et ancien doyen de la faculté de droit de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, auteur des Vertus du protectionnisme (L’Artilleur, janvier 2020).