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Recherche de l’e-réputation, ça tue aussi!

Il a toujours été préoccupant de voir des créatures sauvages empiéter sur le domaine des hommes. Mais, à Bogo (département du Diamaré, région de l’Extrême-Nord), quand les populations apprirent que 4 éléphants déambulaient dans les rues de la ville, le mardi 23 mai 2023, ce fut un prétexte pour son amusement, son loisir, sa récréation. Ce qui est fascinant dans cette affaire, c’est l’enthousiasme et l’excitation avec lesquels tout Bogo a accueilli les pachydermes. Et ce qui est intéressant, c’est que, au moyen de leur bifurcation contingente, ces gros animaux ont réussi à meubler l’histoire de Bogo. Et de quelle manière ? Triste. Une jeune femme de 27 ans est morte. Elle a attrapé la queue de l’éléphant et l’animal l’a dégagée avec sa patte arrière. Il s’est retourné et chargé, pendant que la jeune femme s’apprêtait pour une série de selfies.

Pour ne pas s’en tenir à des réflexions générales sur le commentaire que ces éléphants se sont retrouvés là, concentrons-nous sur la mise en scène de ces espèces animales accidentelles comme sauvages et exotiques. On a vite oublié que ce ne sont pas « les animaux » qui sont supposés susciter de l’intérêt, mais des animaux bien particuliers, appartenant à des espèces « sauvages ». On le voit dans cet exemple, au sein du dispositif de mise en scène, les animaux sont des acteurs à part entière dont le comportement a une incidence sur l’intérêt qu’ils suscitent. A l’ère des réseaux sociaux, ce qui est souvent recherché n’est pas seulement une contemplation des animaux, mais bien l’occasion de se faire voir avec ces animaux. Dans ce cas, on dirait que la jeune femme a bien voulu prolonger une forme d’émerveillement via une vidéo. L’affaire a mal tourné. Le principe est pourtant, en droit camerounais comme dans tant d’autres pays, que chacun répond des conséquences de ses actes – en un mot : est responsable. Même sur les réseaux sociaux.

Ce qui s’est passé à Bogo se passe également ailleurs. Le désir de se «mirer» sur les réseaux sociaux occupe désormais une place importante, si ce n’est centrale. Un bon mot, une réplique percutante, une maladresse ou encore un troupeau d’éléphants, et voilà déjà la séquence en train de voyager d’un réseau social à l’autre. De Twitter à Instagram, en passant par TikTok. Si cette nouvelle routine numérique permet une grande – voire inédite – visibilité des citoyens soucieux de sortir de l’anonymat, ces réflexes incitent aussi aux coups de communication, souvent pensés pour «faire le buzz». C’est que, les réseaux sociaux donnent l’impression de nous rendre visibles dans le vaste monde.

Ils semblaient avoir conféré le droit de parole aux légions d’imbéciles qui, avant, s’exprimaient au bar après un verre de vin sans endommager la collectivité. Maintenant, ils ont le même droit d’expression d’un prix Nobel. Bien sûr, les imbéciles ont toujours existé. Ce qui a changé est l’affirmation d’un moyen technique qui a permis une nouvelle visibilité. L’esprit de notre temps à pris la forme d’un écran devant lequel défile un flux perpétuel de photographies, slogans, paroles, pensées, opinions, etc., et qui se répand sur le Net à très grande vitesse. Notre e-réputation est devenue plus précieuse que nos vies. Comment la construire et la faire fructifier ? Comment faire installer la présence incarnée et vivante de nos vies dans l’univers numérique ? Chaque jour, on y réfléchit. Au risque d’en mourir.

Jean-René Meva’a Amougou

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