Plan présidentiel de reconstruction et développement : Dans le tourbillon des pensées
Les citoyens des régions anglophones disent leurs joies et leurs déceptions par rapport aux projets à mener dans leur cadre de vie en proie à une crise sociopolitique sans précédent depuis octobre 2016.
Réhabilitation de 350 écoles, 115 centres de santé, 45 marchés, 40 ponts, 400 points d’eau, 500 km de ligne électrique basse tension, 600 km de routes rurales, 25 mille hectares de plantations et 12 mille maisons d’habitation. Du lourd en perspective pour Paul Tasong Njukang. Par un arrêté signé par Chief Joseph Dion Ngute le 3 avril 2020, le ministre délégué auprès du ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), a été désigné pour conduire le programme de restauration du cadre de vie et des activités économiques en faveur des populations des deux régions anglophones du pays. Il sera assisté par l’ancien maire Sdf de Kumbo Donatus Njong.
C’est donc sous leur compas que le nouveau pré va se dessiner dans les prochains jours. Au sein des populations locales, un hymne fait déjà vibrer l’air. Certains chantent de bon cœur avec le coordonnateur du PPRD-NoSo. A grands coups de joie, certains répondent positivement à l’annonce gouvernementale. John Fung est de ceux-là. Citoyen vivant à Bamenda, il dit accueillir avec beaucoup de ferveur le plan de reconstruction. «Parce que, dit-il, cela va permettre d’une part la reconstruction de plusieurs infrastructures détruites dans ces deux régions et d’autres part, cela pourra encourager ceux qui ont pris les armes contre leur propre pays à revenir à de meilleurs sentiments».
Pour Babila Michael, un autre habitant de Bamenda, l’enjeu du plan de reconstruction est de bousculer la crise sociopolitique et sécuritaire qui a retardé voire réduit à néant le développement de ces deux régions. Vivant à Kumba, Dengu Martha se veut l’incarnation d’un peuple en attente du retour de la paix et du bien-être. «Ce plan, se félicite-t-elle, va nous faire respirer enfin !».
Toutefois, chez d’autres citoyens, la symbolique et la définition du Plan de réhabilitation et de développement restituent davantage la complexité et l’intensité de l’affaire. Sur le terrain, cette dernière n’en finit pas de cultiver le doute et la crainte. «La population est désespérée. Le gouvernement veut exploiter cette situation pour engranger plus de soutient sans pour autant résoudre les vrais problèmes», s’emporte D. Song.
Dans leurs multiples dimensions, les dires de ce natif de Nkambé mettent en parallèle l’ambiance actuelle et le projet à travers lequel le gouvernement entend l’apprivoiser. Selon lui, le problème n’est donc pas l’absence de projets, il est que ces projets sont de bien faible intensité, trop horizontal, relativement à celui qui assaille les régions anglophones aujourd’hui. Autrement dit, «on a offert aux populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest une raison supplémentaire de se soulever et une nouvelle cible».
«Réserves»
Dans le fond, le Plan annoncé pose trois questions : la question du timing, celle du contenu et celle de la finalité. Et Colbert Gwain de corroborer en termes : «il y a des aspects des résolutions du grand dialogue national qui pouvaient être implémentés sans retard, notamment le changement du nom du pays de république du Cameroun à République unie du Cameroun comme c’était le cas avant 1984. De même que ramener les deux étoiles sur notre drapeau afin de refléter notre riche héritage culturel. Les Camerounais attendent des actions dans cette direction…
Encore le gouvernement poursuit au contraire avec la création d’un comité de reconstruction. Le gouvernement continue de fonctionner comme s’il n’a rien appris et à tout oublié. Je n’ai pas encore compris comment la reconstruction va s’opérer alors que la paix n’est pas encore de retour». Tout autant moins convaincu, John Fung a quelques appréhensions. L’une d’elles s’attarde sur le montant de 90 milliards FCFA alloué pour le projet dans les deux régions. «Je crois qu’il est insignifiant si l’on s’en tient aux besoins estimés à près de 2000 milliards. Deuxièmement les délais ne sont pas connus. Troisièmement le marché n’est pas encore passé.
En plus, ce gouvernement a été incapable d’ouvrir ses écoles dans la région encore moins exécuté ses budgets d’investissement public de 2017 à 2019 dans les deux régions d’expression anglaise. Encore veut-il commencer à reconstruire ce qui a été détruit pendant le conflit dégénéré en cours». Dans la même veine Nke Nicodemus «espère que ce ne serait pas une histoire de tripatouillage où seuls les militants du parti au pouvoir ou encore certaines hautes personnalités du régime bénéficieront. Il faut une transparence dans le choix des bénéficiaires. Je parle de ceux dont les maisons seront reconstruites». Une manière d’interpeller les responsables à la transparence dans la gestion du projet de reconstruction du Nord-ouest et du Sud-ouest. Ojang Stephen à Wum (Menchum) estime qu’ «il faudra qu’on explique à la population ce que c’est que la reconstruction, car d’aucuns pensent qu’il va falloir reconstruire les domiciles privés».
La reconstruction au bout du canon
En zone anglophone, les combats ne connaissent pas de répit. La mort et la peur y imposent une loi de puissance.

Spectacle éhonté sur la Nationale Kumba-Mamfe (Sud-Ouest). Depuis une semaine, cet axe routier est bloqué par des combattants, devant une population médusée. Des mobilisations éclair de sécessionnistes vêtus de noir ont eu lieu dans divers endroits, s’accompagnant d’actes de vandalisme. Kene-Mbessi par mile 4 Nkwen, une cinquante de combattants séparatistes ont pris d’assaut ce quartier de Bamenda le 10 avril 2020. Sur trois maisons d’habitation, les assaillants ont mis du feu.
Si deux se sont consumées partiellement grâce à l’intervention des forces de l’ordre, la troisième a été vite maîtrisée. «N’eût-été l’arrivée des forces de défense et de sécurité, les hors la loi auraient probablement causé plus de dégâts voire même des morts et/ou d’enlèvement d’hommes», raconte un riverain. Selon des sources sécuritaires de premier plan, les séparatistes vengeaient un de leurs collègues qui, la veille, avait été pris à partie par la population de ce quartier pour tentative d’enlèvement d’un certain Papa Franck.
Toujours à Bamenda, dans la matinée du 8 avril 2020, la branche Nord-Ouest du Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC) et l’Association camerounaise des journalistes d’expression anglaise (Cameroon Association of English Speaking Journalists, Camasej) annonçait l’enlèvement du journaliste Choves Loh. En service au quotidien Cameroon Tribune (CT), l’infortuné a reçu la visite de trois hommes lourdement armés vers 5 heures 30 à sa résidence. Ceux-ci ont tenté de l’enlever.
Le 9 mars 2020, des unités de police de la Division Régionale de la Police Judiciaire du Nord-Ouest, le commissariat central numéro 3 et le poste de contrôle des ESIR, ont simultanément subi des attaques. Les premiers éléments des enquêtes avaient révélé que lesdites attaques visaient la libération des personnes suspectes arrêtées hier dans le cadre de l’attentat à l’explosif survenu le 8 mars à Bamenda.
Dans une interview accordée à CT le 7 avril 2020, Paul Tasong Njukang a déclaré que l’on ne saurait attendre que la paix retourne totalement dans les deux régions pour déployer le plan de reconstruction et développement, eut égard à l’ampleur de la tâche évaluée à l’issue de la collecte des données effectuée sur le terrain sous la coordination des deux gouverneurs. «La priorité sera déterminée géographiquement et accordée aux zones où la reconstruction peut être faite avec le minimum de risque. C’est clair qu’il existe encore des poches de résistance mais de manière générale la situation est loin de ce qu’elle était il y a deux ou trois ans», a dit le membre du gouvernement. C’est dire si à l’observation, là où il y a résistance, les forces de défense et de sécurité devraient faire le ménage pour que la reconstruction voulue par le chef de l’État se poursuive jusqu’à son terme.
ZFK