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Nzama, du sérieux chez les Ekang

La divinité occupe une place centrale dans le quotidien de ce peuple. Malgré les différences, la liturgie est restée unique.

Séance de louanges à «Nzama» lors du festival Mvet Oyeng

Devant la tribune officielle du festival Mvet Oyeng, ce 19 juillet 2019, le passage du temple Abounou, une confrérie religieuse venue du Gabon, s’emballe. Les adeptes ont du mal à quitter la scène. Offrandes, sacrifices, libations, prières, méditations, récitations de textes sacrés sont au menu. Des femmes tombent en transe. Un prêtre enfourne à pleine bouche un crapaud venimeux. Un autre s’enfonce un couteau dans l’œil. De temps à autre, une voix appelle «les ancêtres», les siens en tout cas. La même voix proclame que dans le temple Abounou, on peut guérir par les plantes, on soigne à distance si nécessaire, et on fournit d’autres services tarifés en francs CFA (par exemple pour vendre au marché; pour arrêter de fumer).

«Nzama»
Sur le site, l’atmosphère est excellente. Face à celui qui s’interroge, il y a tout et rien à la fois. Un vieil homme appelle «Nzama» (Dieu). Dès le début de «cette célébration», sa présence est souhaitée. «Ce souhait est répété plusieurs fois parce qu’il permet de tout résoudre sans jamais rien interroger», signale Emmanuel Ogandaga, Ekang congolais. À la lumière des explications de cet enseignant d’ethnologie à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, l’on apprend que l’Ekang n’organise pas son quotidien tout seul. «Il a toujours besoin de Nzama», affirme notre interlocuteur. C’est le moment que choisit Fabien Owoundi, l’un des spécialistes camerounais de la culture Ekang, pour apporter une précision importante. «Nous sommes tous croyants pratiquants […] Chez tout Ekang, Dieu a choisi de se montrer, plus que de se démontrer. Ce sont les traces de sa présence qu’il convient de regarder de près, avec notre intelligence, notre volonté, notre cœur», poursuit-il.

Ici, maintenant et partout

Toutefois ici, pas besoin de cerner l’origine de cette croyance. Tout est là donc: «Nzama» est omniprésent. Entend-il? «Sans doute d’un point de vue, puisqu’il peut répondre, en agissant, aux demandes prononcées par les humains. Mais il ne répond pas chaque fois», tranche Fabien Owoundi. Participe-t-il? «Sans doute, puisqu’il dit être présent, mais pas toujours activement et directement», rétorque l’homme de culture. S’adresse-t-on à «Nzama»? «Oui, mais sans attendre de réponses directes, comme le font le plus souvent les humains entre eux». Et l’observateur de remarquer que pour l’Ekang, l’être divin est là, non seulement diffus, mais aussi capable de prendre différentes formes, stabilisé dans divers objets. «Les ancêtres l’ont cherché, mais ils ne l’ont pas trouvé de face», précise-t-on. En compensation, ils ont décelé des intermédiaires aux attributs complexes et aux représentations variables.

«N’oublions jamais qui nous sommes, le culte de Nzama est une religion comme une autre», lance un théologien. «Nos ancêtres croyaient en un être suprême, créateur du ciel et de la terre; ils l’ont appelé Nzama; c’est Dieu», poursuit le roi théologien. Il renseigne qu’au cours de leur histoire, les Ekang ont élaboré les pratiques les plus diverses pour se relier à l’Absolu qui est le leur. Hier comme aujourd’hui, ces rites embrassent toutes les dimensions (personnelle, familiale, sociale et spirituelle) de l’existence humaine. Ils permettent de transcender le quotidien, de distinguer l’illusoire de l’essentiel, de s’ouvrir au divin.

Quand on fait une petite analyse, on réalise que «Nzama» agit lorsque se présente le temps de la souffrance ou de l’épreuve, quand le doute sur le sens de l’existence s’intensifie. Seulement, l’Ekang joue sur un double registre: demander des comptes à «Nzama» d’une part et, d’autre part il croit que c’est ce dernier qui lui demandera, un jour, des comptes pour savoir ce qu’il a fait de l’affamé, de l’assoiffé, de l’étranger, du prisonnier, du malade…

Jean-René Meva’a Amougou, à Ambam

Prochain article: Les Ekang et l’argent

«Tout est bâti sur cette même architecture commune»

L’enseignant d’ethnologie à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville montre en quoi la multiplicité des obédiences religieuses Ekang est fondée sur un socle unique.

L’Ekang est-il un croyant ?
En présence d’un Ekang, on remarque clairement que celui-ci vit, au fond de lui, la discrète et chaleureuse présence de Dieu, sa vocation de fils, d’être aimé par-dessus tout et malgré tout, parfois même malgré lui. En fait, en tout, l’Ekang agit plutôt comme si elle était là et comme si elle n’était pas là, mais sans manquer de respect et sans montrer stratégiquement qu’il l’ignore. En tout cas, dans ces situations de proximité avec Nzama, l’Ekang se sent, toujours ou ponctuellement, interpellé.

Dans un monde travaillé par l’affirmation de multiples courants religieux et l’argent, Nzama a-t-il encore véritablement une place dans le cœur de l’Ekang?
La question hante la conscience de tous les peuples. Mais cette question n’est pas d’abord théorique (nos réponses en ce domaine sont bien pauvres), mais elle est pratique: qu’en faisons-nous? L’Ekang lui, appelle Nzama au Gabon, au Congo et en Guinée Équatoriale, Zambâ ou Ntondobe au Cameroun. Cette appellation joue un rôle essentiel de médiation entre le monde visible et le monde invisible, l’intériorité personnelle et l’au-delà transcendant. Les nombreuses églises et l’argent peuvent altérer cette tendance mystique, mais ne sauraient la détruire complètement. D’un point de vue scientifique, l’idée d’une disparition progressive des croyances ancestrales sous les coups de boutoir de la modernité est donc entièrement erronée.

À partir de cette explication, peut-on dire qu’il est clair que tous les Ekang ont un noyau commun en matière de croyance?
Absolument! Au-delà de leurs différences, tout est bâti sur cette même architecture commune. Ce noyau commun comporte quatre éléments fondamentaux: 1) toutes les obédiences traditionnelles admettent l’existence d’un monde invisible peuplé de divinités: dieux, esprits, ancêtres, âmes ou forces surnaturelles; 2) les hommes cherchent à trouver grâce auprès de ces esprits à l’aide de rituels, prières, cérémonies collectives, rites propitiatoires; 3) la croyance impose aux individus des règles de conduite, des devoirs et interdits qui règlent la vie de la communauté; 4) des médiateurs du sacré (Nganga) sont chargés de présider aux rituels et de transmettre les connaissances relatives au monde du sacré.

Propos recueillis à Ambam par JRMA

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