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Le maintien ou la fin du franc CFA face à la menace permanente d’une dévaluation

Alors que le débat sur le franc CFA franchit une nouvelle étape, l’Afrique de l’Ouest a définitivement décidé de passer à l’Eco, nouvelle monnaie de cette sous-région au 1er juillet 2020, en abandonnant le CFA/XOF.

Par Charles ETOUNDI Expert sénior analyste des marchés

Cependant, la menace, toujours permanente, de la dévaluation du CFA/XAF ressurgit de manière plus pressante. Une dévaluation est un changement négatif de parité d’une monnaie nationale par rapport à son étalon international qui, dans le cas de l’Afrique centrale et le franc CFA, est l’Euro, hérité du franc français, dont la parité du couple EUR/XAF est à ce jour fixe. 

Une option à plusieurs hypothèses

Face à la sous-région, divers cas de figure sont possibles, entre dévaluation, nouvelle monnaie, maintien du CFA ou du taux de change actuel. Quel que soit le cas pour la CEMAC, la question de la monnaie, en tout état de cause, ne saurait se faire sans que soit examiné le passage à une nouvelle monnaie et sa parité. Celle-ci devrait alors être appréhendée non seulement en fonction des agents économiques et l’État avec, mais aussi de leur activité qui pourrait être en relation avec l’extérieur ou non (mises à part les relations financières internationales relatives aux finances publiques, notamment le remboursement, le service de la dette et son poids à court terme). Les agents économiques locaux, selon qu’ils sont exportateurs ou importateurs, ont, face à la dévaluation, un comportement différent. Car c’est une situation qui a autant d’avantages que d’inconvénients.

La dévaluation d’une monnaie comme fait économique peut être non seulement la conséquence d’une crise de liquidité en devises, mais aussi une importante astuce pour les gouvernements dans leurs politiques monétaires et commerciales avec l’extérieur. Ainsi donc, la dévaluation d’une monnaie est provoquée, soit par un épuisement des réserves de change conduisant à un risque d’inconvertibilité (et celle-ci se fera dans la contrainte), soit par un acte gouvernemental de manière volontaire pour un calibrage des échanges.

À ce dernier moment, elle devient une technique visant la compétitivité dans les relations commerciales internationales. C’est souvent le cas dans une logique de guerre commerciale dans laquelle le gouvernement se sert de la monnaie comme d’une arme de combat. C’est principalement pour cette raison que chaque État devrait avoir la pleine maitrise et la souveraineté sur sa politique monétaire, au-delà de la dimension industrielle de production de la monnaie comme un bien.

Dans la perspective d’un ajustement monétaire au sein de la zone CEMAC et du franc CFA, il est primordial d’aller au-delà du seul franc CFA et prendre en compte la structure et le modèle économique en pratique dans les différents États membres. Ce qui permet avant toute chose de rétablir les équilibres essentiels. La zone CEMAC est globalement constituée d’économies extraverties avec une consommation principalement orientée vers l’extérieur, la production locale étant soit insuffisante, soit peu compétitive.

Les ressources naturelles y étant vendues en l’état, le volume de transformation de celles-ci est par conséquent très faible. D’ordinaire les balances commerciales des Etats de la sous-région sont en déficit croissant et les réserves de change en constante diminution. Alors que la banque centrale rassure sur toute la ligne, la sous-région reste sujette à la menace permanente d’une dévaluation de sa monnaie. À celle-ci, il faut adjoindre la contestation grandissante, à tort ou à raison, des fondements de cette monnaie jugée par certains patriotes comme un héritage colonial.

Opter pour le maintien, la fin ou la dévaluation du franc CFA, s’ouvre par l’évacuation d’un important préalable à savoir la parité fixe et flottante. La parité fixe actuelle avec le l’euro entraine deux situations: la limitation du jeu normal du marché et l’expression de la performance; la pratique des arrondis sur le taux de change EUR/XAF est contre les principes comptables, ce qui fausse, dans une certaine mesure, les données financières réelles, la parité fixe avec l’euro ne s’imposant ni au dollar ni aux autres devises. Ainsi, dans une opération de cours croisés, les actifs détenus en parité fixe ne participent pas aux fluctuations du marché que favorise la parité flottante.

Les États membres, les institutions communautaires et les partenaires financiers accompagnateurs sont appelés à apporter des réponses rapides à un ensemble de préoccupations conjoncturelles des citoyens, des agents économiques et des partenaires commerciaux. Entre les positions tranchées des patriotes, défenseurs passionnés de la souveraineté à travers la monnaie, et les modérés dogmatiques de la science, il faut trouver le juste milieu et intégrer la dynamique participative. La politique monétaire est l’affaire de tous et non du seul gouvernement.

Les citoyens doivent y participer en tant que consommateurs. Cette participation est le stimulus nécessaire aux habitudes de consommation ayant une incidence importante sur la monnaie émise par l’État. Naturellement, la monnaie est un bien au service de l’économie et non l’inverse. La gestion de la pandémie de Covid-19 nous en donne une démonstration, à travers les masques de protection et le gèle hydroalcoolique. Les masques et gels importés, en lieu et place de ceux produits localement, auraient posé des problèmes au moins à trois niveaux: le risque de change, la parité et, plus loin, la pression sur les réserves extérieures déjà problématiques.

Faire le choix d’un réel changement de cap

L’on ne saurait, à ce stade du débat, parler de manière pertinente du franc CFA et résister à la tentation de faire une simulation à tout risque d’une nouvelle parité. Pour cela, dans un cas comme dans l’autre, la continuité ou la rupture avec le franc CFA passeront tout aussi par un réaménagement global des accords de coopération économique et monétaire. Les négociations avec les partenaires doivent alors s’adosser sur un modèle de production compétitif en interne comme en externe, mais aussi la détermination d’un taux de change et une parité flottante de la monnaie communautaire de la CEMAC.

Prenant exemple de la révolution monétaire portée de nos jours par les cryptodevises et la digitalisation des actifs financiers, la nouvelle parité serait ici référencée à un panier de devises. À ce jour le panier de devises qui fait autorité est celui du droit de tirage spécial (DTS). Il s’agit d’un actif de réserve international institué par le FMI et complétant les réserves de change officielles des États membres de cette institution.

Le DTS est échangé contre les devises du système monétaire international (SMI) librement utilisables. Depuis octobre 2016, la valeur du DTS repose sur un panier de cinq grandes devises: le dollar des États-Unis, l’euro, le renminbi chinois, le yen japonais et la livre sterling du Royaume-Uni. Les pondérations respectives actuelles de chacune de ces devises sont de: 41,73% du dollar (USD), 30,93% de l’euro (EUR), 10,92% du renminbi (CNY), 8,33% du yen (JPY) et 8,09% de la livre sterling (GBP).

Considération faite de toute la subjectivité qui caractérise toujours les éléments choisis pour évaluer à la fois le PIB comme mesure de l’activité économique nationale ou du PIB par habitant comme indicateur du niveau de vie et de revenu moyen des citoyens, l’opportunité d’une nouvelle parité faite ci-dessous est principalement fonction de la parité de pouvoir d’achat, indicateur important de la vie économique des États.

Les paramètres spécifiques sont tirés du pouvoir d’achat des pays de la CEMAC ainsi que des pays émetteurs des monnaies constituant le panier du DTS entre 2017 et 2018. Selon les données de la Banque mondiale et du FMI, à l’exception des États-Unis, les PIB par habitant de tous les pays considérés sont en régression. Les baisses respectives des PIB par habitant des États relevant du DTS sont de: -41 224% pour la Chine, +5,700 9% pour les États-Unis, -1,507 5% pour le Royaume-Uni, -12 899% pour l’Union européenne et -4 778% pour la France.

Leur moyenne de PIB par habitant est de 38 105,22 dollars américains, soit -49,91%. Pour les États membres de la CEMAC, les PIB par habitant sont en recul. Ainsi, on a -54,340 5 pour le Cameroun, -30,146 2% pour la RCA, -58,722 6% pour le Gabon, -70,065 7% pour le Tchad, -70,904 3% pour la Guinée Équatoriale et -67,976 7% pour le Congo. La moyenne de parité du pouvoir d’achat dans l’ensemble de la sous-région est de 3 829,53 dollars américains, soit une baisse de 58,69%.

Une nouvelle parité pertinente et compétitive

Il est nécessaire de franchir le cap et de sortir des sentiers battus, en évitant le copier-coller dont la grande innovation serait la dénomination. Que l’Afrique centrale pense donc à une monnaie véritablement compétitive. Cette dernière devrait alors obéir à une parité pertinente établie sur un panier de devises, en cas d’ajustement du franc CFA ou de lancement d’une nouvelle monnaie communautaire, avec le DTS comme étalon. En se basant sur une simulation d’une parité au taux de change actuel le plus élevé de DTS/XAF de 825XAF, l’ajustement pourrait se faire à la parité de DTS/XAF de 1 200XAF, soit une dévaluation de 45,45% du taux de change actuel.

Ceci représente une estimation empirique du coefficient du spread de fluctuation DTS/XAF sur dix ans. Le schéma ci-dessous pouvant bien être appliqué pour la détermination de la nouvelle parité, que ce soit pour la mise en place d’une nouvelle monnaie ou même en cas de dévaluation uniquement. En fonction du taux simulé, les principales devises du panier pourraient donc s’ajuster automatiquement. Les fluctuations records historiques de certaines de ces devises (CNY, JPY, USD) affichent d’ailleurs des tendances à peu près proches d’un tel ajustement. 

Parités actuelles et parités nouvelles

Devises DTS USD EUR GBP JPY CNY
XAF parité ancienne 825 599,048 4 655,958 1 733,774 4 5,577 7 84,265 2
Variation de 45,45% 375 272,267 5 298,132 9 333,500 4 2,535 0 38,298 5
XAF Parité nouvelle 1 200 871,316 1 954 091 1067,278 4 8,112 7 122,563 7

Selon l’ajustement de parité suggéré ci-dessus, les différentes variations de la deuxième ligne ressortent le différentiel absolu de perte et aussi de gain qui pourrait en découler pour l’État et les entreprises. Les agents économiques exportateurs (consommateurs intravertis) pourront ainsi obtenir une augmentation substantielle de leurs chiffres de vente à l’étranger et conséquemment les agents économiques importateurs (consommateurs extravertis) devront payer plus.

Le résultat de l’ensemble des opérations est reflété au niveau de la balance commerciale et de payement. Le modèle et la structure économique mis en place par l’État, ainsi que le comportement des citoyens garantiront la stabilité de la parité et la constitution de réserves extérieures, de préférence auprès de la banque centrale et non plus auprès d’un trésor public étranger.

Cependant, une vive exhortation est faite aux États membres de la zone à poursuivre une politique monétaire commune. Celle-ci a plusieurs avantages au triple plan de l’accroissement des échanges intra zone, la fluidité dans la circulation des capitaux et la réduction du risque de change. Mais, la sous-région CEMAC sera jugée davantage sur sa capacité à s’élargir avec la mobilisation d’un espace plus grand, incluant les États de la CEEAC dans son union monétaire, et ce sera plus efficace.

Le signal fort qui vient de l’Afrique de l’Ouest est dans ce cas très édifiant. Au demeurant, la question de la monnaie en Afrique centrale ne sera ni un problème de dénomination ni celui d’émancipation face à l’ancienne puissance coloniale. Elle sera fondamentalement une question de taux de change, de la parité, de la structure et la compétitivité des économies nationales. Ce sont là les seuls éléments permettant de construire une monnaie conquérante au service de l’économie, et capable de résister à tous les chocs.

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