LIBRE-PROPOSPANORAMA

«Le ministre pose, maladroitement, le problème du paradoxe du diplôme sans travail»

Tous s’attaquent à «l’homo politicus» (Pr. Bokagné); à son nomadisme et à son recyclage politiques; à sa reconversion professionnelle; à sa personne et à son personnage politique. Ce faisant, ils nous éloignent du vrai problème, celui du chômage endémique des diplômés des Humanités (arts, lettres, sciences humaines et sociales) dans les universités camerounaises.

Le conseiller d’orientation et psychosociologue s’insurge contre les critiques du Pr Wassouni, universitaire; du Pr Bokagné, chef de département d’histoire géographie à l’Université de Yaoundé I; et de Pierre Nka, journaliste. Ces derniers ont pris position contre une récente sortie du ministre Issa Tchiroma Bakary au sujet de la formation professionnelle.

Joseph Bomda, Ph D

Lors d’une visite à Douala le 31 janvier 2022, Canal2 international, une chaîne de télévision privée camerounaise, a rapporté les propos du ministre qui déclarait: «vous envoyez vos enfants dans des facultés qui forment des gens qui ne travailleront jamais [murmures et rires dans la salle]. Vous envoyez les enfants dans des facultés d’histoire-géo. Je n’ai rien contre. Mais si vous envoyez vos enfants, aujourd’hui, ils vont vous rapporter une maîtrise en histoire géo ou en lettres grecques ou modernes [rires dans la salle] ou en lettres allemandes [rires dans la salle]. Ils viendront avec ces diplômes-là. Ils ne travailleront jamais [en cœur une personne dans la salle], jamais ! Pourquoi donc dépenser de l’argent pour rien? Il est préférable d’envoyer ces enfants-là dans des centres de formation où ils seront des carreleurs. Nous avons besoin des mécatroniciens».

Pr. Wassouni «pense que [cette] sortie du ministre Issa Tchiroma est d’une impertinence légendaire et fâcheuse». Pour lui, c’est une forme de «critiques des plus archaïques et des plus honteuses». Et d’insister: les propos du Ministre «sont fort curieusement impertinents et étonnants». «Un Cameroun « civilisé », fort et qui puisse comprendre et défendre pertinemment sa place et ses intérêts dans le monde» serait impossible «en fabriquant et en posant les carreaux ou en réparant une roue d’un véhicule».

Pr. Bokagné, pour sa part, parle de «propos indigeste»; de «Errare humanum est (Il est de l’humaine nature d’errer)»; «monumentale crétinerie». Comme «tout le monde», «au détour de quelque envie de braire», tout un ministre de la République «peut [aussi] arriver à en dire une ânerie». Son «ignorance des débouchés – et possibilités – professionnelles de formation en histoire-géographie» est marquée par «un pédantisme aussi insultant» que «inquiétant pour ceux qui assurent ces formations».

La «déconcertante légèreté» du ministre lui vaut de la part du chef de département, une leçon sur «l’arythmétique»; le rappel du nombre d’estropiés de nos villes du fait des moto-taximan; les débouchés; les politiques éducatives; etc. «Si les humanités produisent du chômage, peu importe la proportion, alors que ceux qui les ont introduites et validées les suppriment». Pr. Bokagné, enseignant par ailleurs, n’est responsable de rien, dit-il. Il est aussi victime de la «même incurie qui a abouti à ce que [le ministre] dénonce à l’histoire-géographie alors qu’il est responsable chargé – avec d’autres – de rationnellement penser l’orientation professionnelle de millions de jeunes».

Enfin, pour Pr. Bokagné, «l’essentiel des problèmes sociaux – le chômage n’en est qu’un parmi d’autres – est causé, non par les offres formatrices, mais par les gestions des politiques. Et des gestionnaires douteux …, « ces vilains Tchiromas » [qui] « dans leurs bureaux pensent mal »».

Pierre Nka quant à lui nous fait savoir que le ministre «semble coupé du monde et du gouvernement dans lequel il est». Poursuit-il, l’histoire du Cameroun est à écrire et le ministre a failli à son devoir de «solidarité gouvernementale». Il «veut détourner la jeunesse camerounaise».

Déception
Les trois contradicteurs du ministre, comme bien d’autres par ailleurs, vont par la suite, chacun à sa manière, nous vanter les mérites de l’histoire, de la géographie; bref des sciences humaines et sociales. Paradoxalement, à aucun moment, en dehors de la théorie qui conforte le caractère élitiste et potentiellement embourgeoisant pour les chanceux de ces filières d’études qui pourraient obtenir un emploi dans un pays en friche, aucun n’apporte de statistiques sur leur incidence sur l’employabilité au Cameroun. Tous s’attaquent à «l’homo politicus» (Pr. Bokagné); à son nomadisme et à son recyclage politiques; à sa reconversion professionnelle; à sa personne et à son personnage politique. Ce faisant, ils nous éloignent du vrai problème, celui du chômage endémique des diplômés des Humanités (arts, lettres, sciences humaines et sociales) dans les universités camerounaises.

Le lecteur que je suis, habitué des questions d’orientation scolaire et professionnelle et de la problématique de la transition des études vers le marché de l’emploi, en sort peiné, meurtri de voir des universitaires et le journaliste, éclaireurs supposés de la société, essayer de tronquer les faits au moyen des arguments nombrilistes et ad hominem.

Certes le ministre a été excessif. Le «jamais et la «Faculté d’Histoire-Géographie» en disent long. D’une part, on ne dit jamais jamais et, d’autre part, il n’existe pas de Faculté d’Histoire-Géographie au Cameroun. Plus encore, le ministre aurait dû recourir aux données de l’Observatoire national de l’Emploi et de la Formation professionnelle (ONEFOP) ou du Fonds national de l’Emploi (FNE), dont il a la charge, ou de celles de l’Observatoire des Métiers de l’Enseignement supérieur (OMDES) et de l’Institut national de la Statistique (INS). Le ministère de l’Enseignement supérieur a, par ailleurs, conduit une enquête globale sur l’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur qui aurait pu tout être capitalisée.

Cependant, est-ce pour autant que le ministre n’est pas vrai dans son propos? Quel problème pose-t-il? En quoi les échanges entre le ministre, les Universitaires et le Journaliste pourraient être utiles pour le Cameroun qui appelle de tous ses vœux un développement réel, effectif et non plus uniquement dans des discours et les théories pompeux?

Sans avoir été mandaté par quiconque, l’apprenti intellectuel que je suis souhaite ici contribuer au débat. J’ose croire que Pr. Wassouni et Pr. Bokagné ne sont pas de ces aînés intellectuels universitaires camerounais qui aiment les arguments d’autorité. Pierre Nka non plus. Qu’importe, la science s’embarrasse peu des émotions. Seuls les arguments comptent même si les «enveloppes» socioculturelles sont souhaitables.

Messieurs,

Pour abonder dans le sens du ministre, «Si on ne sait pas, il vaut mieux se taire plutôt que de dire des choses dont l’impertinence donne à réfléchir». Pr. Wassouni, ce sont vos mots, pas les miens! «La honte sans pareil» (Pr. Wassouni) que vous lisez chez le ministre cache malheureusement la vôtre. On attend de vous, éclaireurs de la société, mieux qu’un argumentaire nombriliste et ad hominem. Allons au-delà du «premier degré» (Pr. Bokagné), du manifeste, et questionnons le latent du propos du ministre en nous écartant de la posture victimaire. Quand je t’accuse, je m’accuse aussi pour qu’ensemble nous trouvions la solution à notre différend. Cependant, pour y arriver, nous devons chacun pouvoir dépasser nos égos et penser au-delà de la crainte de perdre ce qui nous particularise.

Pour votre gouverne chers Messieurs, le ministre pose, maladroitement certes, le problème du paradoxe du diplôme sans travail, de l’instruction sans fonction, de l’éducation sans emploi au Cameroun. Voilà la triste réalité qu’il regrette et que tout camerounais sérieux devrait tout aussi regretter au regard du nombre sans cesse croissant de diplômés qui, ayant polarisés sur plusieurs années l’essentiel des dépenses familiales dans des ménages majoritairement pauvres, rentrent sous le toit familial continuer à vivre un statut d’enfant à l’âge adulte. C’est là le problème ! Je veux dire, le mal être des parents qui découvrent des années après l’improductivité des dépenses et autres investissements scolaires parce que leur progéniture ne peut accéder à la fonction publique qui attire 2 jeunes sur trois.

 

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