“La Secrétaire particulière” de Jean Pliya
Pliya ne s’est pas prononcé uniquement sur des questions sociétales. Il savait aussi parler des choses de Dieu. Cultivé et brillant orateur, il dirigea le Renouveau charismatique catholique du Bénin pendant de nombreuses années. C’est dans ce cadre que j’eus l’occasion d’apprécier la profondeur de ses enseignements au lycée Sainte-Marie de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire) au milieu des années 1980. Bien avant, sa fille Isabelle, qui fréquentait Sainte-Marie, m’avait parlé de lui en bien. C’est en 2000, à Douala (Cameroun), que je revis Jean Pliya. Il était toujours passionné de Dieu et ses prédications, pleines de témoignages savoureux et édifiants, n’avaient rien à envier à celles d’un Bossuet ou d’un Lacordaire.

Dans cette pièce de théâtre publiée en 1973 par les éditions Clé (Yaoundé), il est question d’abord et avant tout de Nathalie, le secrétaire particulier. Nathalie a obtenu ce poste, non parce qu’elle est instruite et compétente, mais grâce à sa liaison amoureuse avec son patron, M. Chadas, qui lui-même doit sa position au fait qu’il est le protégé d’un membre du gouvernement.
Nous avons ensuite Virginie. Si Nathalie jalouse cette dernière, c’est à la fois parce qu’elle craint de perdre la place qu’elle occupe dans le cœur de Chadas et parce que Virginie possède plus de vertus qu’elle. Des vertus que les religieuses avaient inculquées à Virginie et qui ont pour noms la ponctualité, la conscience professionnelle, la haine de la corruption, le travail bien fait, etc.
Le jour où Virginie doit commencer le travail, Chadas lui dispense tout un cours de morale et de civisme. Il lui recommande notamment de ne jamais utiliser le téléphone du bureau pour régler des affaires personnelles. Mais, très vite, Virginie s’aperçoit que le comportement de Chadas est aux antipodes du règlement intérieur de la « boîte ». En effet, non content de recevoir des pots-de-vin pour des services qu’il est supposé rendre, Chadas veut coucher avec Virginie, ce que celle-ci refuse. Le refus de Virginie est d’autant plus louable qu’il fallait avoir un certain courage pour s’opposer à la promotion canapé et montrer à Chadas que, dans ce pays où la morale est de moins en moins honorée par ceux qui ont succédé au colon, tout le monde n’est pas prêt à brader sa dignité et ses valeurs.
Un tel courage manquait à Jacques qui, sans signifier la conduite de Chadas, préférait se taire parce qu’il ne voulait pas perdre son poste. Ils sont malheureusement légion, les Africains et Africaines qui, comme Jacques, ne sont pas d’accord avec telle ou telle façon de faire mais ne disent rien ou n’ouvrent la bouche devant le chef pervers, voleur ou dictateur que pour l’encenseur . Ces Africains lâches, le journaliste d’investigation Norbert Zongo, assassiné le 13 décembre 1998 avec trois compagnons parce qu’il voulait faire la lumière sur la mort de David Ouédraogo, l’un des chauffeurs de François Compaoré, frère du dictateur Blaise Compaoré, les nomme les indifférents, les « pourvus que » ou la pure race des égoïstes myopes. « Je laisse faire pourvu que mon salaire tombe, pourvu que je n’aie pas d’ennuis, pourvu que rien n’arrive à ma famille », telle est la philosophie des hommes et des femmes qui ne pense qu’à leurs petits intérêts. Jacques estime que Chadas pouvait faire tout ce qu’il avait envie de faire dans l’entreprise pourvu que lui, Jacques, conserve son poste et continue de percevoir son salaire à la fin du mois. Pour Norbert Zongo, les « pourvu que » constituant le troisième niveau de compromission qui « se paie tôt ou tard avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur ».
L’avocate Denise ne fait pas partie des « pourvu que » car elle fera arrêter Chadas coupable de deux crimes : avoir renversé un certain Avocé Halonon et avoir engrossé une mineure, la secrétaire particulière Nathalie, qui n’avait que 17 ans.
Denise et Virginie apparaissent ainsi comme les seules personnes intègres dans ce milieu où une loi non écrite voudrait que l’on baisse la culotte, aliène liberté et dignité, courbe l’échine, flatte le patron ou graisse la patte à ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir avant d’obtenir une promotion, un papier ou un service.
En lisant cette pièce de théâtre, on ne peut pas ne pas penser à la nouvelle «Le Mandat» où le Sénégalais Ousmane Sembène stigmatise la corruption qui a envahi, telle des sauterelles, l’Afrique post-indépendante. Comme Sembène, Jean Pliya plaide, dans « La Secrétaire particulière » pour qu’émergent plusieurs Virginie et Denise capables de se dresser contre les anti-valeurs (l’abus de pouvoir, le harcèlement sexuel et la corruption de certains patrons, la jalousie entre employés dans l’administration publique africaine, etc.) car c’est uniquement à cette condition que nous bâtirons une Afrique solide et prospère. Afro-optimiste, l’auteur reste persuadé que, « tôt ou tard, un déclic se fera dans la conscience des gens mais à condition qu’il y ait une élite triée sur le volet, décide à valider le processus d’assainissement » car , pour lui,
Pliya ne s’est pas prononcé uniquement sur des questions sociétales. Il savait aussi parler des choses de Dieu. Cultivé et brillant orateur, il dirigea le Renouveau charismatique catholique du Bénin pendant de nombreuses années. C’est dans ce cadre que j’eus l’occasion d’apprécier la profondeur de ses enseignements au lycée Sainte-Marie de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire) au milieu des années 1980. Bien avant, sa fille Isabelle, qui fréquentait Sainte-Marie, m’avait parlé de lui en bien. C’est en 2000, à Douala (Cameroun), que je revis Jean Pliya. Il était toujours passionné de Dieu et ses prédications, pleines de témoignages savoureux et édifiants, n’avaient rien à envier à celles d’un Bossuet ou d’un Lacordaire.
Recteur de l’Université nationale du Bénin (1981-1983) et professeur de géographie tropicale et économique à l’Université de Niamey (1983-1991), Jean Pliya tira sa révérence le 14 mai 2015 à Abidjan à l’âge de 84 ans .
Parmi ses nombreuses publications, on a présenté « Les tresseurs de cordes » (roman), « L’arbre fétiche » (nouvelle), « Kondo, le requin » (pièce de théâtre) qui porte sur la résistance anticoloniale du roi dahoméen Gbéhanzin et qui lui a valu le Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1967.
Jean-Claude DJEREKE