Festival Mvet-Oyeng : la toute petite et la très grande histoire des Ekang
Leçons tirées d’une palette de réflexions menées le temps d’une rencontre entre fils d’une même communauté.
Un peuple, tout un festival! Ces lignes marquent le point final d’une série puisée à l’intérieur d’une mosaïque de thèmes développés à Ambam en juillet dernier. On dira que c’est ici que votre journal quitte l’édition 2019 du Festival Mvet Oyeng. À sa manière, Intégration a fini de liquider l’essentiel de ce qu’il s’est dit dans le chef-lieu du département de la Vallée du Ntem. Dans cette aventure pleine de sensibilité et de vie, nous pensons avoir ravi notre public à travers des explications brèves, mais éclairantes. C’était là une façon de retranscrire le vivant, raconter sobrement sur le papier, sans discours politique ni pathos, tout le Festival Mvet Oyeng. Le fond de l’affaire était que nos articles soient en très forte résonance avec notre ligne éditoriale, celle-là même qui, depuis des années s’intéresse aux communautés d’Afrique centrale.
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Mais alors, que peut-on en retenir? Certains ont vu en ce festival le moment idéal pour recueillir des enseignements sur l’histoire des Ekang, leur trajectoire et leur avenir. Pour d’autres, il a constitué une chance de rencontrer d’autres «cousins» venus du Cameroun, de Guinée Équatoriale, du Congo et du Gabon (sans oublier ceux restés en Angola et même en République de Sao Tomé), prouvant l’existence d’une unité dynamique entre eux. «Ils sont venus rendre un hommage à leur histoire et élaborer d’autres moyens de transmettre un héritage». C’est la formule choisie par Jean-Brice Oke. Le linguiste congolais ajoute: «le festival Mvet- Oyeng a porté à l’évidence la marque de l’époque à la fois utile et plaisante. Utile parce qu’il a permis à l’Ekang de se définir à la lumière de ce qu’il n’est plus. Plaisante parce qu’il a incarné l’idéal communautaire».
Sur cette base, la rencontre d’Ambam ne relevait pas d’un quelconque lavage de cerveau, mais d’un choix délibéré, déclenché par une combinaison de constats crus. D’après ceux-ci, l’Ekang vit désormais dans un univers de vie pulvérisé et acculturé par des déviances (homosexualité, haine, alcoolisme, consommation de stupéfiants, violences -diverses…), le dérèglement climatique, le manque de solidarité, la modernité «païenne». «On retient alors que la communauté Ekang est en quête d’ordre, de repères et de sens».
Un état de choses favorisé par les avancées de coupeurs de bois, tout comme l’appétit des compagnies minières, qui veulent mettre la main sur leur périmètre, quitte à violer les réserves ancestrales.«En clair, l’environnement Ekang dépérit en silence», constate Harlet Ze, psychosociologue camerounais. À son avis, le peuple auquel il appartient doit trouver des solutions à ses défis climatiques, sociaux et démographiques. «Nos anciennes recettes ne marchent plus. Nous cherchons à jeter des ponts entre les politiques publiques, le monde économique, le monde de la finance et les entrepreneurs sociaux. Il n’y a plus de filtre. On est submergés par toute la tristesse du monde, et tout ça ne nous aide pas!» se plaint-il.
Ce qui n’aide pas non plus, c’est le délitement social, source inédite de confrontation des mœurs. À Ambam, certains intellectuels ont proposé de construire «la société du vieillissement», afin de permettre aux quatre ou cinq générations qui coexistent désormais, non pas simplement de se côtoyer, mais de vivre ensemble. À côté, il y a une nuée de craintes plus complexes: «si les Ekang adoptent cela, c’est leur extinction qui est décrétée», avise Martin Zoambe, sociologue congolais.
Jean-René Meva’a Amougou, à Ambam
Des mots et des Ekang…
Parlant du peuple auquel ils appartiennent, ils ont donné leurs avis.
Zoambe, sociologue congolais.
Dans cette zone, l’on a intégré que l’actualité du voisinage et des contrées lointaines est une dimension essentielle de la culture à l’heure de la mondialisation (…) il est clair que l’Ekang est “bon” consommateur de tous les médias et de l’actualité internationale, afin d’en percevoir les subtilités et d’en découvrir la signification. À travers divers supports, il la sent ou la devine, par le pouvoir de son intuition et la lucidité de son imagination. Je sais que j’exagère, mais à peine (…) L’Ekang est passé progressivement d’un temps individuel autocentré à un temps physique et social décentré, et d’un espace autocentré à un espace géographique et cosmique. Cette capacité de décentration lui a permis de comprendre d’abord l’évolution de quelques aspects des actualités internationales, de comprendre les interactions entre l’espace et les activités humaines et de comparer des espaces géographiques simples.
Pr Paul Essama Mbezele, universitaire
Les baromètres tenus par des personnes s’intéressant au comportement politique Ekang font figurer avec constance la méfiance, le dégoût et l’ennui dans les sentiments que ces gens ressentent à l’égard de la politique (…)Plus la politique devient l’apanage de quelques opportunistes, et se réduit à un simple divertissement “people” à l’égard du commun des Ekang, plus celui-ci s’en éloigne tous les jours (…)Politiquement, ce peuple n’est plus le même, les caractéristiques sociales des jeunes ne sont plus les mêmes, ils ne sont pas issus des mêmes milieux ni confrontés aux mêmes enjeux. Et tout cela aboutit à des cultures politiques elles-mêmes différentes.
Cyrille Mebenga M’Ebono, patriarche
L’ancien Ekang avait un projet de vie; il a grandi dans des familles où l’on faisait plus que respecter la culture du faire gaffe. Cela les a conduits à leur tour à craindre, comme la peste, la dépense non strictement indispensable (…)Bons vivants, amateurs de bonne chère, capables, plus que tout autre, de goûter l’instant présent, les jeunes dépensent aujourd’hui sans compter.
Emmanuel Ogandaga, ethnologue congolais
Nous sommes tous croyants pratiquants […] Chez tout Ekang, Dieu a choisi de se montrer, plus que de se démontrer. Ce sont les traces de sa présence qu’il convient de regarder de près, avec notre intelligence, notre volonté, notre cœur.
Propos rassemblés par JRMA
Fin de série