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Fermeture des frontières entre le Nigeria et ses voisins: visées fausses, justes cibles

Le monde est à l’écoute du Nigeria. Puissance pétrolière, puissance agricole, puissance démographique, puissance culturelle (avec Nollywood et la musique), ses dirigeants sont fâchés.

 

Il y a plusieurs mois, ils ont décidé de fermer les frontières de leur pays avec ses voisins. Officiellement, pour le gouvernement nigérian, il s’agit d’une opération de sécurisation de ses frontières terrestres. Cette opération dénommée «Ex-Swift Response» mobilise (depuis août 2019) l’armée, la police, les services d’immigration. Mais plus tard, l’argument sécuritaire est vite délaissé et on retiendra plutôt que la fermeture de la frontière est motivée par la lutte contre la contrebande des armes, du riz, des véhicules d’occasions, du carburant, des surgelés… se déroulant au niveau de ses frontières terrestres avec ses voisins; le Bénin étant désigné comme le principal fautif visé, aux côtés du Niger, du Tchad et du Cameroun.

Et du coup, l’effet est là: ce pays anglophone, enclavé dans un espace ouest-africain très majoritairement francophone, tient en respect toute la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). «Notre communauté vit des moments difficiles. Il y a péril en la demeure; nos acquis sont fragilisés par la fermeture des frontières terrestres aux marchandises entre le Niger, le Nigeria et le Bénin depuis six mois maintenant, ce qui a un impact négatif sur le volume des échanges intercommunautaires pour les années 2019 et 2020. Cette fermeture a des répercussions profondes sur les échanges, les opérateurs économiques, sans oublier les consommateurs qui doutent aujourd’hui de notre communauté», a déclaré l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou chez Jeune Afrique, le 15 février 2020. À décrypter la déclaration du président de la Commission de la CEDEAO, c’est l’économie de presque toute l’Afrique de l’Ouest qui est mise à très rude épreuve.

Au-delà des raisons avancées pour justifier cette fermeture qualifiée par beaucoup de politique de protectionnisme économique, d’autres y voient plutôt une volonté du gouvernement nigérian de montrer ses muscles pour imposer sa vision politique aux voisins. Derrière, l’École de guerre économique (IGE) n’exclut pas l’activité des lobbies. Ce centre international de réflexion rapporte d’ailleurs une déclaration du représentant de Olam (géant international de l’alimentation) au Nigeria. Selon Ade Adefeko, «depuis la fermeture des frontières, le riz produit localement se vend mieux, la production augmente». À en croire IGE, l’industriel a même demandé au gouvernement que la mesure soit appliquée «jusqu’à la fin de l’année pour voir les conséquences sur le plus long terme».

IGE considère aussi cette fermeture de frontières comme une pression sur le gouvernement béninois. Ce dernier a refusé, en 2017, de renouveler la licence de l’opérateur nigérian de téléphonie mobile Globalcom, malgré les interventions des uns et des autres. Pour d’autres observateurs, il s’agit plutôt d’une mise en application des représailles de l’homme le plus riche d’Afrique, Aliko Dangote, qui a aussi essuyé des refus pour l’installation de sa cimenterie au Bénin et sur bien d’autres points.
En tout cas, le Nigeria le sait: ses moindres faits et gestes sont scrutés. Toute la CEDEAO espère que si le pays a traditionnellement fait preuve d’un esprit d’ouverture en se montrant à l’écoute des enjeux de ses voisins francophones, en conduisant une politique étrangère responsable acquise au règlement multilatéral des différends entre nations, il peut aussi revenir à de meilleurs sentiments.

Rémy Biniou

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