Ekié à Yaoundé : Par ici le «dynamisme rwandais»
Dans ce quartier, le déploiement des ressortissants de la zone des Grands Lacs démontre les effets conjugués de leurs spécificités économiques et sociales liées principalement à leur volonté de s’émanciper du statut de réfugiés.

Il y a peu, à Ekié, la folie ambiante a fait paraître une expression: «réfugié économique». Dans ce quartier enfoui dans le quatrième arrondissement de Yaoundé, les mots ont un sens. Surtout, leur agencement dans le discours public fait sens lorsqu’on évoque la communauté rwandaise. Plutôt que de crier à l’invasion, Placide Mendounga affirme que ceux qui, hier, ont sollicité le statut de réfugié ici sont devenus des individus à l’esprit pionnier dans les affaires. La satisfaction de ce notable de la chefferie de 3e degré d’Ekié se lit à l’aune du «dynamisme rwandais, lequel délivre une image positive des milieux d’affaires qui se développent dans le tissu urbain».
Culture de propriétaire
«Dynamisme rwandais», l’expression semble modérée. En tout cas, elle résume l’aptitude d’une communauté venue de la lointaine zone des Grands Lacs à poursuivre son destin socio-économique dans la capitale camerounaise. Analysé en profondeur, le déploiement rwandais dans ce quartier démontre les effets conjugués de leurs spécificités économiques et sociales liées principalement à leur volonté de s’émanciper du statut de réfugiés. Au quotidien, cela est avant tout un construit psychologique inféré qui explique l’efficacité des comportements. «Nous nous efforçons de prouver que nous ne sommes que des immigrés ordinaires, même si c’est la tragédie survenue dans notre pays qui a mécaniquement déclenché notre départ», aborde Gaston Buleli, chef de la communauté.
Il ajoute: «C’est dans notre sang, être propriétaire de quelque chose qui rapporte». Autrement dit, il serait généreux d’invoquer le concret: «Ici à Ekié, il y a des Rwandais bailleurs immobiliers, beaucoup d’autres ont investi dans le commerce de gros avec des chiffres et des bilans conséquents», confie Armand Nga Mbarga, socioéconomiste et auteur d’une étude sur le sujet. Dans celle-ci, on lit les chiffres, on les relit et on aimerait les faire mentir. Mais la réalité est là: «sur 56 Rwandais basés ici, 38 sont des hommes d’affaires. Les indicateurs de parité sont flatteurs 23 % des femmes».
Créneaux
À fouiner un peu, de nombreux cas s’affichent. Parmi eux, il y a des personnes qui ont joué un rôle clé dans la création de certaines entreprises. Elles s’y sont impliquées durablement, même si elles n’apparaissent pas parmi les détenteurs du capital. L’investissement dans une mini-cité, un restaurant, un café ou un petit hôtel, c’est leur affaire. Certains de nos interlocuteurs affirment exploiter ce créneau depuis plus de 5 ans. En général, ils ont eu une formation professionnelle dans leur pays d’origine. D’autres sont venus de leur propre chef ou ont été démarchés par des entrepreneurs camerounais. Pour les Rwandaises rencontrées ici, elles revendiquent des activités commerciales. Leur tableau trahit le développement des stratégies d’organisation bien spécifiques dans des réseaux qui leur offrent des possibilités de se livrer à des secteurs où elles n’ont pas besoin de gros investissements ni de gros capitaux.
À écouter tout ce monde, beaucoup indiquent se sentir plus à l’aise financièrement après leur départ du Rwanda, même s’ils envisagent d’y retourner. Selon toute probabilité, ils sont des personnes d’âge actif, affichant parfois des taux d’activité supérieurs à ceux des nationaux, de sorte qu’on peut s’attendre à un excédent de ressources par rapport à celles qu’ils consacrent à leur vie quotidienne; et de fait sont capables d’atteindre les taux d’épargne élevés nécessaires pour transférer des montants élevés dans leur pays.
Jean-René Meva’a Amougou
Gaston Buleli
«Le Rwandais aime les affaires»
Le chef de la communauté démontre combien ses compatriotes sont capables d’un maximum de sens économique.
Une certaine opinion commence à croire que le Cameroun est une bonne terre d’affaires pour vos compatriotes. Selon vous à quoi cela est-il dû?
Il faut dire que c’est plus le fait que la société camerounaise sait intégrer les migrants. Même si cela n’est pas suffisamment relayé, le Cameroun a mis en place une politique insistant sur l’intégration de tous les migrants et particulièrement avec ceux désireux de travailler dur pour réussir afin d’être un moindre fardeau.
Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’il est très difficile pour un réfugié de faire des affaires dans son pays d’accueil?
Au-delà de ce qu’il s’est passé, le Rwandais aime les affaires et construit son modèle partout où il se trouve. Dans notre culture, il y aurait une forme de représentation collective autour de ce qu’est, ou doit être, ou peut être le Rwandais; car entreprendre n’est pas chose nouvelle pour lui comme on tend souvent à le penser. À mon avis, un tel discours a ceci de gênant qu’il est foncièrement naïf, faux, redondant et bon pour ceux qui se congratulent sur les réseaux sociaux au terme des dissertations savantes et pontifiantes.
Quelle est la dynamique inhérente à l’impulsion desdites affaires ici au Cameroun?
Je dirai qu’il y a une énergie déployée auprès de possesseurs locaux de ressources. Mes compatriotes ont dû montrer aux possesseurs de ressources qu’ils sont capables de leur apporter de la valeur. Personnellement, pour faire partie d’un holding immobilier ici, j’ai montré de façon concrète comment l’argent va rentrer et, de façon plus abstraite, comment vont se dérouler les relations d’échange avec les parties prenantes. Alors, ici au Cameroun, plutôt que d’être dans le sens de la continuation des tendances existantes, la dynamique dont vous parlez opère surtout dans l’innovation et demande une démarche elle-même innovante et en rupture.
Et puis, je dirai qu’au sein de notre communauté basée ici au Cameroun, l’existence de forts liens de solidarité intracommunautaire joue donc un rôle essentiel.
Rencontrez-vous des difficultés? Si oui, lesquelles?
Il y a surtout l’accès au crédit bancaire. On peut aussi citer la difficulté pour un entrepreneur «réfugié» de se voir octroyer ce type de prêt. Pour les banques, prêter à un businessman qui a un tel statut représente un risque plus grand que de prêter à un entrepreneur local. Pour contourner cela, le recours au financement par l’intermédiaire de la famille et des amis, avec des taux d’intérêt très bas, est privilégié.
Propos recueillis par JRMA