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Dr Heumen Tchana Hughes : «Nous demandons à la France une dérogation pour la restitution du patrimoine camerounais»

Le directeur du Musée national du Cameroun fait le point du travail effectué par l’institution placée sous sa gouvernance.

 

Vous venez de prendre part à une réflexion sur le rôle des musées dans un contexte de restitution du patrimoine culturel africain. S’agissant du cas du Musée national du Cameroun, la structure a-t-elle la capacité aujourd’hui d’accueillir des œuvres d’art rétrocédées?
Interroger la capacité du Cameroun à recevoir les objets d’art à rétrocéder, c’est une vision européocentrique. Une vision négative; mais les panafricanistes ne voient pas la chose comme ça. Est-ce que les Africains sont capables de conserver ces objets d’art? Ce n’est pas là le problème. Lorsqu’ils venaient prendre ces œuvres en Afrique, elles étaient bien quelque part et conservées. La question n’est donc pas de savoir si nous sommes capables de les conserver: remettez-nous ces objets et nous allons nous en occuper. Il faut d’abord revoir le contexte d’acquisition de ces objets: le rapt, le vol…
Nous voulons ces objets, mais au-delà de ça, le Musée national du Cameroun est en train d’opérer sa mue. Notamment sur le plan de la sécurisation physico-chimique. Sur le plan physique, nous avons installé des caméras de surveillance parce qu’il y avait un problème de sûreté des objets. Sur le plan physico-chimique, nous travaillons sur les réserves pour garantir les meilleures conditions de conservation des objets afin d’augmenter leur durée de vie.

Parlons justement des biens culturels du Musée. Quelle est l’étendue du patrimoine du Musée national?
On parle de 6000 objets d’art environ. Mais là-dessus, il y a un travail à faire parce que la vision culturelle du Cameroun est centrée sur la répartition équitable et schématique des œuvres. Des dispositions sont en train d’être prises pour que chaque aire culturelle soit représentée de manière équitable.

Des projets en cours depuis quelques années visent la modernisation du Musée national. Comment évaluer leur impact sur l’objectif visé de renforcer les capacités d’accueil, de gestion, conservation et présentation des œuvres d’art?
Au niveau structurel, nous avons mis sur pied un plan de formation du personnel. Deux personnes étaient en décembre à Nantes pour des questions de numérisation, conservation et photographie des objets. Une autre ira au Musée d’Aquitaine à Bordeaux d’octobre à décembre 2023 pour une autre formation. J’ai personnellement, en ma qualité de directeur du Musée national, été en France pour une formation sur le montage des expositions. Je vais y retourner en juin-juillet pour un travail sur la recherche et la documentation des collections camerounaises dans le cadre de la mission Dakar-Djibouti 1931-1933. Ce qui est important ici, c’est qu’il faut documenter toutes ces collections avant de parler de restitution.

Sur un tout autre niveau, l’État du Cameroun a mis sur pied le comité interministériel de rapatriement des biens indûment exportés. La première réunion de ce comité a eu lieu le 1er février 2023. La principale résolution était de dresser, dans l’urgence, une liste de collections pour faire passer une première demande de restitution des biens culturels. Nous travaillons là-dessus. Il faut dire que certains pays comme l’Allemagne sont ouverts aux négociations relatives à la restitution des biens. Au niveau de la France, les choses sont encore bloquées avec le Code du patrimoine. Sur le plan législatif, celui-ci ne permet pas qu’il y ait une restitution. Et même s’il y a eu une restitution au Bénin et au Sénégal, il y avait eu une loi exceptionnelle en France, votée le 24 novembre 2020. C’était une sorte de dérogation pour permettre la restitution de ces objets. Ce que nous demandons à la France, c’est une dérogation expresse pour permettre la restitution des objets camerounais; afin qu’il y ait un certain humanisme dans la coopération entre la France et le Cameroun.

Vous rendez ainsi compte de l’évolution du projet de restitution des œuvres d’art camerounaises. De combien de collections parle-t-on?
On parle de 1300 objets d’art en France, parce que, figurez-vous, que le Cameroun vient en deuxième position des collections du Musée du Quai-Branly avec 7838 objets à lui seul. L’Allemagne également en a beaucoup, son principal musée conserve à lui seul 5000 objets du Cameroun.

Le Musée national se consolide donc comme vitrine de promotion de la culture et l’art du Cameroun. Peut-on avoir des données chiffrées du flux de visiteurs?
En 2022, le Musée national a eu 30% de visiteurs en plus qu’au courant de l’année 2021. En 2020, on avait 6000 visiteurs. Le Musée est de plus en plus visité par les Camerounais parce que, comme je le dis toujours à mon personnel, le public n’y viendra que s’il s’y retrouve. Il faut donc avoir une démarche volontariste et aller vers ce public. En plus, les œuvres d’art sont polymorphes et polysémiques, il faut donc offrir au public les clés de compréhension pour optimiser les visites. L’année passée, on a eu une campagne dans ce sens. Nous sommes allés vers 7 800 établissements scolaires. Nous sommes allés vers ces élèves pour les amener à découvrir le Musée national parce que l’épithète « national » accolée au musée n’a pas une simple valeur ornementale. C’est un musée qui s’adresse à tous et à toutes sans distinction. Le président de la République a voulu faire de ce musée un symbole de la culture camerounaise, le symbole même de la consolidation de l’unité nationale.
Lorsqu’un visiteur arrive dans un musée pour la première fois, il n’a pas l’intention de revenir parce qu’il s’attend à voir les mêmes objets. Voilà qu’on demande aux musées de multiplier les expositions temporelles; ça permet de combler les difficultés du public. L’année dernière, nous avons eu une exposition temporelle qui était «Contact zone». Elle a drainé beaucoup de visiteurs. Cette année nous avons «Memoria» et nous en sommes à 4 900 visites pour la seule semaine passée. C’est un record.

Interview menée par
Louise Nsana

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