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Dérogations spéciales du MINDCAF : dans le business d’octroi des titres fonciers au Cameroun

L’obtention de ce document préalable à la titrisation des terres dans certains départements du pays ouvre la voie à plusieurs actes de corruption et de concussion.

L’immeuble ministériel n°2

L’obtention des titres fonciers reste adossée à une autorisation spéciale du ministre des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (MINDCAF) dans la Sanaga-Maritime. La décision rendue publique courant avril 2020 n’en divulgue pas les raisons. Mais la démarche, renseigne-t-on au ministère, vise à résoudre les problèmes d’accaparement des terres villageoises par des personnes véreuses. «Ce qu’on recherche, c’est une sorte d’équilibre dans le processus d’acquisition. On constate que des personnes fortunées s’approprient les terres en quantité importante, souvent au risque de menacer de s’approprier des villages entiers», explique M. Manif, en service à Yaoundé.

La décision rendue immédiatement exécutoire a donné naissance à une nouvelle caste d’agents immobiliers, les financiers. Ces détenteurs de capitaux proposent de mettre leur argent au service de l’obtention de l’immatriculation des parcelles, en échange d’un pourcentage des terres. Paulin M., jeune héritier, a obtenu l’immatriculation de la plantation familiale à Missolé 2, dans l’arrondissement de la Dibamba, par ce canal en 2021. «Notre financier n’a pas dérangé et notre titre foncier est sorti après un an et demi. Cela a pris du temps parce qu’on hésitait. Je voulais d’abord me rassurer qu’on n’aurait pas de problèmes avec ce monsieur. Donc, on retardait la signature des documents qu’il présentait. Après, on a signé un protocole d’entente et il nous a amené chez un notaire pour la légalisation», raconte-t-il. Le service rendu vaut son pesant d’or, 30% de la palmeraie déjà productive, soit un hectare et demi. Mais Paulin M. est satisfait. Il sait son bien patrimonial «en sécurité». D’autant plus qu’il n’aurait pas eu les moyens de parvenir à ce résultat, car dans le village de plus de deux cents agriculteurs, on le sait, l’obtention de la dérogation nécessite à elle seule 2 millions FCFA. «Les financiers avaient expliqué qu’il est difficile de parvenir jusqu’à l’étape de la signature du document par le ministre. Donc, il faut passer par des gens à Yaoundé; et chaque intermédiaire prend entre 300 000 et 500 000 FCFA. Le ministre n’est pas en reste». Cette version de faits confirmée par une autre source. «Il avait organisé une réunion ici où il parlait de ce problème et il a confirmé que ça prend énormément d’argent et de temps. Donc, on a commencé à se rapprocher des financiers. Il y en a beaucoup qui se sont présentés», raconte Solange T.

La pression pour les villageois est d’autant plus forte à cette période que le Cameroun vient de lancer sa Stratégie nationale de développement (SND30). Et des projets sont annoncés dans certaines zones sur la route reliant les pôles portuaires de Douala et Kribi. «J’étais chez moi à Douala. On m’a appelé pour me dire que des gens sont dans mon champ. Ils ont des appareils et mesurent la superficie. Personne ne sait qui étaient ces personnes. Elles ont fait la même chose dans d’autres plantations. Ils disaient qu’un projet va passer, mais on ne sait toujours rien. Personne ne nous a rien dit», se souvient Louise T, propriétaire de sept hectares de palmeraies. La sexagénaire fait également appel à un financier. L’expérience négative la conduit à recourir aux services d’un avocat et à entamer personnellement les démarches auprès du MINDCAF.

La dérogation, un service gratuit
«On m’a donné le contact d’une dame au ministère. Je suis partie la rencontrer avec 250 000 FCFA sur moi. Arrivée sur place, elle m’a expliqué que personne ne doit rien me demander. Qu’il n’y a rien à payer. J’ai déposé le dossier depuis décembre, j’attends son coup de fil». La procédure de demande de dérogation nécessite une demande adressée au ministre des Domaines, un plan de la parcelle et la photocopie de la carte nationale d’identité du demandeur, a-t-on appris ce 22 février 2023 de source formelle dans les services centraux du MINDCAF à Yaoundé. Dans les couloirs de l’immeuble siège, des frais sont pourtant perçus. Le service n’est pas gratuit. Des fonctionnaires de ce département ministériel multiplient des stratagèmes pour tirer parti de la situation, a-t-on pu constater sur place cette semaine. Rendus sur place sous le prétexte d’un renseignement, nous sommes accueillis dans un bureau du premier étage par un homme qui se propose bénévolement de nous aider à obtenir le précieux sésame. Cela vous coutera «200 000 FCFA», explique-t-il. Et encore: «Cet argent n’est pas nécessaire à ce stade de la procédure. Il faut juste composer le dossier. Je vous dirai quand est-ce qu’il faut apporter l’argent». Lui-même, se contentera d’un cadeau de remerciement à notre choix, fait-il entendre.

Des titres fonciers au nom des financiers
La réalité sur la gratuité de la procédure d’obtention de l’autorisation spéciale du ministre est ignorée dans le village improvisé de Missolé II, à quelques kilomètres d’Edéa. Ou du moins, elle est édulcorée. «On nous a dit que maintenant, on ne demande plus d’argent. Mais au début, ce n’était pas comme ça. Quand le ministère a sorti la note, ils nous ont montré ça ici», explique Paulin M. Un changement de paradigme dans les procédures n’a pas eu lieu au ministère, a-t-on appris. En attendant, le terrain du jeune homme de 27 ans est enregistré au nom du financier. «Il a fait le titre foncier à son nom parce que nous, on n’a pas encore l’âge légal. Et donc, on apparaît sur le titre comme «Et consorts». On doit maintenant faire le morcellement. Je crois que ce sera à ma charge, je vais de toutes les façons en reparler avec lui».

La pratique semble être un élément incontournable dans les clauses des financiers. Ces derniers se servant en grande majorité de l’âge légal requis de 40 ans minimum. Ce point est l’élément à l’origine de la discorde entre Louise T. et son financier. «Il insistait pour mettre son nom, disant que c’est pour être sûr que je ne vais pas le duper après. Je lui ai demandé comment cela pourrait se faire alors que j’ai 66 ans et mon mari en a plus. On est lié par un contrat. Si je le trompe il n’a qu’à porter plainte. Il n’a rien voulu entendre. J’ai aussi refusé parce que ma fille m’avait déjà mise en garde. Après ça, il a disparu, il ne répondait plus à mes appels. Sa secrétaire ne me laissait plus passer comme avant. Et dans tout ça, il détenait les papiers de mon terrain. Il avait demandé ça pour la procédure». La mère de neuf enfants est rentrée en possession de ses documents après une opération coup de poing. Le contrat la liant à ce businessman est désormais caduque.

Louise Nsana

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