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Côte d’ivoire 2023 : le coup franc de l’intégration en Afrique de l’ouest

Déjà réelle bien avant le tournoi, la libre circulation des personnes et des biens donne à voir l’accomplissement de l’idéal communautaire dans cette partie du continent. 

 

Soirée football à Yamoussoukro. Klaxons, cris, drapeaux, embouteillages et chants rythment l’ambiance. À divers  lieux de la ville, l’expression linguistique est soutenue par le wolof, le bambara, le haussa. «C’est normal quand on sait que partout en Afrique de l’ouest, ces schèmes langagiers sont courants. Et parce qu’elle accueille la CAN, cet aspect trouve une bonne explication dans les rues de San Pedro, Korogho, Yamoussoukro ou d’Abidjan réputées être des zones carrefours ou de transit facilement accessibles par voie terrestre à partir de tous les pays voisins de la Côte d’Ivoire», démontre Damady Ousmane, citoyen camerounais basé au Mali. Si chaque jour il expérimente la libre circulation des personnes et des biens entre tous les pays de la zone Uemoa, cet homme d’affaires dit vivre une expérience plus enrichissante à l’occasion de la CAN 2023. «Toute l’Afrique de l’ouest est libre d’accès en Côte d’Ivoire. Il n’y a aucune restriction qui soit imposée à quiconque. La seule condition, pour tout ressortissant ouest-africain, est la présentation d’une pièce d’identité valide», explique Damady Ousmane. Dans le monde des supporters… Pour beaucoup, être présent en Côte d’Ivoire, sur le lieu de la compétition est très valorisé et constitue la version la plus «noble» de l’engagement. À Bouaké, Yamoussoukro et autres, ils sont venus par escouades. Qu’il s’agisse du 12e Gaindé sénégalais, des Mbaîou burkinabè, du Silyma guinéen ou encore de tout autre groupe, la ferveur des supporters des équipes ouest-africaines à la CAN déborde aussi hors des stades. Elle s’étend aux espaces publics avant et après les matchs. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la Can en Côte d’Ivoire engendre des mobilités humaines qui visent à accompagner les différentes équipes. Entre le pays de Félix Houphouët Boigny et le Mali par exemple, le corridor routier Bamako-San Pedro long de 140 km, fait également office de musée à la gloire de l’intégration sous-régionale. Avec la Can, le sentiment que ce tronçon est une propriété collective s’agrège de plus en plus, ce d’autant plus que les liens de proximité entre supporters se sont distendus sous l’effet de la libre circulation des biens et des personnes en Afrique de l’ouest. Selon Gustave Samnick, journaliste camerounais présent en Côte d’Ivoire, «la forte mobilité géographique qui préside à la distribution de la population sur les villes ivoiriennes hôtes de la Can s’accompagne de la création de nombreuses sections délocalisées de supporters attachés à leurs équipes respectives». «Sur le terrain, observe encore l’homme de médias, avant même le début de la compétition, la géographie et la démographie des supporters s’est affranchie des frontières, favorisant la réalisation de déplacements, plus ou moins systématiques, afin de se rendre dans les stades où se produit leur équipe favorite; d’où de puissants mouvements migratoires». Ainsi, le tableau qu’affichent les supporters venus du Burkina Faso, de Gambie, du Sénégal, du Nigéria, du Ghana, le voyage vers la Côte d’Ivoire, théâtre de la Can 2023, est de loin l’expérience la plus importante à leurs yeux. «L’acte de présence en ces lieux est perçu comme le gage de l’authenticité et de la sincérité de la passion, une manière de conforter leur identité communautaire», explique Gustave Samnick. Ainsi pensée, «la CAN 2023 résonne comme un hymne qui, non seulement évoque des territoires distincts, mais reflète également le brassage culturel et identitaire de toute l’Afrique de l’Ouest. «Hors des stades, l’intégration des peuples de cette partie du continent se vit. Il est évident que là-bas, elle fonctionne comme un étendard; dans un espace où les citoyens de pays voisins ou non à la Côte d’Ivoire se côtoient fréquemment», articule Emmanuel Mbarga, expert camerounais en intégration sous-régionale. D’après de nombreux autres observateurs sur place, l’événement Can 2023 autorise la réalisation de la communauté imaginée, puisque l’afflux de
nombreuses communautés ouest-africaines au stade s’apparente à un rite unificateur. Séjour À quoi ressemble celui de ce beau monde en terre ivoirienne? Selon quelques-uns approchés par nos différents correspondants, le jour de match est d’abord l’occasion d’une exploration partielle et «orientée» de la ville. Tel un pèlerinage sur des lieux saints, la venue à Bouaké, Yamoussoukro et autres a à voir avec une forme de «tourisme sportif» dont il est possible de dégager les principes. Des catégories de hauts lieux peuvent être relevées. Structurant l’espace de la ville investie par les supporters, organisant leurs cheminements, flux et circulations, ils sont hiérarchisés selon l’échelle
des valeurs propre à ces derniers. Après leurs arrivées en Côte d’Ivoire, de nombreux supporters étrangers se dirigent avec empressement vers les fans zones. Dans ces lieux, où ils se bousculent pris d’une frénésie sans pareille. Tel qu’ils sont construits par leurs promoteurs, les fans zones sont au plus près des équipes. Ces endroits sont ainsi des points de ralliement des supporters. Bien sûr, le lien avec le stade est, en effet, très fort. Tel un sanctuaire, le lieu fait l’objet de la vénération de tous les supporters. Aussi les abords de stades ressemblent-ils à des sites fortement touristiques les jours de match. Dès le matin, le ballet des voitures et des minibus est incessant. Des grappes de supporters arborant des vêtements aux couleurs des équipes et appareils photographiques à la main, envahissent l’esplanade face à l’enceinte. En ce sens, rejoindre les supporters locaux en se rendant au stade marque si profondément les membres des groupes de supporters. Là, plus qu’en tout autre endroit, ils peuvent clamer, eux aussi, leur fierté. Surtout, ces espaces de sociabilité sont fondés sur l’importation du rôle de supporter en dehors des enceintes sportives. Lors des grands rendez-vous, les individus revêtent un maillot ou arborent une écharpe aux couleurs de l’équipe pour manifester symboliquement leur attachement et leur solidarité vis-à-vis des supporters présents dans le stade. Des chants y sont parfois entonnés. Le sens de cette pratique tient d’abord à ce que les passionnés peuvent participer individuellement à la fête collective dont le match est l’occasion. Plutôt que de clamer silencieusement la passion pour quelque équipe, en privé, les individus revendiquent haut et fort leur appartenance à la communauté des supporters, parfois en se confrontant aux partisans adverses. Moment de convivialité partagé entre amis, le match vu est aussi et surtout un moyen privilégié d’être en prise avec le stade et la communauté des supporters de «son» équipe. Dans les esprits vit l’image de leur communion, d’une fraternité et d’une camaraderie profondes.

Jean-René Meva’a Amougou

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