Cemac : Une cyclicité des Sommets qui inquiète
En cinq ans, la Cemac a tenu trois Sommets extraordinaires sur la situation économique avec des résolutions qui se rejoignent quasiment. Pourtant, rien ne semble bouger.
Si la crise liée à la pandémie mondiale du Covid-19 a considérablement amoindri les fondamentaux des États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), il n’en demeure pas moins que les économies de la Cemac souffrent structurellement des mêmes maux depuis décennies. Alors que les Chefs d’État se réunissaient en Sommet extraordinaire de sauvetage économique ce 18 août 2021, les résolutions ont abouti à une thérapie déjà connue, voire déjà administrée aux pays membres.
Les résolutions des Sommets extraordinaires d’août 2021, novembre 2019 et décembre 2016 peuvent se recouper en quatre grands modules : ajustement budgétaire collectif pour la maitrise des déficits, appui des partenaires pour la réalisation des plans d’ajustement, implémentation urgente de la diversification économique, refus de l’ajustement monétaire, c’est-à-dire la dévaluation du Franc CFA.
Maladie congénitale
À la vérité, ce que révèle la cyclicité des sommets extraordinaires c’est que la Cemac n’a pas pu se départir de certaines insuffisances non résolues dans sa trajectoire historique. Ce qui la condamne à courir après le refus de l’ajustement monétaire par modification de la parité fixe.
L’héritage colonial est fondateur de l’intégration régionale au sein de la Cemac. Une intégration qui est née autour d’une union monétaire. L’union monétaire avec le Franc CFA comme monnaie unique n’a pas été solidifiée avec la consolidation économique.
C’est-à-dire que la monnaie de la Cemac n’est pas assise sur une économie productive intégrée. Pire, nos économies sont extraverties, elles sont dépendantes essentiellement du marché international et des importations de la denrée alimentaire la plus basique. Les économies produisent uniquement des matières premières identiques qu’elles vendent à l’état brut à l’international. Les pays échangent très peu entre eux. Moins de 2% en 2018 et la pandémie a considérablement affaibli avec les mesures de contingence sanitaire. Pire, certains pays préfèrent aller acheter des produits alimentaires en Argentine ou en Scandinavie alors que ces produits sont disponibles dans des pays de la sous-région.
En 2020, pour maintenir la stabilité monétaire, les pays ont dû compter sur le FMI et la Banque mondiale pour assurer un niveau de réserves de change suffisant. La réunion tripartite d’avril 2020 réunissant les États membres, les institutions communautaires (Commission Cemac, Beac, BDEAC) et les partenaires techniques (FMI, Banque mondiale, BAD) a permis effectivement d’obtenir cette manne.
Que faut-il de plus?
Les chefs d’État préconisent l’industrialisation tirée par la diversification économique depuis plusieurs années. L’objectif est de modifier le paradigme économique pour une meilleure résilience quand l’économie internationale est hostile. Mais pourquoi les pays éprouvent des difficultés à réaliser ces réformes. L’évaluation des trois premières années de mise en œuvre du Programme des réformes économiques et financières de la Cemac démontre que le pilier 3 correspondant aux réformes structurelles est le moins performant.
C’est ce pilier qui devrait directement permettre d’en finir avec l’étroitesse des économies.
Le Sommet extraordinaire de Yaoundé a insisté sur la solidarité. Laquelle solidarité devrait amener les pays à opérer collectivement des choix de gouvernance économique d’efficience. Selon la Banque africaine de développement, le Covid-19 a engendré 32 millions de pauvres nouveau en Afrique en 2020. En 2021, 31 millions d’Africains devraient encore basculer dans la pauvreté selon l’institution panafricaine de financement du développement. L’Afrique centrale est la région la plus affectée du fait d’un modèle économique désuet.
Bobo Ousmanou
Surveillance multilatérale
Indiscipline économique caractérisée
En 2019 et plus grave en 2020, les pays de la Cemac ont été moins assidus au respect des critères de convergence qui constituent le socle communautaire de la viabilité macroéconomique.
«Si les pays de la Cemac ne respectent pas déjà leurs propres règles de maîtrise des déficits et de bonne gouvernance publique, comment espérer qu’ils soient plus sérieux à l’avenir? Sans le fouet du FMI et notamment des fonds qui y sont affectés, les pays de la Cemac seraient en cessation de paiement depuis bien longtemps», scande un doctorant de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Yaoundé II.
Le Rapport de surveillance multilatérale 2019 et perspectives pour 2020 et 2021 relève le niveau d’indiscipline économique et financière des États membres de la Cemac. L’état de conformité aux critères de convergence indique que deux pays ont clairement dépassé le niveau requis de la dette publique rapportée au produit intérieur brut (PIB). Il s’agit du Congo (99,8%) et du Gabon (74,8%). Le tocsin devrait être sonné car la pandémie a provoqué des envolées de dette incroyables. Le Gabon est passé de 57,4% en 2019 à 74,8% en 2020 soit 17,4 points d’endettement en un an. Le Congo quant à lui est passé de 83,0% en 2019 à 99,8% en 2020, soit 16,8 points en un an. Pour le cas du Congo, on peut conclure que le niveau de dette publique de ce pays est désormais équivalent à la richesse créée à l’intérieur et à l’extérieur.
Cette tendance d’endettement est confirmée au niveau communautaire, car le niveau d’endettement public rapporté au PIB de la Cemac est passé de 49,1% en 2019 à 55,6% en 2020 soit 6,5 points en un an.
Les autres critères (de premier degré) de la surveillance multilatérale sont le solde budgétaire, l’inflation et les arriérés de paiement cumulés. En 2019, le Cameroun et la Centrafrique ont été assidus au niveau d’endettement qui est inférieur à 70% et au niveau d’inflation inférieur à 3%. Le Congo a respecté le niveau de solde budgétaire qui doit être contenu à -1,5% et à l’inflation. La Guinée Équatoriale a contenu son solde budgétaire et son endettement public dans les clous de la Communauté. Le Gabon n’a respecté qu’un seul critère en 2019, celui relatif à l’inflation.
Un premier enseignement, aucun pays n’a pu régulariser ses arriérés de paiement. Pourtant, il s’agit de la dette intérieure et donc d’un levier de relance économique. Les opérateurs économiques peuvent continuer à développer une certaine psychose des prestations de service à l’État si cette situation persiste. Le Plan communautaire de relance économique PostCovid-19 indique d’ailleurs «l’État étant un des principaux clients du système productif, le non-respect des échéances de paiement compromet la concurrence et tend à figer la structure du marché privilégiant lorsqu’il y a des appels d’offres, les grandes entreprises qui bénéficient d’un avantage de situation».
BO
FCFA
Paravent ou Tabou pour Paris?
La réflexion pour la réforme monétaire devra donc se poursuivre tel qu’a décidé le Sommet extraordinaire de la Cemac du 18 août dernier.
La coopération monétaire entre les six pays de la Cemac devra donc évoluer dans un certain avenir. Seulement, il faut bien savoir quel modèle économique va soutenir la réforme de la coopération monétaire. Contrairement aux économistes souverainistes, les économistes réalistes, qui conseillent plusieurs chefs d’État de la Cemac et largement de l’Afrique centrale, insistent sur le fait que ce n’est pas la monnaie qui fait l’économie, mais c’est l’économie qui fait la monnaie. Le schéma devant conduire vers la réforme du FCFA est donc clair: d’abord les réformes macroéconomiques et budgétaires, ensuite les réformes structurelles d’industrialisation tirée par la diversification économique et enfin les négociations pour la réforme.
Aubaine pour Paris?
Ce schéma ne déplairait pas à Paris. Alors que les pays de la Cemac ont présenté à la France pendant le Sommet leur volonté d’aligner la coopération monétaire actuelle sur la coopération monétaire internationale PostCovid-19, la France a choisi de se faire représenter à ce Sommet par le directeur général du Trésor du ministère des Finances français.
Au plan diplomatique et protocolaire, le message est très clair. Paris n’éprouve aucune attention sérieuse à ce qui est suggéré.
Pourtant, le rapport sur l’évaluation de la situation macroéconomique dans la Cemac en contexte de pandémie du Covid-19 et analyse des mesures de redressement présenté pendant le Sommet présente trois axes de réforme monétaire: l’indépendance de la banque centrale; les mécanismes de discipline budgétaire de la Cemac et la résilience de la zone aux chocs exogènes engendrés par les prix du pétrole. «L’indépendance des banques centrales est plus que jamais un élément clé de la confiance dans la capacité de remplir le mandat de stabilité externe et interne de la monnaie», argumente ledit rapport.
BO