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Cemac: passé imparfait, présent pas simple, futur conditionnel

Le passé sur la scène du présent

 

Dans «Alice au pays des merveilles», les protagonistes fêtent les non-anniversaires. Faut-il à notre tour, assimiler les 30 ans de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) à un non-anniversaire? Le propos peut sembler provocateur, mais il en dit long sur le chemin parcouru depuis le 16 mars 1994. Parmi tous les traits qui font de cette date une référence de premier plan, il y a le souvenir de la signature à N’Djamena, au Tchad, du Traité instituant la Cemac. Trente ans déjà que cela s’est passé. Trente ans ! Par sa puissance d’évocation, cet âge se dit aujourd’hui sous forme de tableau narratif où le temps fait sens. N’étant pas simplement lié à l’horloge, ce temps est surtout l’expression d’un passé imparfait, un présent pas simple, un futur conditionnel, pour parodier l’artiste-musicien camerounais Ben Decca. Comme on peut aisément le deviner, cet ensemble nous invite à porter une attention non seulement sur le devenir proche ou lointain de la Cemac, mais aussi à réfléchir plus profondément sur sa vocation, son rôle, là encore passé ou futur, et finalement à son apport dans le chantier de l’intégration sous régionale.

Trente ans…La Cemac se met en scène et se prend en selfie devant une opinion travaillée par des points de vue différents. Ici, l’on pense que les fondations des murailles qui ont été élevées jusqu’ici vacillent parfois, donnant même l’impression de s’écrouler sous le poids de multiples faiblesses et de l’échec de plusieurs instruments. De quoi faire prospérer la raillerie selon laquelle la Cemac travaille à sa propre perte. Là-bas, on soutient que, depuis 30 ans, la machinerie institutionnelle de la Cemac a réussi à faire avec, c’est-à-dire à chercher à contrecarrer son déclin relatif en augmentant et en renforçant ses leviers de survie. En 30 ans, innombrables sont les récits autour de la Cemac. Innombrables sont les approches possibles desdits récits. Tantôt on pose la question de son fonctionnement, tantôt celle de son pouvoir réel. Tantôt on se place sur le pôle de la polémique et de la controverse. En l’occurrence, il ne s’agit pas de savoir s’il faut étudier la Cemac. À la faveur de la Journée dédiée à cette institution, l’ambition du présent zoom est d’ouvrir la réflexion plutôt que de la conclure.

Jean-René Meva’a Amougou

 

Du docte loin du chic

En 30 années d’existence, la Cemac a plus été sous le feu de vives critiques.

En visite de travail à Brazzaville en avril 2012, Antoine Tsimi, interpellé sur la vitalité précaire de la Cemac, n’avait pas trouvé mieux que de censurer une opinion qui n’hésite pas à sauter sur la moindre occasion pour tenir toute critique à l’endroit de la Cemac. Considérant qu’ils n’avaient pas de «vision claire», l’ancien président de la Commission de la Cemac (2007-2012) suggérait aux uns et aux autres de «reproduire à la manière d’un sismographe ultra-fidèle ce qui se fait dans le souterrain et d’être sûrs d’être dans l’air du temps» de l’institution communautaire. En résumé: qu’ils rendent compte de la réalité. «Si les mots d’Antoine Tsimi avaient le don d’exposer au monde entier un visage rayonnant, rassurant et même désirable de la Cemac, il s’avère en même temps que les questions qu’ils soulevaient déjà à cette époque étaient nombreuses», observe Justin Ngalle. Selon l’internationaliste camerounais, «la Cemac est restée enfermée dans sa silhouette adolescente, avec la taille d’une souris au milieu d’autres instances communautaires en Afrique».

«Énormités»
Et quand cela passe sous le pinceau d’un fonctionnaire camerounais (dont la proximité avec plusieurs dossiers de la Cemac est avérée), c’est du docte loin du chic. «Pour être passé par-là, il n’est pas exagéré de dire que la Cemac est ligotée par le passif de l’Afrique équatoriale française; étranglée par ses procédures; plombée par son manque de souveraineté; handicapée par sa structuration; asservie par le fétichisme d’une pseudo intégration des peuples; enlisée dans le laconisme de ses décisions et la sacralisation des principes importés d’ailleurs; prise dans les rets d’une septuple crise financière, économique, énergétique, démographique, politique, géostratégique et idéologique», évalue notre interlocuteur.

 

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Avec de telles «énormités», les grands éclats d’enthousiasme relevés à la création de la Cemac s’estompent. «En 30 ans, la Cemac a plus fait appel à de bons sentiments qu’à décider d’entreprendre des actions durables et courageuses», observe Cyprien Nkalkoudo. Approché en début de semaine dernière par BBC Afrique, l’internationaliste congolais va plus loin. «Les dirigeants d’Afrique centrale ont contribué progressivement à réduire cette organisation communautaire à un trivial espace de luttes où existe le risque géopolitique majeur de la marginalisation de la Cemac sur la scène internationale», craint Cyprien Nkalkoudo.

 

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Pratiques
En acclimatant ces craintes à quelques actualités, le Congolais estime que «la Cemac porte en elle-même la perspective, non seulement de sa désagrégation, mais pire, le désintérêt des peuples». «À titre d’exemple, appuie Justin Ngalle, plusieurs facteurs s’additionnent chaque jour pour rendre la politique de la Cemac inopérante». «La Commission a parfois accumulé des retards importants en amont du cycle de projet (programmation), répercutés en aval (décaissements). En amont, la programmation a souvent pâti de l’absence d’insertion dans une stratégie globale et d’un manque de cohérence avec les initiatives portées par la CEEAC, par exemple. Cela fut le cas dans le passé sur de nombreux dossiers clés. La vérité est que l’adoption des règlements pour chacun des programmes sous régionaux donne lieu à des négociations parfois difficiles entre la Commission et les États membres, ceux-ci faisant valoir leurs intérêts», renseigne un ancien cadre de la Cemac.

Jean-René Meva’a Amougou

 

Le débord est pourtant planté

Assise sur une charnière faite d’actions d’envergure, la ligne de défense tient le coup du jeu.

 

«Prière de projeter dans vos salles un autre film où la Cemac en prend pour son grade; où les bons sentiments fleurissent quand même au bon endroit». À Promote 2024, Charles Assamba Ongodo n’a pas loupé un citoyen très préoccupé à débiter des phrases infamantes contre la Cemac. Pour le vice-président de la Commission de la Cemac, à l’heure où de belles initiatives vont à l’assaut de l’horizon, «l’on devrait cesser de se saisir de la polémique et de fantasmes ridicules pour faire d’odieuses provocations». Et en s’emparant de sujets légitimement plébiscités par l’opinion publique, Charles Assamba Ongodo atteste qu’»en 30 ans, la Cemac n’a pas été qu’une union d’États mais aussi un instrument visant à solutionner des problèmes auxquels ses membres seuls ne peuvent faire face».

Défis
À bien comprendre, la Cemac est confrontée à des défis décisifs pour son avenir, des défis inattendus et complexes qui la mettent, ainsi que ses États membres, à l’épreuve. «Dans ce cadre, émettait Pierre Moussa durant son magistère à la tête de la Commission, la Cemac dispose d’un projet et des valeurs à défendre dans ses programmes d’intégration». «En ce sens, avait ajouté Pr Daniel Ona Ondo, elle a le mérite de servir de cadre de réflexion utile aux divers États». En toile de fond de ces propos du Gabonais, l’on se souvient que la Cemac a pu prendre des décisions fondamentales principalement lorsqu’il lui fallait réagir à une crise grave, quasiment au bord du précipice. «En dépit de multiples faiblesses et de forces extérieures, la Cemac a, par exemple, pu hiérarchiser les questions et les réponses pertinentes pour l’ensemble de ses pays membres confrontés à de graves difficultés économiques en adoptant en 2011, le Programme économique et régional (PER). En 2019, compte tenu des crises financières et économiques, dans un contexte budgétaire contraint et du lourd endettement de chacun de ses membres, les chefs d’État de la Communauté ont décidé de se concentrer sur le volet «infrastructures» du PER sur onze projets intégrateurs prioritaires, pour lesquels ils ont mobilisé les bailleurs de fonds – la réalisation de ces chantiers étant prévue sur cinq ans (2021-2025)».

Ongoung Zong Bella

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