Bili-bili: Boisson transnationale consommée à Yaoundé
Yaoundé, ville cosmopolite où il fait bon vivre. Le slogan trouve tout son sens pour plusieurs expatriés, notamment de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Quartier Elig-Edzoa (Yaoundé 1er), au lieu-dit rails, derrière l’espace marchand du coin.

Il se tient tous les week-ends une fête foraine spontanée. Ici, il se mélange par milliers, des ressortissants des pays de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Aux côtés des Camerounais généralement originaires du septentrion, Centrafricains, Congolais et Tchadiens ont fait de ce lieu un véritable repère. Ils s’y retrouvent le dimanche, comme des ouailles à l’église. «On vient ici chaque dimanche pour se mettre à l’aise», avance Osheyni. Assis avec quelques amis sur le chemin de fer qui passe par là, le tchadien se confie sur le rituel dominical. «C’est notre jour de la semaine où on vient faire un peu la fête. En semaine, chacun se bat de son côté et on vient se détendre», explique-t-il.
La taverne
D’apparence exiguë, ce coin d’Elig Edzoa s’avère être un grand cabaret au registre très particulier. Ici, des sonorités sahélo-sahéliennes retiennent et ravivent les convives. Emportés par la succulence de la mélodie de l’Afrique profonde, plusieurs « festivals » préfèrent la savourer en couple. La piste de danse ici n’est pas célèbre, mais fait quand même l’affaire.
Le lieu à d’ailleurs le mérite d’avoir formé des couples. «C’est ici que j’ai connu mon fiancé il ya trois ans de cela. Aujourd’hui, sur deux enfants. Il est resté à la maison, mais moi je ne pouvais pas manquer ce rendez-vous», argumente Asta, visiblement déjà sous l’emprise d’un verre de trop. Pas étonnant. Dans ces lieux, la bière coule à flot sur les deux petites tables présentes dans cette arène. Tout à côté, d’autres adeptes moins résistants, sont allongés sur les bancs et d’autres par terre.
Bili-bili
Contrairement à ces derniers, il y en a qui préfère se régaler du très aimable «bili-bili», boisson originaire des peuples soudano-sahéliens. Sur les lieux, eaux et calebasses pleines de ce vin sont pris d’assaut et se laissent vider progressivement. Tel ce bon miel qui attire les abeilles, cette boisson locale est consommée ici sans modération. «Le bili-bili est notre vin préféré ici. Ce qui est particulier dans ce vin, c’est qu’il est naturel. Nous le consommons ici sans modération, surtout entre proches. Tu vas en Centrafrique, au Sénégal, au Burkina-Faso, en Mauritanie, au Tchad, ou encore au Nord-Cameroun, cette boisson est consommée partout et c’est bon», s’extasie le Centrafricain François Mouninga.
Fait à base de céréales (mil rouge, maïs, sorgho), le bili-bili est pris pour son goût unique et n’a rien à envier aux «vins des blancs». La boisson africaine a fini par s’imposer comme boisson locale la plus consommée par les populations de divers pays, à en croire Hasanatou ressortissant nigérien.
Rapport qualité-prix
Le succès de ce vin réside aussi dans son prix. Vendu à 100 ou à 200 FCFA le verre, l’épaisseur de la bourse permet aux consommateurs de bien se délecter de cette bière locale. Le plein d’une demi-calebasse coûte 500 FCFA et 1000 FCFA le litre. Les vendeuses trouvent leur compte. «Ma recette ce jour s’élève à 8000 FCFA. Ce qui n’est pas très insignifiant par rapport au boulot qu’on fait», se confie Hawaila, vendeuse plus connue sous le nom de « dada bili-bili ». C’est que le breuvage, réputé pour sa saveur et son odeur exquises, est consommé par des hommes comme par des femmes.
Les à côtés
En ce haut lieu de réjouissance, la foule s’étend à perte de vue. Certainement parce que les «festivaliers» viennent des quartiers environnants et même parfois de très loin. Originaire de la République du Congo, Laurent vit à Mbankomo, une banlieue située à quelques kilomètres de la capitale politique camerounaise. Avec son ami Djibril, originaire de l’Extrême-Nord du pays, le natif de Pointe-Noire se envoie chez lui. «On accorde beaucoup d’importance à cet endroit. Mon ami et moi on travaille dur pendant la semaine. On est toujours là chaque dimanche dès qu’on a notre argent de transport pour venir s’amuser avec des amis», assure-t-il.
Foire
Dans ce bal d’un autre genre, les activités économiques foisonnent. Au gré des arrivées, l’endroit fini par se transformer en une «foire». Montres, chaussures, cigarettes, vêtements, viandes braisées, safous grillés et autres s’y exposent. Ici, on négocie, on marchande et on vend. Sous les hangars, dans les bars et même en plein air, le seul objectif est de s’amuser. «Je suis accompagné de ma femme et de mes enfants. C’est devenu une tradition pour nous. Ma femme fait frire les petits poissons qu’elle vient souvent vendre le dimanche», raconte Abakar. Au-delà du pur loisir, cet endroit est également le lieu où le Centrafricain retrouve ses cousins via lesquels il reçoit des informations du village. La communication dans ce « carnaval » se fait en fufuldé, la langue locale devenue universelle en ces lieux.
Joseph Ndzié Effa (stagiaire)