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Bayel Yaya : «Notre gouvernement a pris le taureau par les cornes»

Point focal genre auprès d’une Ong britannique dans la lutte contre les mariages précoces à l’Extrême-Nord, la Camerounaise donne son avis sur l’ensemble des problématiques liées aux «violences à l’égard des femmes».

 

Qu’entend-on par «violences à l’égard des femmes»? Ou bien, de quoi parle-t-on lorsqu’on s’intéresse aux violences faites aux femmes?
Au fil du temps, la définition des «violences à l’égard des femmes» a évolué. Dans les années 1980, cette expression renvoyait essentiellement aux violences familiales et sexuelles. De nos jours, elle désigne tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou la vie privée.
De cette définition émergent deux points qu’il est nécessaire d’expliciter afin de mieux cerner le phénomène. Le premier est que ces violences peuvent prendre de multiples formes. Elles sont physiques, sexuelles, verbales, psychologiques, économiques. Elles peuvent également être distinguées selon la sphère de vie au sein de laquelle elles ont lieu (privée, publique, professionnelle, scolaire, universitaire, etc.) et selon l’auteur (conjoint ou ex-conjoint, membre de la famille, collègue de travail, cercle amical, etc.).
Le second point est que ces diverses manifestations de la violence à l’égard des femmes reposent sur un socle commun. En effet, qu’il s’agisse des violences conjugales, des violences sexuelles, du harcèlement sexuel ou encore des différentes formes de contraintes que l’on fait peser sur la sexualité des femmes (mutilations sexuelles féminines, mariages forcés, etc.), ces violences sont perpétrées contre des femmes précisément parce qu’elles sont des femmes et ne prennent sens que lorsqu’elles sont replacées dans un contexte plus large d’inégalités entre les hommes et les femmes.

Qu’est ce qui justifie que, de plus en plus, on en parle?
Les violences faites aux femmes touchent des femmes de tous âges et de toutes catégories sociales. Elles sont longtemps restées cachées, ignorées en tant que fait de société et question de sécurité et de santé publique. Il a fallu attendre les années 1990 pour que les premières enquêtes sur le sujet soient réalisées et que leur ampleur soit révélée. Avant, la fréquence des violences envers les femmes, en public comme dans le privé, était mal connue, tant le manque de statistiques était criard. Pourtant, la plupart des femmes ont à l’esprit qu’elles encourent un risque lorsqu’elles sont dans l’espace public. Vous remarquerez que, de nos jours, chez nous au Cameroun, les violences dont les femmes sont principalement victimes commencent à apparaitre plus spécifiquement dans les chiffres officiels de la délinquance.

Ces constats sont-ils pris en considération dans le débat public concernant l’insécurité, question devenue une problématique récurrente, tant dans les médias que dans les discours politiques?
Si les politiques en matière de sécurité prétendent répondre à la demande sociale croissante et s’attaquer aux «violences» dans leur ensemble, une analyse en termes de genre révèle que celles-ci ne sont pas toutes traitées de la même façon. Mais, face aux proportions que le phénomène a pris au Cameroun ces cinq dernières années, notre gouvernement a pris le taureau par les cornes. Au niveau politique, on assiste à une lente reconnaissance de ces violences. Les organismes internationaux, tels que les Nations unies, ou politiques, ont largement participé à la dénonciation de tels actes, en insistant sur leur inscription dans les rapports sociaux de sexe. Mais cette reconnaissance est difficile à promouvoir et à appliquer pour plusieurs raisons. D’une part, on constate de fortes résistances à tous les niveaux face à cette notion considérée comme trop féministe. D’autre part, le terme de violences faites aux femmes couvre une multitude de situations. Si cela est extrêmement utile pour révéler le sexisme et la ségrégation encore à l’œuvre dans nos sociétés, cela peut parfois porter à confusion. En termes d’action politique notamment, on peut se demander comment intégrer toutes ses facettes. Est-ce qu’une agression sexuelle commise par un inconnu demande le même type de mobilisation que les violences conjugales? Une telle complexité dans la description ne tend elle pas à occulter la diversité des réalités exigeant une action de la part des pouvoirs publics?

Ce faisant, ne court-on pas le risque d’essentialiser un rapport dans lequel tous les hommes seraient violents et toutes les femmes des victimes?
Sociologiquement, ce sont des femmes qui sont majoritairement victimes de violences conjugales et de violences sexuelles, et ce sont majoritairement des hommes qui perpétuent ces actes. Il est évident que les hommes ne sont pas les seuls à commettre des violences, pas plus que les femmes seraient les seules à en subir, et que la frontière entre les sexes est floue à cet égard. Néanmoins, il reste important de replacer les violences dans les rapports sociaux à l’œuvre. Il est difficile de comparer les violences des «dominants» aux violences des «dominés», si ce n’est dans les cas où les personnes des groupes dits dominés sont dans des positions de pouvoir ou dans les cas où ces violences ont lieu à l’égard de personnes du même groupe. Ainsi, le terme de violences envers les femmes se réfère-t-il aux violences qui se déclinent dans le cadre des rapports sociaux de sexe. On ne peut comparer les violences qu’une femme infligerait à un homme à celles des hommes à l’égard des femmes, pas plus qu’on ne peut évacuer le fait que toute interaction entre un homme et une femme est en partie déterminée par les rapports sociaux de sexe. Ces violences, dont l’auteur peut être connu ou non de la victime, sont constitutives de la socialisation sexuée et participent de la construction des différences entre les sexes. Elles prennent des formes et des degrés divers: elles peuvent être physiques (coups, gifles, bourrades, pincements, torsions et autres manières plus subtiles de faire mal), sexuelles (viol, tentative de viol, insultes ou commentaires relatifs au corps ou à l’apparence) et psychologiques (insultes, menaces, intimidation, traitement dévalorisant). De plus, elles n’ont pas besoin d’être réellement perpétrées pour être efficaces. En effet, les femmes, toutes origines sociales confondues, sont exposées de façon permanente à l’éventualité de violences.

Propos recueillis et retranscrits par Jean-René Meva’a Amougou

 

Le Secrétaire général lance un appel à la fin de la violence contre les femmes, fruit d’une injustice cimentée par des millénaires de patriarcat

On trouvera ci-après le message du Secrétaire général de l’Onu, M. António Guterres, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, célébrée le 25 novembre.

La violence à l’égard des femmes constitue une ignoble violation des droits humains, une crise de santé publique et un obstacle majeur au développement durable. Elle est persistante, très répandue – et ne cesse de s’aggraver. Du harcèlement sexuel au féminicide, en passant par les mauvais traitements, cette violence prend de nombreuses formes. Mais toutes ces violences trouvent leurs racines dans une injustice structurelle, cimentée par des millénaires de patriarcat.
Nous vivons encore dans une culture dominée par les hommes, qui rend les femmes vulnérables en leur refusant l’égalité en dignité et en droits. Nous en payons toutes et tous le prix: nos sociétés sont moins pacifiques, nos économies moins prospères, notre monde moins juste. Mais un monde différent est possible.

Le thème choisi pour la campagne «Tous UNiS» cette année -«Investir pour prévenir la violence à l’égard des femmes et des filles»- appelle chacun et chacune d’entre nous à agir, pour: Appuyer des lois et des politiques globales qui renforcent la protection des droits des femmes dans tous les domaines; Renforcer les investissements dans la prévention et le soutien aux organisations de défense des droits des femmes; Écouter les survivantes et mettre fin à l’impunité des auteurs de violences, où qu’ils se trouvent; Soutenir les militantes et mettre en avant le rôle clef des femmes à tous les stades de la prise de décision. Ensemble, levons-nous et exprimons-nous. Construisons un monde qui refuse de tolérer la violence à l’égard des femmes, où que ce soit et sous quelque forme que ce soit, une fois pour toutes.

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