An 10 de la Fotrac : Des noces d’étain d’activisme
À Yaoundé, puis à Kye-Ossi, la dixième édition de la Fotrac en gestation veut offrir des solutions concertées pour l’intensification de l’intégration socio-économique en Afrique centrale.

La Foire transfrontalière de l’Afrique centrale (Fotrac) tiendra sa dixième édition cette année. C’est la dixième édition d’affilée, depuis la toute première de 2010. Pour cet autre rendez-vous, le réseau des femmes actives de l’Afrique centrale (Refac) envisage naturellement de donner plus que de tradition. Un temps sera observé pour scruter l’intégration régionale de l’Afrique centrale et examiner sa contribution au développement durable de la sous-région.
La Fotrac, entendue comme l’ensemble des participants diversement constitués, va jeter un regard profond sur le processus d’intégration socio-économique et sa dynamique de développement en Afrique centrale.Pour la présidente du Refac et commissaire de la foire, Jeanne Danielle Nlate, «les sollicitations au niveau sous-régional, régional, international tendent à démontrer que le Refac constitue aujourd’hui une force de proposition». Fidèle à son positionnement d’organisation de la société civile œuvrant pour un processus d’intégration par le bas, le Refac veut promouvoir une approche plus globalisante. Ainsi, le discours recueilli portera sur l’évaluation des participants (institutions, administrations, opérateurs économiques dans leur diversité, société civile, autorités traditionnelles…)
Organisation
Pour la dixième édition de la foire, une organisation spéciale a été mise sur pied. La première phase se déroulera à Yaoundé du 20 au 23 juin. Elle a pour activité phare des échanges sur le thème central de cette édition intitulé «Intégration régionale, paix et sécurité : défis incontournables pour le développement durable de l’Afrique». Ce thème a été éclaté en deux panels qui composeront le grand débat de Yaoundé.
Ces sous-thèmes sont : «Intégration socio-économique, vecteur de paix et de développement durable de l’Afrique centrale» et «Intégration régionale et atteinte des objectifs du développement durable: état des lieux». Un atelier sur la déconflictualisation meublera la journée du 21 juin 2019. L’exposition-vente du savoir-faire des membres du Refac et autres exposants désireux ne sera pas éludée. C’est le musée national qui est, pour le moment, retenu pour abriter cette activité intellectuelle de la Fotrac.
La phase 2 se déroulera du 25 juin au 4 juillet 2019 dans la ville de Kye-Ossi (ville camerounaise frontalière au Gabon et à la Guinée Équatoriale). Toutes les activités se dérouleront sous le prisme de la facilitation des échanges en Afrique centrale, du commerce transfrontalier et de l’intégration économique en Afrique centrale.
Production
Un coffret pour les 10 ans de la Fotrac sera édité au terme de cette édition. Celui-ci retracera la success-story des 10 glorieuses ! La Fotrac publiera en outre un plaidoyer qui sera le fruit des propositions des participants en vue d’un processus d’intégration plus en phase avec le citoyen, et mieux orienté vers le développement social.
Une «exposition-vente de tout produit comme de tradition, étant entendu que l’activité foraine est multi acteur. Elle participe de la promotion du savoir-faire des peuples de l’Afrique centrale, rassemblés en un lieu, en une période.
Comme autres activités traditionnelles, on peut évoquer la visite des villes frontalières, des ateliers de formation, des conférences, des activités culturelles et artistiques, des rencontres B2B, des jeux et animations. Cette année, dans la catégorie innovation, nous primerons le meilleur opérateur/ exposant. Pour valoriser la jeune fille et assurer son leadership ou son intégration dans le processus en Afrique centrale, nous aurons la troisième édition de Miss Intégration Cemac» indique le commissaire de la foire.
Zacharie Roger Mbarga
Les défis de la pérennisation de la Fotrac
Mobilisation et appropriation par les acteurs
La Fotrac demeure sous-cotée, face à des rendez-vous tels que Promote. Même la Fiac (foire internationale de l’Afrique centrale), nouveau-née proposée par le même opérateur, semble lui faire une concurrence. L’initiative est toute aussi salutaire pour intensifier les échanges dans la région.
Face à un processus d’intégration régionale en panne par le haut, la Fotrac propose une plateforme de mise en relation directe. Institutions et opérateurs économiques ont l’opportunité de se frotter directement aux cibles nationales et communautaires qui sont les leurs.
L’intégration par le bas renvoie aux dynamiques plus profondes d’association et de réseautage des acteurs sociaux. Ces derniers, par des méthodes et des moyens citoyens (parce que non administratifs), concourent au brassage des populations et à l’intensification des mouvements transfrontaliers de biens, de personnes et des services divers. Ils contribuent de ce fait à une intégration des territoires et des populations. Cette intégration a une influence significative sur le développement et donc sur la stabilité de la zone géographique concernée.
La Fotrac se positionne comme un projet intégrateur citoyen d’interconnexion,dans une zone où il n’y en a pas beaucoup. Les projets intégrateurs ont l’objectif et la particularité de créer des brassages de population, de faire reculer la pauvreté par la création des gains d’efficience.
Zacharie Roger Mbarga
Un site définitivement construit
Cette 10e édition se fera une fois de plus sur un site à reconstruire. À 60 %, le site de la Fotrac est construit à base de matériel provisoire. Il s’agit de la paille et des lattes. Même s’il s’agit là d’une formidable valorisation du made in Cameroon, il n’en demeure pas moins que cette situation n’est pas à l’avantage des exposants de ladite foire (les moins nantis à la vérité).
Bien plus, le reste de l’année, le site est occupé par les autorités locales qui y parquent les véhicules de gros calibre. Ceux-ci, en période pluvieuse, détruisent le plancher, ce qui rend le site accidenté lors des éditions de la Foire.
Enfin, le site actuel n’est pas alimenté en électricité. Une fête foraine de la nature de la Fotrac vit en moyenne 18 heures sur 24. Pour permettre aux exposants de rentabiliser, pour maintenir une animation de foire transfrontalière et pour encourager le trafic des touristes, il y a une impérieuse nécessité de stabiliser le site en électricité et en eau potable.
Dans la perspective de répondre à ce besoin, le Programme de développement intégré de la zone des trois frontières (PDIZTF) et le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale (Feicom) proposent des solutions. Le PDIZTF construit un marché-frontière dans la localité et souhaiterait faire abriter la foire dans le marché.
Le Feicom pour sa part, lors de la dernière réunion préparatoire, semble indiquer que le site de la Foire devrait intégrer une palette plus complète de l’équipement des communes frontière afin de faciliter l’attractivité économique.
Zacharie Roger Mbarga
Fotrac
Un instrument pour le leadership du Cameroun en Afrique centrale
L’analyse de la banque africaine d’import-export (Afreximbank) montre que l’une des raisons pour lesquelles le commerce intra-africain est faible (15 %) réside dans le déficit d’accès à l’information sur le commerce et le marché. Parmi les initiatives proposées pour relever ce défi, Afreximbank a décidé d’organiser la Foire commerciale intra-africaine tous les deux ans, afin de fournir des informations sur le marché et le commerce et servir de contact entre les acheteurs et les vendeurs de l’ensemble du continent. L’une des solutions aurait pu être la structuration et l’organisation des foires régionales de commerce.
L’Afrique centrale est très peu en mouvement. Et c’est au désavantage du Cameroun dont les entreprises détiennent 80 % des agréments au commerce régional en franchise.
En capitalisant cet outil, le Cameroun pourrait montrer la voie et réussir la mutation des esprits et des consciences.Au sujet de la libre circulation des personnes, le prétexte de la sécurité a remplacé la peur de l’envahissement et maintient le statu quo. Face au niveau élevé du chômage, les États ont trouvé le compromis de 90 jours sans visa. Pour le moment, ceux qui empruntent la route n’ont pas les mêmes facilités de circulation que ceux qui se déplacent par les airs. L’ouverture des barrières est un enjeu du mandat de président en exercice de la conférence des chefs d’État de la Cemac.
Zacharie Roger Mbarga
Jeanne Danielle Nlate
La Fotrac répond aux objectifs poursuivis par la Zone de libre-échange continentale africaine
La présidente du Réseau des femmes actives de l’Afrique centrale (Refac), commissaire de la Foire transfrontalière de l’Afrique centrale (Fotrac) dessine le cadre d’action de la 10e édition.
À moins de deux mois de l’édition 2019 de la Fotrac. Quel est l’état des préparatifs ?
Les préparatifs partent d’une édition à l’autre. Il n’y a pas eu de répit entre la fin de l’édition 2018 et le lancement de la mobilisation pour cette édition anniversaire. Nous avons pour objectif de faire booster le processus d’intégration régionale à la base. Il s’agit particulièrement de faciliter les échanges passant par la libre circulation des personnes et des biens. Cela nous préoccupe au quotidien. Les États ont acté l’ouverture des barrières et le processus de généralisation suit son cours. Toutefois, des résistances demeurent sur le terrain, et il faut les exorciser.
Pour cette édition en gestation, tout le monde a été sensibilisé. Il s’agit des partenaires traditionnels, tout comme les cibles nouvelles à atteindre pour densifier l’appropriation du processus d’intégration par tous les niveaux d’acteurs. Le gouvernement du Cameroun, à travers le ministre du Commerce, président du comité interministériel, a saisi ses homologues des pays de la CEEAC-Cemac. Le Refac a fait son travail de lobbying pour assurer la pénétration du message auprès des institutions, des opérateurs économiques, des organisations de la société civile, des citoyens…
Au niveau national, la dernière réunion préparatoire a eu lieu le 24 avril dernier au ministère du Commerce. Elle a réuni une centaine d’administrations et d’autres opérateurs agissant dans le processus d’intégration socio-économique et dans le développement local.
Globalement, comme vous pouvez le constater, les préparatifs vont bon train. Nous essayons, comme à chaque fois, de bousculer les esprits.
Cette édition 2019 est la 10e. On peut évoquer les noces d’étain de la Fotrac. Qu’est-ce qui est attendu ?
Notez déjà que le Cameroun exerce la présidence de la Conférence des chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Par conséquent, nos 10 ans feront échos. Ça se fête ! Nous avons donc pensé qu’il faille s’activer sur deux fronts. Le premier ou la phase une de la Fotrac 10 à Yaoundé. Nous tiendrons une rencontre thématique qui évaluera l’intégration socio-économique en Afrique centrale. Nous ferons l’état des lieux de l’appropriation des objectifs du développement durable par ce processus d’intégration dans la sous-région.
L’intégration régionale rime avec le développement durable et vice versa. Il est impensable d’évoquer séparément les deux dynamiques de développement. Les documents-cadres que sont l’agenda 2030, l’agenda 2063, le Document de stratégie de l’intégration régionale de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et le Programme économique régional de la Cemac en sont des témoignages. Tous les acteurs sont invités afin de contribuer : institutions, opérateurs économiques, sociétés civiles, autorités traditionnelles. L’objectif est de rapprocher la base du sommet tout en l’engageant davantage dans ce processus. Nous allons débattre ensemble pour avoir une large compréhension des obstacles à l’intensification des échanges.
La deuxième phase ou le second front se déroulera comme de tradition à Kye-Ossi, ville des trois frontières : Cameroun-Gabon-Guinée Équatoriale.
Elle connaitra des activités multiples avec beaucoup d’innovations. L’exposition vente de tous les produits. L’activité foraine est multi-acteurs. Elle participe de la promotion du savoir-faire des peuples de l’Afrique centrale brassés en un lieu et en une période. Autres activités traditionnelles au menu, on peut évoquer la visite des villes frontalières, les ateliers de formation, conférences, activités culturelles et artistiques, rencontres B2B, jeux et animations. Dans la catégorie innovation, cette année nous primerons le meilleur opérateur/exposant. Pour valoriser la jeune fille et assurer son leadership ou son intégration dans le processus en Afrique centrale, nous aurons la troisième édition de la Miss Intégration Cemac.
Vous le disiez tantôt, le Cameroun assure, jusqu’en mars 2021, la présidence de la plus haute institution de la Cemac. Peut-on espérer que la Fotrac soit associée comme instrument d’approfondissement de l’intégration socio-économique dans la sous-région, instrument de réalisation de la Cemac des peuples ? Et pourquoi pas un instrument du leadership camerounais dans la sous-région?
Telle que libellée et énoncée, la question doit être posée aux autorités. Mais la Fotrac a connu un niveau d’association. Depuis 2012, il y a un arrêté signé du Premier ministre qui crée un comité interministériel élargi au secteur privé. Ce comité est présidé par le ministre du Commerce. C’est en son sein que se préparent toutes les éditions de la Fotrac. Cet instrument de travail mobilise les populations ainsi que le maximum d’acteurs de la communauté. Nous souhaitons que cette dixième édition soit celle de l’amplification véritable. Nous souhaitons célébrer l’intégration en bonne et due forme, non sans minimiser les écueils sécuritaires. D’ailleurs, le thème est à l’image des enjeux dans la sous-région.
L’interpellation est renouvelée pour que le Cameroun utilise la Fotrac comme canal, afin de booster le message et le symbole de l’intégration régionale. Il en est de même en Afrique, avec les projets intégrateurs de l’Union africaine dont le vent de dynamisme nous envahit de plus en plus.
Depuis l’année dernière, la Fotrac a confirmé une montée en puissance. Elle mobilise désormais au-delà des frontières de l’Afrique centrale. Un positionnement sur l’intégration continentale est perceptible, notamment avec ce projet de la Zlecaf. Quels sont les pays attendus cette année ?
Bien évidemment l’année dernière, vous avez vu la razzia des opérateurs de l’Afrique de l’Ouest. Eux qui ont déjà l’expérience des avantages de l’abaissement des barrières par la vitalité de la libre circulation. Les éditions précédentes avaient vu la participation du Mali comme pays d’Afrique de l’Ouest, et du Burundi comme pays à cheval entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est. L’année dernière, le Maroc s’est très bien illustré. Sa participation nous a rapprochés de l’Afrique du Nord.
Finalement, la Fotrac répond aux objectifs poursuivis par la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Nous pensons, en fin de compte, que tous les Africains devraient s’approprier ce concept. Ils devront juste éviter les duplications négatives, tout en renforçant des pôles de ce type où nous nous retrouvons ensemble avec des communautés venues d’ailleurs. La France et la Belgique étaient présentes l’année dernière. Si nous avons deux ou trois mouvements de ce type en Afrique, permettant aux Africains de se déplacer (libre circulation des personnes à l’échelle continentale), de commercer (libre circulation des biens à l’échelle continentale), nous atteindrons facilement nos objectifs d’abolition des barrières issues de la colonisation. Où il y a mouvement et commerce, il y a investissement et service.
Justement, dans ce processus d’intégration continentale, que pouvez-vous dire à la Commission de l’Union africaine?
Nous l’avons toujours dit, nous avons eu l’honneur d’être invités et associés aux réflexions de la Conférence économique africaine de Kigali en décembre 2018. Nous travaillons déjà pour que la Zlecaf prenne corps de façon véritable. Le but est d’éviter le statu quo de certains projets. Nous poursuivrons ! Les projets intégrateurs c’est pour le développement, le brassage, le recul de la pauvreté. Avec leur soutien, nous irons plus loin.
Cette année, c’est l’an 10 de la Fotrac. Après toute cette activité auprès et pour les populations, sur les corridors africains, auprès des institutions communautaires régionales, avec les autorités nationales, locales, traditionnelles et la société civile,quel bilan dressez-vous, 10 ans après au service de l’intégration régionale ?
Après 10 ans, nous dirons que le bilan est positif. Nous ne dirons pas qu’il est mitigé, mais positif. Nous sommes partis de rien. Mais nous pensons qu’on peut toujours faire plus. Bien évidemment, nous constituons aujourd’hui une force de proposition. Les sollicitations au niveau sous-régional, régional, international, tendent à démontrer que le Refac constitue aujourd’hui une force de proposition.
Le lobbying est toujours en cours. Nous pensons pouvoir faire plus. L’engouement observé au fil des années renseigne que les administrations, les opérateurs et les citoyens à travers la presse comprennent et intègrent mieux la vision de la Fotrac.
Au niveau national encore, la présence de Mme la secrétaire exécutive de la CEA et notre invitation au forum national d’information et de sensibilisation sur la Zlecaf, organisée par l’institution qu’elle dirige, voilà une autre illustration que les choses avancent dans notre sens. Nous poursuivons le combat.
Interview réalisée par
Zacharie Roger Mbarga