Agro-industrie : Sodecoton qui rit, Sodécoton qui pleure
L’entreprise cotonnière installée dans la partie septentrionale est un géant fragilisé par la conjoncture économique et sécuritaire.

1- La Sodecoton souffle le froid
C’est actuellement la course contre la montre à la Société de développement du coton (Sodecoton) pour sauver 65.000 tonnes de coton. En effet, depuis le début de ce mois de mai, la «mouille du coton» plane comme une épée de Damoclès sur la production cotonnière non emmagasinée jusqu’ici par la Sodecoton. Selon le Directeur Général de la Sodecoton, la «mouille du coton» a fait perdre à son entreprise au moins un milliard de Fcfa ces dernières années. Bien plus, ce phénomène contribue à 22% à la dégradation de la qualité du coton camerounais, à en croire Mohamadou Bayero. Le spectre des années 2013/14 et 2015/16 n’a pas fini de hanter la plus grande agro-industrie du septentrion. Celle-ci avait enregistré des pertes cumulées d’environ 36 milliards du fait de la «mouille du coton-graine», synonyme de perte qualité fibre et graine.
Suffisant pour se faire du mauvais sang, d’autant plus que l’impact Covid-19 pèse lourdement sur l’activité de l’entreprise cotonnière. Le top management de la Sodecoton parle d’un retour des pertes de 5,7 milliards en 2020 à cause de différents impacts de la pandémie du Covid-19. Ceux-ci se matérialisent comme suit: marché international marqué par la fermeture des filatures asiatiques; baisse du cour de la fibre; ralentissement des exportations et partant retards d’encaissement de plus de 80 milliards de FCFA; augmentation des volumes stockés; difficultés d’approvisionnement en facteurs de production…
L’entreprise dirigée par Mohamadou Bayero a pourtant besoin d’argent frais pour son développement. «Nous sommes en manque de 33 milliards sur les 55 milliards souhaités pour le développement de la Sodecoton». Globalement, selon Mohamadou Bayero, il faut entre 120 et 140 milliards de FCFA pour couvrir les frais complets de la Sodecoton. Une gageure par ces temps de rétrécissement économique. «Nous ne sommes pas subventionnés depuis une vingtaine d’années». Certes, l’Etat du Cameroun promet à la Sodecoton en cette année 2021 une enveloppe de 10 milliards destinée à l’investissement, mais les difficultés d’accès aux crédits bancaires sont là. Et cerise sur le gâteau, les tracasseries liées à la nouvelle réglementation de change en zone Cémac. «Nous n’arrivons pas à commander des machines ou des intrants nécessaires à notre activité à cause des difficultés d’accès aux devises», regrette-t-on à la Sodecoton.
2- La Sodecoton souffle le chaud
Pour autant, les contraintes présentées ci-dessus ne diluent pas les performances du grand géant économique de la partie septentrionale du Cameroun. Le top mangement énonce à la pelle des exemples parlants: «le compte courant actionnaire de 15 milliards de FCFA est entièrement remboursé… Pas de dette fiscale. La Sodecoton est crédible auprès des bailleurs de fonds… L’entreprise vient de lever un prêt de 35 milliards de FCFA auprès de la Banque islamique de développement (BID)». A l’observation, les orientations stratégiques à court et moyens termes, dans le cadre du Plan de redressement de l’entreprise (Pdr), portent de bons fruits. De fait, la Sodecoton ne fait plus de déficit financier depuis la mise en œuvre de son Plan de redressement en 2017. L’entreprise présente des résultats inversés en trois ans (2017 – 2019) suite à l’amélioration des capacités de transport, des usines d’égrenage et la reprise des ventes d’huile; avec à la clé la poursuite de l’amélioration de la partie du chiffre d’affaires (CA) liée aux Coproduits tels que l’huile raffinée de table, les aliments pour animaux, les coques et graines. Ces produits dérivés du coton rapportent à l’entreprise environ 20 milliards de FCFA, soit 15 à 20 % de son chiffre d’affaires.
A la Sodecoton, l’on mentionne une productivité croissante grâce à une amélioration des paramètres de production et des revenus des producteurs: les prévisions de collecte de 342.000 tonnes de coton-graine en 2020/21 pour un rendement de 1.514 kg/ha; la marge après remboursement des intrants (Mari) supérieure à 150% de croissance en dix ans; la surface par producteur de 0,6 à 0,7 ha jusqu’en 2009/10, remontée de 1,1 à 1,3 ha au cours des trois dernières années. Aujourd’hui le coton produit au Cameroun est un label reconnu sur le marché international, avec une qualité de la fibre au dessus de 80%, grades de référence et supérieurs.
Et de convoquer le scénario de développement «résilient» privilégié. Celui-ci concilie équilibre socio-économique et environnemental: agriculture intelligente face au climat: diversification des cultures (développement du soja, de l’anacarde); réhabilitation des terres dégradées; agro-écologie; mécanisation agricole ; production d’énergie solaire photovoltaïque; investissements d’environ 67,1 milliards de FCFA (102,3 M€).
La Sodecoton implémente la stratégie de développement durable de la filière coton au Cameroun (Minader, 2015). Celle-ci, d’abord traduite dans le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), puis dans le Document de stratégie de développement du secteur rural (DSDSR), est aujourd’hui actualisée dans la Stratégie Nationale de Développement 2020 – 2030 (SND30). Les objectifs y relatifs, en l’occurrence 400 000 tonnes de coton graine en 2022 et 600 000 tonnes de coton graine à l’horizon 2025, sont à la portée de la société anonyme d’économie mixte à participation publique majoritaire, avec un capital de 1,51 milliards de F CFA.
3- Le septentrion, un don de la Sodecoton
Que serait le «Grand Nord» du Cameroun sans la Sodecoton? La question se pose avec acuité au vu de la place majeure de cette entreprise publique (Etat détenteur de 59% du capital) dans le grand nord du pays. L’agro-industrie revendique plus de 60 années d’expérience dans la trituration de la graine de coton, avec ses deux huileries d’une capacité de 150.000 tonnes de graines par an. L’huilerie de Garoua : 300 tonnes /jour (extraction au solvant). L’huilerie de Maroua: 200 tonnes /jour (extraction en pression simple). Ce qui permet un approvisionnement du marché local en produits divers: huile de table raffinée – Diamaor (15 à 20 millions de litres / an); aliments industriels d’élevages : Tourteaux de coton enrichis Alibet®, Nutribet®, Expeller®, Farine 21® (environ 70.000 tonnes/ an); Coques, graines.
L’activité de la Sodecoton suscite la redistribution annuelle de plus de 50 milliards de FCFA (76,2 M€) aux producteurs, au titre d’achat de coton graine après remboursement du crédit intrants; l’abondement des comptes opérationnels des Groupements de producteurs de primes diverses évaluées à 5 milliards de franc CFA/an (7,6 M€) : la rémunération des activités de campagne agricole; les primes diverses de commercialisation; rémunération des excédents de pesée du coton graine au pont-bascule…
La Sodecoton pèse plus de 12.000 emplois directs; 2.000 salariés permanents; 3.000 contrats saisonniers et occasionnels sur les sites industriels; 7.000 agents techniques saisonniers des groupements (Agents de suivi, magasiniers, gestionnaires de crédits, gardiens). Mohamadou Bayero peut par conséquent conclure: «Le coton joue un rôle moteur dans l’économie des régions septentrionales du Cameroun notamment par le flux de devises, les emplois, la lutte contre la pauvreté, l’amélioration du cadre de vie en milieu rural, etc. La Sodecoton engrange des performances appréciables de production, mais des marges de progression sont réelles. Notre stratégie de développement s’appuie sur un équilibre socio-économique et environnemental à préserver. Il y a des investissements à financer pour réaliser le PDR ; et des es projets de développement pour la gestion durable des ressources naturelles à mettre en place. La mécanisation et la motorisation agricole sont nécessaires pour accompagner la mutation des exploitations agricoles. La formation professionnelle et l’entrepreneuriat agricole sont des nécessités absolues».
Thierry Ndong Owona à Garoua
Défis à surmonter
Réhabilitation des usines d’égrenage existantes ;
Installation de deux nouvelles usines d’égrenage de 45 000 tonnes chacune ;
Modernisation et augmentation des capacités des huileries existantes ;
Installation d’une troisième huilerie de 300 tonnes/jour ;
22% de l’effectif de la Sodecoton à remplacer dans les prochaines années
Construction d’un laboratoire de classement instrumental de la fibre ;
Installation de centrales solaires sur les sites industriels ;
Sécurisation des produits = amélioration capacités de stockage ;
Diversification des cultures (maïs, riz, soja, anacarde, etc.) = diversification revenus des producteurs ;
Amélioration de la qualité de la semence par l’installation d’une usine de délintage chimique 30t/j de graines ;
Gestion de l’eau : irrigation d’appoint ;
Réhabilitation des terres dégradées (environ 10 millions d’hectares à l’Ext-Nord) ;
Développement de la motorisation agricole ;
Préservation du capital sol Aménagement des parcelles ;
Conquête du marché sous-régional (ZLECAF)
Création d’une interprofession cotonnière = exigence de la politique sectorielle de l’Etat (appui du Minader).
Source: SODECOTON