Présidentielle 2018 au Cameroun : Résultats et controverses d’un scrutin

 

Le président sortant rempile pour un septième mandat, avec un principal défi politique à relever : renforcer la transparence électorale, pour éviter à l’avenir des résultats suspects provenant de 32 départements sur les 58 que compte le pays.

À 85 ans, dont bientôt 36 passées à la tête de l’État, Paul Biya entame un septième mandat, dès sa prestation de serment (qui interviendra au plus tard le 7 novembre). Un nouveau septennat qui ne sera pas de tout repos. Le président réélu devra commencer par se faire accepter par tous les Camerounais. Pourtant proclamé vainqueur de la présidentielle du 7 octobre avec 71 % des suffrages, certains de ses compatriotes ne semblent pas reconnaitre cette victoire, un peu comme en 1992. Cette année-là, le président Biya avait été déclaré élu face Ni Jonh Fru par une avance de quelques milliers de voix.

« Subversion »
Le contentieux post électoral ne semble pas avoir mis fin à la contestation. « Nous rejetons en bloc tout ce qui vient d’être fait et nous rejetterons en même temps les résultats qui vont sortir de ce Conseil constitutionnel, qui, je dis, reste une excroissance du RDPC », a déclaré Paul Éric Kingue. Le directeur de campagne de Maurice Kamto s’exprimait après le rejet de la requête du candidat du MRC. Ce vendredi 20 octobre, après la clôture du contentieux électoral, des personnes réclamant un lien avec le Cameroun manifestent en Allemagne. Elles disent dénoncer « le hold-up politico-électoral en cours au Cameroun ». Dimanche, veille de proclamation des résultats, une autre manifestation publique est étouffée à Douala.

Organisée par Jean Michel Nintcheu, député du SDF, elle a pour objectif « de dénoncer les fraudes massives et honteuses ayant émaillé l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 ». Plusieurs personnes, dont des journalistes, sont aux arrêts.
Jusqu’où ira cette défiance ? Difficile à dire. Une évidence cependant, le régime de Yaoundé prend l’affaire très au sérieux. Des SMS appelant à une manifestation le 22 octobre au centre de la ville de Yaoundé ont même provoqué une réaction du ministère de la Défense (Mindef). « Des individus mal intentionnés envoient des messages de subversion à travers vos téléphones. Cette nouvelle opération démontre que ceux qui veulent déstabiliser le Cameroun n’ont pas désemparé malgré les camouflets qui se superposent. Ne suivez aucun de ces messages », écrit colonel Didier Badjeck, chef de la division de la communication du Mindef.

Intimidations
Pour étouffer la contestation, les autorités jouent à la fois la carte de la manipulation et de l’intimidation. Au lendemain de l’élection du 7 octobre, les candidats Maurice Kamto et Cabral Libii sont placés sous haute surveillance. Des unités mixtes (police et gendarmerie) campent devant leur QG de campagne. À Douala, la police entoure depuis dimanche matin le domicile de Kah Walla et l’empêche de sortir. La fondatrice du Cameroon People’s Party (CPP) n’a pourtant pas pris part à cette élection présidentielle.

Au même moment, des appels au calme et à la paix se multiplient sous l’initiative distraite du pouvoir de Yaoundé. Au petit matin du 19 octobre, la photo, le passeport et la carte d’embarquement du fils de Maurice Kamto se publiés sur les réseaux sociaux. A quelle fin ? Certainement pour tenter de dissuader les jeunes de descendre dans la rue, en indiquant que le candidat du MRC met ses enfants à l’abri.

Chèque en blanc
En sollicitant ce septième mandat, Paul Biya a pris très peu d’engagements. Qu’est – ce qui attend les Camerounais dans les sept prochaines années ? Difficile de lire dans une boule de cristal. Le candidat du RDPC s’est clairement prononcé pour le statu quo actuel : un État unitaire décentralisé tel qu’on le connait aujourd’hui avec la promesse d’accélérer la décentralisation. Cela suffira-t-il à mettre un terme à la crise anglophone ? Rien n’est moins sûr. Une seule certitude : moins de cent mille inscrits dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest ont participé à la réélection de Paul Biya le 7 octobre. Ces régions ont pourtant 20 % de la population et un peu plus d’un million d’inscrits.

Aboudi Ottou

Élections présidentielles au Cameroun

Même rengaine, même gangrène

I— 11 octobre 1992, vol… à la victoire
Des grésillements terribles autour des 39,98 % des suffrages engrangés par Paul Biya à cette élection présidentielle, organisée pour la première fois avec plus d’un candidat au Cameroun. Ni John Fru Ndi, le candidat du SDF (Social Democratic Front) parle, au superlatif, du « vol » de sa victoire. Il dit alors avoir percé des brèches dans la machine à frauder du président sortant. Crédité de 35,97 % seulement (selon la Cour suprême), le libraire ne peut accéder à la magistrature suprême. En bonne intelligence avec certaines chancelleries étrangères et la presse, Fru Ndi tente de s’éreinter dans un face-à-face avec Paul Biya. Cela ne change rien. Témoin actif des faits, Maître Akere Muna tranche, face à la presse à Yaoundé, le 18 octobre 2017: « En 1992, c’étaient les premières élections multipartites au Cameroun. Je gérais l’assemblage et le découpage des voix. Et je peux vous dire en 92, Fru Ndi a bel et bien gagné ».

II—12 octobre 1997, adroit dans le boycott
Cette année-là, le curseur se déplace simplement vers le code électoral. Parce que celui-ci empoisonne le débat public, trois formations politiques (SDF, UNDP et UDC) décident de ne pas prendre part au scrutin. Entre temps, la durée du mandat présidentiel passe de 5 à 7 ans. Paul Biya, une fois encore, tient le haut du pavé avec…92,7 %. Même si les ferments de contestation sont présents, le RDPC préfère en rire. La preuve : le 3 novembre, dans un hémicycle déserté par les 63 députés de l’opposition radicale, Paul Biya prête serment comme président de la République.

III—11 octobre 2004, l’âge d’or des faux-semblants
Le 25 octobre 2004, la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs de l’élection présidentielle. Paul Biya glane 70,92 % des voix. L’opposition crie à la «fraude massive», tandis que l’Onel (Observatoire national des élections), «gendarme électoral», témoigne d’une élection régulière et transparente. Marafa Hamidou Yaya, alors ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd) parle d’incidents mineurs qui ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité du scrutin. Sauf que, écrite depuis la prison centrale de Yaoundé où il purge une peine de 25 ans pour détournement de fonds publics, l’une des lettres de l’ex-Minatd dit clairement que « Paul Biya n’a jamais gagné aucune élection ».

IV—9 octobre 2011, encore Biya malgré les désordres lumineux
Contre lui, 22 candidats. Paul Biya est réélu avec 77,98% devant John Fru Ndi. Les réactions de la France et des États-Unis retiennent l’attention. La première, par la voix de Bernard Valero (ex-porte-parole du Quai d’Orsay), estime que «lors du scrutin, de nombreuses défaillances et irrégularités ont été constatées. La France souhaite que des mesures soient prises pour que celles-ci ne se reproduisent pas lors des scrutins législatifs et municipaux de 2012». Une posture en rupture avec les félicitations officielles de la France. Les seconds, par le truchement de Robert Jackson, l’ambassadeur des États-Unis au Cameroun, concluent que «le jour du scrutin, nos observateurs ont noté des incohérences et des irrégularités à tous les niveaux, ainsi que des difficultés techniques de la part d’Elecam dans l’administration de l’élection». Rien n’y fait jusqu’en 2018, malgré ces avis catastrophés.

V— 7 octobre 2018, gris-gris du Conseil constitutionnel
Voici venu le temps d’expérimenter l’une des matrices de la démocratie : la «publicisation» des débats. On se félicite que le Conseil constitutionnel soit enfin un espace de confrontations à ciel ouvert. Tout s’y interroge, s’y débat, s’y affronte. Sauf que lors des discussions retransmises en direct sur les antennes de la télévision nationale, tout se passe comme si le «collège des sages» s’efforçait, par un usage effréné des techniques juridiques, de susciter une surface plane. Avec une durée inédite, Clément Atangana et son équipe ont nourri un faux suspense, un vrai buzz. Au finish, tous les recours sont rejetés.

Jean-René Meva’a Amougou

Présidentielle 2018

Les leçons à tirer du scrutin du 7 octobre

Le président sortant rempile pour un septième mandat, avec un principal défi politique à relever : renforcer la transparence électorale, pour éviter à l’avenir des résultats suspects provenant de 32 départements sur les 58 que compte le pays.

Tranche de vie pendant la période post-électorale au Cameroun

La présidentielle du 7 octobre 2018 a-t-elle été fiable et sincère ? En vidant le contentieux post-électoral vendredi de la semaine dernière, le Conseil constitutionnel (juge de «la régularité de l’élection présidentielle», selon l’article 132 alinéa 1 du code électoral) est loin d’avoir rassuré tous les Camerounais. En rejetant les 18 recours (en annulation partielle dans certains cas et totale dans d’autres), la haute juridiction n’a pas levé les soupçons qui pèsent sur l’authenticité de 32 procès-verbaux (PV) provenant des commissions départementales de supervision (CDS). Le CDS est l’instance où l’on compile les résultats des bureaux de vote d’un département.

Ce lundi 22 octobre, le Conseil constitutionnel s’est pourtant appuyé notamment sur ces documents pour proclamer la victoire du candidat Biya Paul à ce scrutin. Au cours de l’audience solennelle de proclamation des résultats par Clément Atangana, le président sortant s’est vu attribuer 71,28 % des suffrages valablement exprimés (2 521 934 de voix), loin devant Maurice Kamto son suivant immédiat. Le candidat du Mouvement pour la renaissance (MRC) s’en tire avec 14,23 % (503 384 voix, résultats complets ci-dessous).

Irrégularités
La question de la transparence électorale est pourtant l’enjeu crucial du scrutin du 7 octobre dernier. Contrairement à l’avis des membres du Conseil, les chiffres montrent que les 32 procès-verbaux querellés auraient pu changer les résultats définitifs du scrutin. Selon les statistiques communiquées lors des débats devant la juridiction et non remises en cause, les 32 PV représenteraient plus de trois millions d’inscrits pour un total d’un peu plus de six millions, soit la moitié du corps électoral. Et dans ces unités administratives, 1,3 million de suffrages auraient été valablement exprimés et en écrasante majorité en faveur de Paul Biya, soit plus de 50 % du nombre de voix octroyées au candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).

«L’examen de ces documents montre qu’il ne s’agit pas de PV dans onze départements, mais des simples tableaux sur lesquels des fiches de présence ont souvent été agrafées», soutient Me Michelle Ndoki. Et l’avocate de Maurice Kamto, l’un des requérants, d’ajouter : «sans ces PV, nous pouvons dire, en tant que juristes, que la Commission nationale de recensement général des votes n’a pas statué sur des bases légales. Et donc, elle ne vous met pas en capacité de proclamer des résultats fiables». Elle relève aussi un écart entre le nombre d’inscrits figurant dans nombre de ces PV et celui rendu public par Elecam, l’organe chargé d’organiser les élections. Dans certains documents, le nombre de suffrages valablement exprimés est aussi supérieur au nombre de votants, rajoutant à la suspicion.

Esquives
En réponse, les défenses du RDPC et d’Elecam, conduites respectivement par Me Eyango et Me Atangana Amougou, bottent en touche les griefs formulés par le candidat Maurice Kamto. Elles estiment qu’il s’agit d’un nouveau moyen non contenu dans la requête introduite par Maurice Kamto. Me Eyango et Me Atangana Amougou ne font d’ailleurs que suivre une position exprimée par le Conseil constitutionnel. Au deuxième jour de l’examen de la requête du candidat du MRC, la juridiction a refusé de statuer sur l’authenticité de ces PV et la fiabilité des données contenues dans ces documents. Elle réserve une fin de non-recevoir à la demande des conseils de l’agrégé des facultés françaises de droit. Celui-ci souhaitait la confrontation desdits documents aux listes d’émargement en vertu de l’article 107 du code électoral. «Les listes électorales émargées sont conservées par le démembrement communal d’Élections Cameroon. En cas de contestation, elles sont transmises pour consultation au Conseil constitutionnel (…) sur sa demande», dispose-t-il.

Lors de l’examen de son recours, la défense de Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF), est revenue à la charge sur cette question. En rendant sa décision, le Conseil constitutionnel semble convaincu de la pertinence de ces irrégularités. En effet, il estime que seul le premier moyen de la requête du candidat n’était «pas justifié», l’élection, de l’avis du Conseil, ayant eu lieu dans les régions du Nord-ouest et le Sud-ouest. «Sur le reste des moyens, les griefs soulevés sont sans incidence sur le résultat de l’élection, au sens de l’article 134 du code électoral, compte tenu du nombre de suffrages exprimés en faveur du requérant», poursuivit Clément Atangana. Selon l’article 134, «le Conseil constitutionnel peut rejeter les requêtes ne contenant que des griefs ne pouvant avoir aucune incidence sur les résultats de l’élection». Mais question: comment des griefs concernant notamment les suffrages exprimés par la moitié du corps électoral peuvent n’avoir aucune incidence sur les résultats de l’élection ? Le président réélu devrait sérieusement adressé une réponse fiable à cette question. A ce sujet, la réforme du système électoral en général, et du code électoral en particulier est la première voie à défricher

Aboudi Ottou

 

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