Crise anglophone : La CEEAC craint une ingérence au Cameroun
Depuis quelque temps, l’organisation régionale ne se prive plus d’exprimer son opposition à une intervention de la communauté internationale dans le pays.
Tête-à-tête entre Lacroix et Allam-miLa communauté internationale miroite-t-elle quelque chose contre le Cameroun ? Difficile à dire pour l’instant. Une chose est sûre: les cris au loup se multiplient en Afrique centrale. Le 12 juillet dernier, le secrétaire général de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) s’est joint à ce concert d’inquiétude, à l’occasion d’une audience avec le secrétaire général adjoint des Nations unies pour les opérations de maintien de la paix. Le compte-rendu de cette rencontre, fait par les services de la communication du secrétariat général de la CEEAC où le fonctionnaire onusien a été reçu, apprend qu’Ahmad Allam-mi a indiqué à Jean-Pierre Lacroix que la communauté internationale devait «éviter toute ingérence» dans cadre de la crise dans les régions anglophones du Cameroun.
En réalité, le diplomate tchadien n’a fait que rappeler au diplomate français la position des chefs d’Etat d’Afrique centrale. Position prise lors de la réunion de concertation organisée en marge du 30ème sommet de l’Union africaine, du 1er au 2 juillet 2018 à Nouakchott en Mauritanie. Selon le communiqué final de cette réunion, il en ressort que, pour les dirigeants des Etats de la sous-région, la crise anglophone est «un problème interne au Cameroun, maitrisé par les autorités camerounaises». De ce point de vue, il ne nécessite à ce stade «aucune intervention de la communauté internationale». A la même occasion, les chefs d’Etats de l’Afrique centrale ont «réaffirmé leur attachement au principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats et au respect de l’intégrité territoriale du Cameroun», considéré comme «un Etat uni et indivisible».
Scénario libyen
Pourquoi cette prise de position ? Simple mise en garde ou réaction à une action en préparation ? La CEEAC n’explique pas sa démarche. A Yaoundé, les autorités soutiennent qu’un scénario similaire à celui ayant renversé le régime de Mouammar Kadhafi est en préparation. A la suite des évènements du 1er octobre 2017 et des allusions de «génocide anglophone» qui ont suivi, le ministre camerounais de la Communication, porte-parole de fait du gouvernement, donne une conférence de presse. Issa Tchiroma Bakary explique en fait qu’un «plan diabolique» aux «conséquences déstabilisatrices» aurait été déjoué le 1er octobre. Il consisterait, selon le Mincom, à harceler les policiers et les militaires déployés dans le Nord-ouest et le Sud-ouest dans «le but de provoquer une réaction vigoureuse des forces de sécurité, entraînant un bain de sang et suscitant par là-même une hypothétique intervention internationale».
Même si le gouvernement camerounais n’a fourni aucune preuve pour étayer ses allégations, l’hypothèse d’une intervention de la communauté internationale n’est pas complétement saugrenue. A la suite d’une insurrection déclenchée dans la ville rebelle de Bengazi et à la demande de la France de Nicolas Sarkozy, l’Organisation des Nations unies (Onu) votait, le 17 mars 2011, la résolution 1973. Elle autorise les Etats membres de l’Onu «à prendre toutes mesures nécessaires, pour protéger les populations et les zones civiles». Quelques jours plus tard, une coalition de pays (France, Etats-Unis et Grande Bretagne) attaque la Libye et assassine le colonel Mouammar Kadhafi.
Un tel scénario est-il possible au Cameroun ? Certains experts se montrent sceptiques. Parmi les raisons avancées, le soutien affiché de Paris à Yaoundé sur la question anglophone. «Nous savons les tensions qu’il y a dans la région anglophone. Et là aussi, j’ai apporté tout mon soutien au gouvernement pour qu’il puisse aller vers la stabilité», indiquait Emmanuel Macron en début de mois de juillet. En visite au Nigéria, le président français dévoilait le contenu de l’échange téléphonique qu’il avait eu avec le président camerounais quelques jours avant.
Aboudi Ottou
Depuis bientôt un an, la crise anglophone a dégénéré en conflit armé. A ce jour, plusieurs milices d’inspiration séparatistes affrontent les forces de défense et de sécurité (FDS) camerounaises dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, où vivent à peu près 20% de la population. Pour les pouvoirs publics, l’objectif de ceux qui alimentent ces groupes armés est ni plus ni moins le renversement du régime Biya par une intervention extérieure. C’est bien-là la quintessence des sorties publiques du ministres de la communication et porte-parole du Gouvernement, depuis le début des revendications corporatistes (avocats et enseignants) pour une meilleure prise en compte de la minorité anglophone. Ainsi que l’a expliqué Issa Tchiroma Bakary le 09 octobre 2017, le scénario consisterait à harceler les FSD, «le but étant de provoquer une réaction vigoureuse des forces de sécurité, entraînant un bain de sang et suscitant par là-même une hypothétique intervention internationale». La Communauté économiques des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) semble partager cette façon de voir et dire les choses. Elle qui ne manque plus aucune occasion pour rappeler à l’Organisation des Nations unies (Onu) son opposition à une intervention de la communauté internationale.
Opinion
Une intervention des Nations unies au Cameroun est-elle possible ?
Le Cameroun s’enfonce inexorablement et de manière irréversible dans une trappe à conflits dont les conséquences humaines, économiques et sociales inquiètent ses partenaires internationaux. En juin dernier, les diplomates onusiens ont exprimé leur extrême préoccupation devant la flambée de violence et les nombreuses violations des droits humains signalées dans la partie anglophone du pays. Cette sortie n’a pas manqué d’alimenter les rumeurs les plus folles sur une imminente intervention onusienne au Cameroun.
L’envoi des Casques bleus au Cameroun ? C’est ce qu’on peut lire en grand titre à la Une de certains tabloïds et de la presse en ligne. Cependant cette information repose sur une mauvaise interprétation de la déclaration des responsables onusiens et d’une méconnaissance du protocole des Nations unies en matière d’intervention armée.
Tout part d’une correspondance adressée par la coordonnatrice du système des Nations unies au Cameroun, où elle dit vouloir «renforcer la présence des Nations unies au Cameroun afin de répondre au besoin d’assistance et de protection des personnes déplacées, dans le strict respect des principes humanitaires et en coordination avec l’effort du gouvernement». Nous sommes ici dans le registre d’une assistance humanitaire comme le pays en connait à l’Extrême-nord, plus précisément dans le camp de Minawao, où l’UNHCR assiste environs 60.000 réfugiés nigérians et une partie des déplacés internes camerounais. La même assistance est délivrée aux 200.000 rescapés centrafricains qui séjournent dans les régions de l’Est et de l’Adamaoua.
L’intervention des Casques bleus entre à contrario dans le registre des Opérations de maintien de la Paix (OMP) qui sont extrêmement codifiées dans les chapitres VI (relatif au règlement pacifique des conflits) et VII (en cas d’agression contre un Etat) de la charte des Nations unies. L’enjeu d’une telle intervention est de contenir la situation explosive et d’actionner le processus politique pour un règlement rapide du conflit.
On en est loin, en ce qui concerne le Cameroun. Ce d’autant plus qu’une intervention engagée sans la demande/accord du gouvernement camerounais violerait la doctrine onusienne de la paix, qui repose sur trois principes : le non-usage de la force (les Casques bleus ne disposent que d’armes défensives légères), l’impartialité (ils ne jouent que le rôle d’une force d’interposition entre 02 belligérants) et le consentement des parties (y compris celui de l’État dont le territoire servira de théâtre d’opération). Au-delà du respect de cette doctrine, les membres du conseil de sécurité doivent tomber d’accord pour adopter une résolution qui légitime et finance une telle intervention au Cameroun. Chose difficile à obtenir pour 02 raisons :
1. les Etats-Unis veulent réduire les missions de paix en Afrique et s’attaquent au budget de la Monusco (RDC) et de la Minusma (Mali);
2. Dans l’hypothèse où les Etats – Unis seraient favorables, la France, gardienne des dictatures africaines, opposerait un véto qui paralysera l’action du Conseil de sécurité. Quid des positions chinoises et russes dans un contexte marqué par l’intensification des rapports diplomatiques entre le Cameroun et ces puissances de l’est.
Dans tous les cas de figure, la présence onusienne au Cameroun ne pourra être qu’humanitaire. Même si les Etats – Unis le souhaitaient, une intervention multilatérale sous la bannière des Nations unies ne saurait voir les jours. Car Paris, en plein désaccord avec Washington sur le dossier du climat, des accords commerciaux et le nucléaire Iranien, bloquera toute intervention dans ce qu’elle considère toujours comme son pré – carré, où règne un autocrate soumis à ses injonctions.
Il est en revanche possible d’envisager l’hypothèse d’une intervention unilatérale sur le long terme, portée par le couple anglo-saxon (USA-UK) qui a déjà longuement tiré sur le gouvernement camerounais (même si la colère de Londres a été récemment tempérée par une concession gazière). Aussi des sanctions individuelles dirigées contre les dignitaires du régime soupçonnés de violation grave des droits humains et du droit international humanitaire sont de plus en plus plausibles sur le court terme. Il n’y a pas deux solutions que l’alternance politique pour barrer la voie au déploiement d’une puissance étrangère sur le sol camerounais.
Joseph Léa Ngoula
Analyste politique, coordonnateur national
à la mobilisation du mouvement NOW!
Front contre l’ingérence
Un autre allié nommé Union africaine
Dans son nouveau positionnement, Addis-Abeba est contre la moindre immixtion d’une entité étrangère dans les problèmes du continent.

L’instabilité dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun s’est imposée en sujet vedette de la dernière visite à Yaoundé du président de la Commission de l’Union africaine (UA), les 12, 13 et 14 juillet dernier. Sans doute du fait de sa gravité ! Au cours de leur huis clos, Paul Biya et Moussa Faki Mahamat ont, longuement échangé, sur la situation qui prévaut dans les régions anglophones. Du moins à en juger l’esprit de l’échange des toasts lors du déjeuner d’Etat offert par le couple présidentiel à l’illustre hôte. A cette occasion, le président de la Commission de l’UA a eu ces mots: «les éclairages pertinents dont vous avez bien voulu me faire profiter sur les évènements qui se déroulent dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun me sont particulièrement instructifs». Et de poursuivre: «Je voudrais à cette occasion réitérer le ferme attachement à l’unité, l’intégrité territoriale, la stabilité politique et sociale de tous nos Etats membres au sein desquels le Cameroun représente un symbole de diversité linguistique, culturelle et religieuse certes, mais d’unité, d’harmonie et de concorde également».
Véto
En vertu de l’article 4 de l’acte constitutif de l’UA, la promotion de l’auto-dépendance collective dans le cadre de l’Union est un principe de l’organisation continentale. Ce principe est désormais très appliqué depuis l’échec du continent à s’interposer contre l’ingérence étrangère en Côte d’Ivoire (2010) et Libye (2011). Les Etats africains essaient tant bien que mal de s’opposer aux agressions extérieures, aux interventions politiques, militaires et même humanitaires non validées par les autorités politiques des pays en situation de sinistre politique et/ou sécuritaire.
Bien plus, depuis 2016, l’UA, sous la présidence en exercice du Guinéen Alpha Condé a réussi à imposer un logiciel de pensée et d’action: «les problèmes africains se règlent en Afrique par les Africains». Même si les capacités d’opérationnalisation sont encore limitées sur le continent, la réforme de l’UA amorcée depuis 2016 par le trio Deby-Conde-Kagame a amélioré les choses. Désormais, il faudra se référer à l’UA pour tout déploiement politique et sécuritaire en Afrique. C’est dans la dynamique du positionnement stratégique du continent dans le système multilatéral international. Le stratégique dialogue de «continent à continent» implémenté par l’actuel chef de l’exécutif de l’UA. Sur le dossier Cameroun, il faudra donc compter avec l’organisation continentale. Toute volonté d’actions devra l’intégrer.
Appui
La contribution de l’UA à la résolution de la situation actuelle n’est pas précisément connue. Pour sa part, le président de la Commission «a appelé à un dialogue inclusif et engagé tous les acteurs concernés à privilégier cette voie pour une sortie de crise durable fondée sur le leadership et l’implication des camerounais de manière à renforcer l’unité du Cameroun dans le respect de sa diversité», mentionne la déclaration faite à la suite de sa visite à Yaoundé. «L’Union africaine est disposée à accompagner tout effort déployé à cette fin, conformément aux responsabilités qui sont les siennes au terme de ses instruments pertinents», peut-on y lire. La proposition de l’UA serait donc un dialogue plus engageant, davantage susceptible de porter des solutions structurelles. Voilà pourquoi dans son toast, Moussa Faki Mahamat déclarait: «seuls la concertation, le dialogue et le traitement pacifique sont la voie juste à poursuivre». L’UA pourrait assurer une mission de bons offices à cet effet et en aurait toute la crédibilité !
Matériellement, l’UA s’insère dans le logiciel de réponse de Yaoundé. Dans le cadre du plan d’assistance humanitaire, une conférence d’appel de fonds est organisée pour mobiliser un soutien plus important, à la mesure des besoins des populations affectées. Le patron de l’UA adéjà promis qu’il fera prendre «des mesures idoines pour que cette solidarité et compassion se traduisent dans les faits à travers une initiative pertinente qu’appelle la situation».
Zacharie Roger Mbarga
Verbatim
Issa Tchiroma Bakary
«Provoquer une hypothétique intervention internationale»
Extrait du propos liminaire du ministre camerounais de la Communication lors d’une conférence de presse donnée le 09 octobre 2017
«Les événements qu’ont vécus nos compatriotes dans certaines localités du Nord-ouest et du Sud-ouest le 1er octobre dernier sont le fait de ces extrémistes violents qui avaient déjà prédit et planifié un bain de sang et pire encore, – je les cite – «un génocide anglophone», fin de citation.
De fait, la stratégie mise en place par ces dangereux fauteurs de troubles consistait, au moyen de correspondances adressées au secrétaire général des Nations unies par les nommés Julius Sisiku Ayuk Tabe, Wilfried Tassang et AkereMuna, à préparer les esprits à la survenance d’un génocide planifié par le Gouvernement camerounais à l’encontre de compatriotes d’origine anglophone.
Pour ce faire, des centaines de mercenaires ont été recrutés et formés à l’étranger, des cargaisons d’armes blanches – en l’occurrence plus de 500 machettes parfaitement aiguisées – d’importantes quantités d’armes à feu et d’engins explosifs ont ainsi été provisionnés et placés en lieux surs par les sécessionnistes.
Cet arsenal devait servir à l’exécution de tueries en masse, perpétrées par ces mercenaires.
À cette occasion, des attaques armées devaient être lancées contre les Forces de Défense et de Sécurité, des services publics, des édifices et des biens publics et privés. Parallèlement, des groupes de personnes armées, fanatisés, drogués et que l’on avait conditionnés et revêtus d’amulettes pour leur faire croire à leur invulnérabilité, allaient être jetés contre les Forces de maintien de l’ordre ; le but étant de provoquer une réaction vigoureuse des Forces de Sécurité, entraînant un bain de sang et suscitant par là-même une hypothétique intervention internationale.
Fort heureusement, les renseignements recueillis par nos Forces de Défense et de Sécurité ont permis de prévenir suffisamment à temps, la réalisation ce plan diabolique et de déjouer les conséquences déstabilisatrices de ce stratagème.»
Cavaye Yeguie
«Toute interférence ne peut être que volonté de déstabilisation»
Extrait du discours du président de l’Assemblée nationale à l’occasion de la clôture le 06 juillet dernier de la session parlementaire du mois de juin.
«Je ne saurais clore mon propos sans dire l’indignation, mais alors toute l’indignation de la représentation nationale, face aux ingérences d’où qu’elles viennent dans les affaires internes du Cameroun (…) Laissez les Camerounaises et les Camerounais décider de leur destin. Toute interférence ne peut être que manipulation et volonté de déstabilisation. Ce que je dénonce et condamne avec la dernière énergie du haut de cette tribune du peuple souverain (…) A plus de 70 ans de parlementarisme et après près de 60 ans d’indépendance, le Cameroun doit pouvoir assumer librement la conduite de sa propre politique (…) Nous disons oui à des relations de coopération saines et mutuellement bénéfiques mais nous réfutons toute tentative de manipulation de l’opinion.»