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Extrême-nord du Cameroun: Aux sources de l’extrémisme

De l’avis des observateurs, des données de terrain juxtaposent plusieurs éléments de réponse. 

Photo de famille à l’ouverture des travaux

Evidence partagée et mise en exergue à Maroua du 24 au 25 juillet 2018: «la place centrale de l’individu dans la spirale de la violence est souvent oubliée et les réponses apportées pour le protéger sont, jusqu’ici, bien éloignées de cet objectif humanitaire». Dr Sévérin Tchetchoua Tchokonte se montre assertif parce qu’il a mené des travaux scientifiques dans plusieurs localités de la région de l’Extrême-nord réceptives aux messages de Boko Haram. Les conclusions du politologue camerounais débouchent sur l’idée selon laquelle «les décideurs ne prennent pas en compte des hommes». L’expert va plus loin: «on les regarde juste comme des monstres», fait-il observer.

A elle seule, cette analyse résume le lien entre les racines de la montée de l’extrémisme et le contexte sécuritaire décrié il y a environ cinq ans. Le Pr Anatole Fogou, chercheur associé au Ceides, pointe un doigt accusateur sur la négligence (volontaire ou non) de plusieurs variables. Celles-ci, indique- t-il, sont politiques, sociales, économiques et humaines. Les détails qu’énumère ce spécialiste sont, de son point de vue, plus ou moins interconnectés. Ils vont de la gouvernance exclusive au désœuvrement de la jeunesse, en passant par la pauvreté multifactorielle, la démographie galopante, les trafics d’armes et de la drogue, les conflits communautaires et une sécurité physique des populations mise à rude épreuve.

Egoïsme et passivité

L’affirmation affichant la religion comme facteur exclusif d’explication est même est balayée. «L’engagement au sein des groupes extrémistes n’est que rarement motivé par la religion, mais bien plus par les logiques de protection ou des raisons économiques», tranche Gustave Gaye, spécialiste de la violence et des conflits en situation de pauvreté. Afin d’engager une meilleure appropriation de cet avis, le Pr Issa Saibou établit que «les multiples négligences de l’Etat (politiques économiques défectueuses, zones abandonnées, programmes de santé et d’éducation sans impact sur la population, indifférence face aux questions de migrations etc.) et la sous- utilisation générale des populations dans la mise en place de la politique de prévention, ne militent pas en faveur de la résilience».

Sous les mots, se lisent les conséquences de l’égoïsme des institutions et de leur passivité. Sur ce chapitre, les participants aux travaux de Maroua citent l’exemple du regard plus ou moins attentionné des autorités sur des organisations de la société civile. «On aurait dû s’en méfier», regrette le directeur de l’Ecole normale supérieure de Maroua. S’inspirant de ses expériences personnelles sur le terrain, il révèle qu’à certains endroits à l’Extrême-nord, la société civile est considérée comme une planète diffuse, dispersée. «Elle est mal coordonnée, très politisée et parfois financée de l’extérieur pour des objectifs pas toujours nobles», situe le Pr Adder Abel Gwoda, politologue à l’université de Maroua.

Jean-René Meva’a Amougou,

envoyé spécial à Maroua

L’extrémisme violent. Voilà l’un des fléaux auxquels l’Afrique fait face depuis quelque temps. Cette vérité emporté dans la spirale transformative des mentalités. Çà et là, elle a tout d’exhaustif: montée des groupes armés, contestation à la pelle, fort coefficient des indicateurs délictuels, des jeunes biberonnés à l’école de pernicieux mouvements politiques ou religieux, tueries etc. Selon ce descriptif, les idéologies structurées autour d’une Afrique mal partie trouvent justification. Surtout que, plus que par le passé, la paix, les droits de l’Homme et le développement sont sérieusement menacés.
Selon les experts, les réponses exclusivement sécuritaires ne suffisent plus. C’est le crédo que chantent les Nations unies dans le Plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent adopté le 24 décembre 2015. Ce crédo, le Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (Ceides) le reprend. En collaboration avec des organismes partenaires, ce think tank basé à Yaoundé ouvre une nouvelle brèche sur le thème de l’anticipation.
A Maroua (Extrême-nord du Cameroun) dignitaires religieux, autorités administratives et militaires, activistes de la société civile, leaders des mouvements associatifs, spécialistes des questions de défense et de sécurité ont discuté pendant deux jours et élaboré des recommandations sur des sujets corrélés à l’approche préventive de l’extrémisme violent. Sous la forme d’un dialogue participatif, le curseur des travaux est resté sur l’Extrême-nord du Cameroun et son pourtour: état des lieux, défis, opportunités et perspectives d’une synergie d’action. Des sujets auxquels se penche le présent dossier.

 

Le canon et la matraque ne suffisent pas

Loin de réduire les offensives des extrémistes, leur usage exclusif est davantage contre productif.

A l’Extrême- nord du Cameroun, pas un pas sans militaire. Poussé par l’épopée sanglante et meurtrière où Boko Haram dictait sa loi, le gouvernement camerounais a le doigt sur la gâchette depuis près de cinq ans. «C’est surtout le visage asymétrique d’une guerre imposée à notre pays qui a forcé l’usage du canon et de la matraque», se défend l’état-major de la région militaire interarmées numéro 4 (RMIA 4). «L’urgence et l’ampleur meurtrière justifient donc clairement l’orientation purement militaire des efforts d’éradication de la secte djihadiste nigériane», appuie Yadju Mana, enseignant à l’université de Maroua et chercheur au Ceides. A l’en croire, seules des réponses musclées ont été apportées à la précarité de la situation sécuritaire dans la région. Avec à la clé la mise sur pied d’une unité multinationale, épaulée par un corps d’élite décliné en Bataillon d’intervention rapide (Bir).

En dépit de ses multiples atouts, cette approche au profil local, régional ou continental a montré ses limites. C’est en tout cas ce que constatent les participants à la rencontre de Maroua. Ils relèvent que si les forces de défense et de sécurité sont des acteurs essentiels de la stabilisation face à la violence armée, leur comportement est parfois source de problèmes, notamment lorsque leur déploiement s’accompagne d’exactions. Car, sur le terrain, les bidasses sont parfois confrontés à des défis auxquels ils ne sont pas préparés.

Changement de stratégie
Et parce qu’on ne combat pas les idéologies avec les fusils, mais avec de meilleures idées, l’heure est venue de penser une vision plus attrayante et convaincante. Pour opérationnaliser une telle vision, les forces de défense doivent, en plus de jouer leur rôle classique, s’adjoindre celui de la prévention. «Elles sont appelées à participer à la construction d’un jeu collectif car les effets synergiques de celui-ci constituent à n’en point douter un précieux atout dans la prévention», avance Abdoul Nasser, enseignant à l’université de Maroua. Il ajoute: «les armées sur le terrain doivent pour cela déployer une stratégie d’influence pour orienter l’échiquier psycho- cognitif de la région et non travailler à être uniquement des bourreaux».

Sur cette ligne, Paul Haman, sénateur SDF de la région de l’Adamaoua suggère une coopération civilo-militaire. Celle-ci, souligne- t-il, passe par la formalisation des services de communication dans des unités présentes dans la région de l’Extrême-nord et son pourtour. Selon le parlementaire, en sus, des actions communautaires d’intérêt social doivent être menées par l’armée afin de renforcer sa notoriété et entretenir des relations paisibles avec les populations.

Enjeu

Le plus évident est la déconstruction de la méfiance des populations vis-à-vis des armées sur le terrain. «C’est cette méfiance qui favorise la reproduction de la radicalisation dans le temps», croit savoir Marthe Wandou, coordinatrice d’Alepa. Sur la foi des enquêtes menées par cette ONG locale, les abus de diverses natures sont le lot quotidien des populations. «Les militaires pensent que leurs armes sont des passe- droits utilisables à tort ou à raison», s’insurge l’activiste. Bien que la véhémence de son propos soit modérée par l’énumération d’une foule d’actes militaires positifs, Marthe Wandou insiste sur une «armée sociétale à la base». En filigrane de ce point de vue, il y a surtout «l’appel» lancé en direction des forces de défense à sortir de leur rigidité.

Jean-René Meva’a Amougou

 

‘’Il n’y a pas de nouvelle menace, mais de menace renouvelée’’ 

Pr Issa Saibou

La plupart des menaces n’ont pas été résolues ou gérées de façon pertinente 

L’historien a fait des questions de sécurité sa tasse de thé. Sa connaissance du sujet lui vaut d’ailleurs de conduire des expertises pour le compte des Nations unies, de la CEEAC, et de diverses organisations humanitaires. L’enseignant d’université livre quelques grilles de lecture des schémas de prévention de l’extrémisme violent dans l’Extrême-nord du Cameroun.

On vous a entendu parler du renouvellement des menaces sécuritaires. Vous en avez d’ailleurs fait la ligne directrice de votre exposé. Alors, que comprendre de la différence que vous avez tenue à souligner ?
C’est toujours un grand honneur de parler, en tant que personne ressource, dans la pléthore des spécialistes qui travaillent sur les phénomènes de violences et des menaces sécuritaires. Il faut dire que ces phénomènes sont tellement mouvants que, ce que l’on pense tenir pour acquis épistémologique, ce que l’on pense avoir épuisé la semaine précédente, se retrouve modifié par d’autres événements survenus le lendemain. Et du coup, on est pris dans la confusion. Laquelle confusion donne l’impression que ce sont des événements nouveaux alors que ce sont des événements renouvelés. Alors de mon point de vue, il n’y a pas de nouvelles menaces mais de menaces renouvelées.

Vous parlez de confusion. Concrètement, à quoi est- elle due?
Elle est à lier avec la convertibilité des acteurs. C’est ce qui donne l’impression de quelque chose de nouveau alors que ce sont les mêmes acteurs qui signent leur retour simplement en changeant de mode opératoire. Voilà le premier élément d’explication. Le second est à chercher dans les dynamiques de gestion des menaces. La plupart d’entre elles n’ont pas été résolues ou gérées de façon pertinente ou du moins posée. Tout est élaboré comme devant porter sur la réponse immédiate à la violence.

…En réalité, l’extrémisme violent se singularise par son caractère multidimensionnel et complexe. La multi dimensionnalité de la menace commande de gouverner autrement, d’abandonner l’autoritarisme et l’unilatéralisme au profit d’une gouvernance globale et partagée…

On a beaucoup parlé de la nécessité d’une collaboration civils et forces de défense et de sécurité. Est-ce un pari tenable quand on connait la verticalité des relations entre les militaires et les populations civiles ?
Si l’implication des forces de défense et de sécurité parait assez musclée au regard de certaines pratiques présumées, les expériences et des initiatives sur le terrain témoignent de leur implication dans la prévention de l’extrémisme violent. C’est dire que les forces de sécurité et de défense, les nôtres tout au moins, jouent un rôle essentiel dans le travail de prévention. Ce travail a été fait en amont d’une part et en aval d’autre part.

Bref par la haute hiérarchie militaire et sur les théâtres des opérations. Car en haut lieu, on a compris que le préalable à l’établissement de la sécurité est la présence de l’Etat dans la vie des populations et l’existence d’un Etat de droit. Afin de construire le front contre la dégradation de la cohésion sociale, les curricula militaires intègrent désormais le droit international humanitaire et les droits spécifiques comme les droits de l’enfant, les droits des réfugiés avec la constitution d’un pool d’instructeurs à cet effet. Pour ce qui est de l’implication des populations, même si le chemin à parcourir reste encore long en matière de participation citoyenne, il faut se féliciter de ce qu’on a obtenu jusqu’ici dans le cadre de la lutte contre Boko Haram notamment.

…Les forces de sécurité et de défense, les nôtres tout au moins, jouent un rôle essentiel dans le travail de prévention. (…) Car en haut lieu, on a compris que le préalable à l’établissement de la sécurité est la présence de l’Etat dans la vie des populations et l’existence d’un Etat de droit…

Qu’en est-il de la résilience face à l’extrémisme?
Vous savez, le comportement des forces de défense et de sécurité est important à travers la conduite de la riposte face aux actions des extrémistes violents. A la vérité la qualité de la riposte renforce la capacité des populations à résister face aux pressions multiples, dissipe la crainte des représailles, établit et maintient un climat de compréhension et de confiance mutuelle entre la population et l’armée. A cet effet, en plus des initiatives comme le G5 Sahel, d’autres idées sont en cours d’élaboration pour adapter la riposte.

Un autre pan du débat se situe au niveau de la synergie d’actions. Quel votre regard là-dessus ?
Partant de la mise en exergue de l’existence d’un cycle de violence qui prend racine dans divers facteurs tels que la politique patrimoniale, la pauvreté, les inégalités, le chômage, on ne peut aboutir qu’à la conclusion que le cercle vicieux de la violence impose un changement de paradigme avec l’adoption d’un nouveau mode de gouvernance. Celle-ci devrait répondre aux doléances de façon concrète, pratique et objective, renforcer les mécanismes de gestion des menaces, forger l’inclusion.
En réalité, l’extrémisme violent se singularise par son caractère multidimensionnel et complexe. La multi dimensionnalité de la menace commande de gouverner autrement, d’abandonner l’autoritarisme et l’unilatéralisme au profit d’une gouvernance globale et partagée. Cette dernière implique l’ouverture et impose le concours de plusieurs acteurs: l’Etat, les forces de défense, les chefs religieux et coutumiers, les organisations de la société civile, les personnes vulnérables, les organismes de coopération internationale.

Interview réalisée à Maroua par

Jean-René Meva’a Amougou

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