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Nkongsamba : du droit d’usage au droit de propriété

À Nkongsamba et ses environs, l’observation de la dialectique entre les deux principes mêle des logiques à la fois contradictoires et perméables.

Une vue de Nkongsamba en juillet 2023

 

«L’affaire de terrain ici dans le Moungo…» Le discours de Sa Majesté Henri Epanda Ebwelle, chef supérieur des Bane’ka, peut paraître un brin simpliste, voire caricatural. À défaut d’être bien claire, la boutade fait écho à des actualités déjà connues à Nkongsamba et ses environs. «On a beau être calme et dire oui mais… Regardez tous ces abus, regardez ces fouteurs de guerre, ces maîtres de l’arbitraire Quand on met le doigt dans ce qu’ils font au niveau du cadastre, on y laisse la main puis le bras», déplore le dignitaire traditionnel bane’ka. Selon ce dernier, dans les contrées relevant de son ressort, la tendance est à faire prévaloir l’entière souveraineté de migrants: libre d’emprisonner, discriminer, rouler dans la farine, sans avoir aucun compte à rendre.

«Nouveaux proprios»
Du coup, nous sommes appelés à parler de cette ombre qui étouffe: celle des nouveaux propriétaires fonciers dans le Moungo. «Ils sont nombreux ici; leur poids financier infecte toute l’activité des tribunaux», décrit un homme qui se présente comme natif de Ngalmoa. «Depuis plus de soixante ans, faisant fi de leurs engagements au profit de leurs intérêts économiques, ces migrants ont acquis des terres dans des conditions entourées d’une impénétrable opacité. Ils sont passés maîtres dans l’art de transformer, permuter, déplacer, modifier et revaloriser le droit d’usage en droit de propriété». Dressé par Christian Ewane, chef de Mbaressoutou, le constat assure que, dans le giron Bane’ka, de nombreuses transactions foncières ont été faites dans une ambiance d’hypocrisie flagrante. «On vous a donné une parcelle pour cultiver. Ce terrain, des années plus tard, devient le vôtre. C’est cela la réalité. Quelqu’un de plus jeune aura peut-être un peu de mal à s’y retrouver, mais, par exemple plusieurs affaires pendants dans les tribunaux font partie des actualités que j’ai vécues!», affirme Christian Ewane.

Dans les tribunaux…
Sous des traits les plus variés, l’ensemble éclaire la façon dont les pertes et efforts consentis en vue d’une réparation s’accumulent avec le temps, et alimentent d’interminables procès. «Et selon la façon dont les hostilités s’achèvent parfois, le rapport de force entre Bane’ka et migrants est souvent bouleversé au bénéfice des derniers. «Si tu insistes trop, ça va mal finir. Alors arrête»«, glisse un patriarche de Mbaressoumtou. À l’entendre, la capacité des Bane’ka à remporter des victoires judicaires face à ceux qu’ils désignent comme des «envahisseurs» a drastiquement décliné sous l’effet de l’argent. Dans ce contexte, une impression de futilité de l’emploi de la force aboutit plus souvent à des conflits étalés sur plusieurs générations qu’à des paix durables. De manière plus fondamentale encore, la prédominance des conflits fonciers dans le Moungo reflète l’existence de rapports de force très déséquilibrés entre «descendants de migrants» et peuples autochtones.

À bien des égards, la durée de certains procès a permis aux premiers de renverser le rapport de force face aux seconds campés sur une stratégie indirecte fondée à la fois sur l’évitement et le harcèlement. «On a tout fait pour que ces gens nous rendent nos terres… On a vraiment tout fait, au point où l’argent mis en jeu par nos adversaires et leur organisation ont fini par nous poser de multiples défis», brandit Henri Epanda Ebwelle. «Et parmi ces défis, enchaîne-t-il, il y a d’abord celui consistant à démanteler les allégeances complexes et alliances de circonstances entre certains fils bane’ka et ceux qui arrachent nos terres où ont vécu nos ancêtres». D’après Henri Epanda Ebwelle, c’est là sans doute le double point de départ des échecs. «Nous les Bane’ka ne comprenons toujours pas que la première des priorités face ces migrants est de les empêcher d’atteindre les objectifs fonciers qu’ils se fixent; ce qui implique de bien lire leurs intentions. La seconde est de leur refuser la capacité à monter en puissance par la conquête non seulement de terres, mais également des cœurs et des esprits des populations», suggère Christian Ewane.

Le ver est dans le fruit
Dans le fond, une telle formulation tend à mettre en avant l’altérité fondamentale qu’incarneraient plusieurs Bane’ka avides d’argent. Et de fait, pointe encore Christian Ewane, plusieurs conflits fonciers s’établissent lentement et sûrement dans le vécu quotidien de la communauté bane’ka qui ont fini par les intégrer avec le temps comme mode normal de vie ou d’interaction communautaire. «Pour comprendre plus finement la situation, intervient Henri Epanda Ebwelle, il faut se dire que, quelque part, la communauté bane’ka est entrée dans le «pot au noir», cette zone au milieu des océans où les vents qui soufflent en sens contraires se neutralisent ou se combattent». Cela appelle résolument une nouvelle boussole, au sens de Prince Ndedi Eyango. En sa qualité de président du Codecaba (Comité de développement du canton Bane’ka), le «Prince des montagnes» en appelle au rassemblement et à la cohésion. «C’est la seule voie par laquelle nous pouvons élaborer un plan d’action concret au milieu des loups qui nous guettent au quotidien», souligne l’artiste-musicien de renom. Selon lui, les Bane’ka sont longtemps restés à la merci des fauves qui œuvrent chaque jour pour l’extinction des Bane’ka. «Dans un département du Moungo de plus en plus fluide, quelques migrants brouillent et embrouillent l’ambiance en plaidant pour un droit à la terre qui remet en question les notions d’autochtone», fait remarquer Prince Ndedi Eyango.

Ce dernier se montre d’autant plus amer qu’à ce jour, de nouvelles situations apparaissent et revêtent un aspect bien plus général et complexe. «Il ne s’agit pourtant pas d’une xénophobie, mais bien d’une volonté des Bane’ka de prendre de la distance et de restituer leur connaissance de la situation et les impacts qu’elle a sur le fonctionnement du vivre-ensemble dans le Moungo», ajuste Jeannot Ecko Ekwelle, un patriarche du village Ekangté. «Nous sommes loin de tenir un discours de haine», avise-t-il. «Nous revendiquons juste un peu de justice et de reconnaissance sur la base de quelques constats faits depuis plusieurs années maintenant», ajoute le Prince des montagnes. En accentuant son regard sur les contradictions à l’œuvre dans la construction du vivre-ensemble dans le Moungo, l’artiste-musicien estime que, sur la question foncière à Nkongsamba et ses environs, il n’existe pas de système qui se reproduise de lui-même indépendamment de la volonté des Bane’ka. Pour lui, il existe néanmoins des facteurs qui poussent les acteurs à reproduire certains schémas. «Ces schémas sont tels que quelqu’un arrive, brandit un titre foncier plus ou moins régulier, provoque des doutes, des remises en question suscitant des réajustements fonciers plus ou moins conscients, oscille d’une proximité ostentatoire des affaires du pouvoir à l’incarnation de l’intégration nationale, en passant par une participation prégnante à l’espace politique et économique du Moungo», décrit Prince Ndedi Eyango.

Jean-René Meva’a Amougou, envoyé spécial à Nkongsamba

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