PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

François Ngoa Kodena : «Le paradigme Afrosofia est une des voies privilégiées de la renaissance panafricaine et mondiale»

Pensée universelle : la vérité tracée à la «Kodena»

Plongée au cœur d’un essai rédigé par le Camerounais basé aux États-Unis.

«Afrosofian Knowledge and Cheikh Anta Diop: Geo-Ethical and Political Implications». Attention, il faut s’accrocher parce que c’est très dense et peut être… intellectuellement épuisant. Mais de quoi s’agit-il vraiment, demanderiez-vous? De tout, sauf de la description d’un pique-nique. Rien à voir. Il ne s’agit pas non plus d’une formulation synthétique d’une série de commentaires extrapolés sur la base des travaux grands esprits. En tout cas, si l’on a connaissance de la pensée d’un certain Cheikh Anta Diop sur la civilisation africaine, il y a de quoi nourrir votre réflexion et peut-être, vous faire découvrir des questionnements inattendus. Dans «Afrosofian Knowledge and Cheikh Anta Diop: Geo-Ethical and Political Implications», cette magie opère sous la plume François Ngoa Kodena. Tout au long de l’ouvrage bâti sur 220 pages, le Camerounais ne fait pas mine de sous-entendre qu’il est en train de faire de la philosophie. Ce qu’il livre au lecteur, c’est une explication des origines africaines de la pensée philosophique universelle. Mû par une capacité intellectuelle de disséquer de manière quantique les arguments de Cheikh Anta Diop, l’auteur est là avec un livre qui, dans un jeu de variations où s’unissent récit et réflexion, histoire récente et ancienne, enrichit de nouvelles nuances sur un terrain où, depuis des siècles, l’Occident lève le poing, persuadé de détenir la vérité sur les origines de la philosophie. La question se pose alors de savoir sur quels registres se déploie la démarche de l’auteur.

Dans la préface, Prof. Molefi Kete Asante apporte des réponses. «La méthodologie de Kodena est directe et transdisciplinaire; sa vision ontologique globale est curative et conciliante. Après avoir exposé un paradigme afrosofien-antadiopien, l’auteur entreprend un examen approfondi de l’épistémologie de Cheikh Anta Diop pour découvrir ses subtils fils sous-jacents reliant sofia à la loi cosmique kémétique du devenir appelée kheper», écrit-il. En ce sens, le livre, qui sort des éditions Lexington Books ce 14 juillet 2023, appelle un effort interprétatif très spécifique. Que dire? «Afrosofian Knowledge and Cheikh Anta Diop: Geo-Ethical and Political Implications» appelle une mathématique de l’esprit, mieux une gymnastique de l’esprit. Et avec le lecteur, l’ouvrage fonctionne ainsi. Tant le raisonnement savant, ainsi que le degré d’explicitation et de cohésion auquel Kodena a porté son intuition sont flagrants.

Jean-René Meva’a Amougou

 

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Je suis François Ngoa Kodena, philosophe afrikain-Kamerunais, enseignant et chercheur. Je suis docteur en géopolitique et éthique de l’Université Duquesne (Pittsburgh, Pennsylvanie, États-Unis). Je suis inventeur du paradigme épistémologique «Afrosofia»; mes recherches portent sur les études afrikologiques, les théologies noires, la géo-éthique et la politique. J’étudie les philosophies raciales et liées au genre; et je promeus la pensée corrective dans divers programmes éducatifs inclusifs dans le monde universitaire et au-delà, y compris les histoires du monde africain, politique, cultures et civilisations, littératures, genres musicaux et arts dans les mouvements renaissants panafricains. Je suis impliqué dans la résolution des conflits en tant que fara/prêtre catholique. Je défends le rôle clé des spiritualités comme le Beti Mvett dans la formation des mentalités démiurgiques et écologiques. Mes recherches s’étendent également aux relations afro-asiatiques, aux analyses géo-économiques, sociales et des politiques publiques, aux études stratégiques et de sécurité, à la gestion des ONG, aux modes de vie durables, à la paix durable et aux projets axés sur le leadership avec les jeunes dans des environnements transculturels. Ces questions de grande envergure constituent le biotope bouillonnant de mes conférences mondiales depuis près de deux décennies maintenant.

Dans Afrosofian Knowledge and Cheikh Anta Diop: Geo-ethical and Political Implications, vous parlez de quoi exactement?
Vous posez là une question cruciale, et je vous en remercie. Bien entendu, j’aurais aimé laisser ma voix livresque y répondre. L’ouvrage vous ouvre à l’intelligence de ma création épistémologique Afrosofia. Ce concept fondateur dans ma recherche soulève une question survolée voire étouffée par toute la tradition philosophique occidentale et au-delà. Qu’est-ce que la philosophie? La doxa pseudo-pensante grecque vous répond que c’est l’amour de la sagesse. Je pèse mes mots en le disant car, des étymologistes de la langue grecque comme Pierre Chantraine, par exemple, précisent que le mot ‘philosophia’ n’est pas grec. Son origine est inconnue. Platon ne dit pas autre chose: Pierre Chantraine, Dictionnaire Étymologique de la Langue Grecque (Paris: Librairie Klincksieck, 2009), p. 1162; Platon, Le Cratyle, 412b.

La question se pose donc: d’où vient cet étrange terme de philosophia, si ce n’est de l’Afrique noire (Kemet/Nkama) où ont étudié les premiers Grecs dans l’antiquité tardive… Or, il se trouve que la science africaine ancienne est toujours et encore encodée dans nos langues maternelles. Il faut les étudier. Le philosophe qui a l’audace de la recherche doit s’efforcer de naviguer culturellement et linguistiquement de l’Afrique noire actuelle à celle pharaonique et vice-versa.

Pour faire court, Afrosofia requiert du défrichage géo-éthique et politique entendu par l’Ekang/Beti du village comme sofia/safia. Mais il faut le courage de l’ascension, de l’élévation, et de l’illumination qu’articule l’épiphanie de l’auto-métamorphose par le processus So-fia, c’est-à-dire la venue par soi de la Lumière sociale (justice) qui surgit de la quête de l’excellence d’être de l’individu par son faire. Qui ignore le So ne peut donc percer le mystère de la sofia qui fait de toi, chère lectrice/cher lecteur, un soleil en puissance. Le paradigme Afrosofia devient alors une des voies privilégiées de la renaissance panafricaine et mondiale dans tous les domaines du savoir. J’invite les jeunes générations à s’en approprier et de travailler rapidement à illuminer leur être et faire, restaurant ainsi l’Afrique dans son rôle de lumière des nations mondiales.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous avez écrit pour produire une historiographie alternative de la philosophie ne s’inscrivant pas dans sa généalogie gréco-européenne, faisant ainsi écho aux problématiques décoloniales contemporaines?
Au regard de ce qui précède, constatons simplement l’agnosticisme occidental sur la question philosophique. L’on ne saurait parler d’alternative face à une obscurité étymologique et les déambulations sémantiques qui habitent le champ philosophique occidental des deux derniers millénaires. Martin Heidegger s’en offusque d’ailleurs dès le premier paragraphe de Sein und Zeit en relevant que toute la tradition philosophique occidentale après Platon et Aristote s’est distinguée par l’oubli de la question de l’être. Une fois encore, j’invite les chercheur(e)s à étudier le So pour faire un parallèle avec l’ensoleillement de soi comme Science par excellence de l’être. Pas de so-leil, sun (anglais), Sonne (allemand), etc., sans So.

Selon un humoriste, «la philosophie est l’abus d’une terminologie créée spécialement en vue de cet abus même». Votre livre ne tombe-t-il pas dans ce travers?
L’humoriste est un thérapeute social. Il soigne par l’ensoleillement (inter)-personnel du rire. Il doit donc savoir «gonfler» les faits et parfois les peindre abusivement. Il est partiel de définir la philosophie comme une terminologie abusive de quoi que ce soit. La philosophie est à mon sens une sculpture de soi pour en faire un chef-d’œuvre comme parlerait Plotin. Par ailleurs, l’abus philosophique comme quête continuée d’excellence de nos potentialités ne saurait être un travers. Quel bel abus pour un(e) philosophe que de faire et devenir Maât, c’est-à-dire Bénédiction dans le monde tempétueux de notre temps.

L’Africologie est au cœur d’un ensemble de circulations et de traductions qui installent l’Atlantique noire à l’intérieur de problématiques esthétiques, sociales, épistémiques, institutionnelles et politiques plus globales. Pour vous, c’est quoi l’Africologie?

Merci pour cette importante question. Disons tout d’abord que tout est dans les mots et le sens que l’on y injecte. J’invite ainsi tout de suite mes lecteurs et potentiels critiques à s’inscrire dans une triade linguistique tissée de Beti, d’anglais, et du français. Pour l’auteur que je suis, les langues africaines sont capitales dans la sculpture des connaissances. Elles la façonnent et la fondent, cette sculpture. Notez avec moi que la sculptrice est une artiste. J’utilise à dessein ici un parler matriarcal africain.

Dans ce sens, mon ombre sculptrice et créatrice Beti, outillée d’anglais et de français, produit du sens pour repenser et dilater davantage des concepts qui nous sembleraient familiers. C’est le cas du philosophème d’Afrikologie. Voilà comment je rends graphiquement ce terme, que je définis comme l’étude vitale des civilisations africaines dans une chronologie longue. Le «k,» dans mon écriture, masque toujours le «ka,» c’est-à-dire, le «pangolin,» le «double» vital, immortel, et divin qui somnole en chaque être humain, et qui se doit d’être (r)éveillé.

C’est ici qu’intervient le plus grand polymathe panafricain du 20è siècle qui n’est autre que l’Africain-Sénégalais Cheikh Anta Diop. Chaque Africaine et Africain doit s’efforcer de lire ne serait-ce que ses ouvrages Nations Nègres et Culture (Paris: Présence Africaine, 1979) et Civilisation ou Barbarie (Paris: Présence Africaine, 1981). Ces ouvrages sont une historiographie sans complaisance des pérégrinations culturelles, philosophiques, scientifiques, et spirituelles/religieuses de l’Homo sapiens sapiens négro-africain sur terre.

Interview réalisée par JRMA

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