Plaisir de riches, désir de pauvres
« Nous plaidons pour une annulation totale de la dette africaine pour permettre une relance de l’économie post-Covid et nous permettre de faire face aux impacts négatifs de la crise en Ukraine ».
Prononcée le 17 février dernier à Addis-Abeba à la fin du 36e Sommet de l’Union Africaine (UA), la phrase d’Azali Assoumani (président des Comores, qui a pris le relais pour un an du Sénégalais Macky Sall à la présidence tournante de l’UA), synthétise en un cri d’alarme impressionnant une question essentielle : la soutenabilité de la dette des pays africains. Selon la Banque mondiale, 22 États africains sont aujourd’hui en situation de détresse au regard de leur dette et concentrent une partie notable des 1 071 milliards de dollars de la dette extérieure du continent. « C’est lourd ! », a déclaré Azali Assoumani, entre pudeur et émotion. Pour le dirigeant comorien, annuler les remboursements de dettes pour l’année 2023, mais également tous ceux effectués depuis le début de la pandémie, serait ainsi la manière la plus rapide et immédiate de donner une bouffée d’oxygène aux pays africains. En d’autres termes, l’annulation est la manière la plus simple et rapide de sauver des vies !
Annulation de la dette africaine ! Ce terrain, loin d’être totalement vierge, a déjà été exploré par des leaders tels que Thomas Sankara. « La dette ne peut pas être remboursée parce que, d’abord, si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en surs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir», avait alerté le Burkinabé à la tribune de l’Organisation de l’union africaine en 1987. En 1996, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale lancent alors l’initiative «Pays pauvres très endettés» (PPTE). En 2005, le G8 de Gleeneagles efface la dette de 18 PPTE et efface pour 20 autres un effacement de leurs créances. À l’image d’Emmanuel Macron, les appels à alléger les dettes se sont donc multipliés ces dernières années. Même le Pape François les avait soutenus !
Paradoxe des paradoxes : les décisions prises par les pays riches depuis 5 ans n’ont eu qu’un seul effet, s’assurent que le système de renégociation des dettes ne change pas, et que les prêteurs restent à la manœuvre. Le caractère ubuesque de certains critères ne fait que renforcer le sentiment général d’une volonté déclinante alliée à une roublardise constante des pays riches. Il arrive même que ces derniers poursuivent les PPTE devant les tribunaux pour obtenir le remboursement intégral, avec des pénalités de retard, de créances rachetées à vil prix sur le marché secondaire de la dette. À la fois juges et parties, ils peuvent décider d’une annulation substantielle lorsqu’elle est dans l’intérêt de certains d’entre eux. Tout cela permet de comprendre les forces fondamentales qui déterminent les politiques des grandes institutions financières internationales. Contrairement à une idée reçue, la Banque mondiale n’a pas pour mission de réduire la pauvreté. Plutôt que combattre la pauvreté, elle la reproduite. En 2013, dans « L’invention de la pauvreté » (Grasset), Tancrède Voituriez l’avait compris : la Banque mondiale (et son jumeau le FMI) sont des instruments de subordination des pays endettés aux intérêts des puissances les plus industrialisées. Au cours des dernières décennies, ils ont joué de l’endettement des pays africains pour les garder sous tutelle. L’absence de règles du jeu leur a été bénéfique car, selon le mot de Lacordaire, « entre le faible et le fort, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur,
Jean-René Meva’a Amougou