Que les vrais et bons experts reviennent sur le plateau !
Chez nous, chaque semaine, une actualité régente le débat public. Chaque semaine, nos médias recueillent ou suscitent des controverses autour d’une inquiétude publique.
Dominée par le modèle de l’échange d’arguments arbitré par des journalistes, l’inquiétude publique fait l’objet de commentaires et d’exégèses en nombre croissant à la télévision notamment. Sur les plateaux, tous les coups sont bons du moment qu’ils sont efficaces, y compris les effets rhétoriques les plus trompeurs et les plus grossiers. On l’a (encore) vécu dimanche dernier, quand un présentateur de talk-show sur une chaîne de télévision privée a décidé de traiter de la question des «boissons éclaircissantes».
Qu’a-t-on finalement remarqué ? Le sujet a été commenté, amplifié, souligné, autopsié mais pas débattu. Les opinions défendues et les arguments avancés par des invités l’ont été dans des schémas d’expression incapables d’avoir une vue surplombante du phénomène de dépigmentation volontaire de la peau au Cameroun. La pression émotionnelle ayant pris le pas sur le rationnel, presque toute l’émission a tourné autour d’interrogations enrobées dans de lamentables insinuations et sous-entendus. Morcelé, diffus, allusif, le «débat» a semblé avoir pour cible le modèle économique promu par une jeune femme politique camerounaise. Et vite, l’on a compris que ce n’est plus d’idées qu’il a été question dans l’affaire, mais d’une personne. Avec l’onction volontaire ou involontaire du présentateur, les invités ont soigneusement évité d’évoquer la faiblesse des institutions de régulation du marché des produits cosmétiques.
Au moment de convoquer des statistiques, la délibération a échoué de manière fréquente sur le plateau. Quelqu’un a même dit que rien n’est disponible comme chiffres. Et pourtant, ceux posés par des experts à Yaoundé le 21 juin 2019 (au terme des premières Journées camerounaises de dermatologie-vénérologie) en disent long sur l’ampleur du «Ndjansang» au Cameroun. «Avec 27,8% de sa population qui se décape la peau, voici Bonabéri au firmament d’un classement des localités camerounaises dans lesquelles des femmes et des hommes, dont l’âge oscille entre 15 et 50 ans, modifient l’apparence de leur peau à l’aide d’un produit toxique. A Kumba (Sud-ouest), la pratique est aussi courante.
La ville occupe la seconde place au classement (24,1%). Elle est talonnée par Yaoundé (Centre), Kribi (Sud) et Bagangté (Ouest). Les statistiques dans ces localités affichent respectivement 19,6%, 11,1% et 10,3%. Les données sont issues d’une enquête menée par la Socaderm (Société Camerounaise de Dermatologie) sur la base des consultations médicales et des visites de plus de 10 000 femmes dans les centres spécialisés ces deux dernières années» (Voir Intégration N°374 du Lundi 23 au Dimanche 30 juin 2019).
Preuve que des chiffres existent. Et même s’ils ne sont pas «actualisés», leur usage sur le plateau aurait permis aux invités d’éviter de faire du vaudou. Leur usage aurait évité la valorisation de la parole profane, parallèle et concomitante à la dévalorisation de la parole des experts. Chez nous, ces derniers sont de moins en moins invités sur les plateaux. Ils sont souvent relégués dans les rangs du public. Leur parole n’est pas centrale dans les talk-shows. Ils sont même souvent totalement absents du programme.
Pour un sujet comme celui portant sur les «boissons éclaircissantes», il est regrettable que la seule expertise qui tienne la rampe soit celle des hommes politiques de toutes obédiences et des francs-tireurs sans background, prêts à pérorer sur toutes sortes de sujets et d’événements qu’ils connaissent en réalité très peu. Si bien que leur «expertise» n’est pas celle du penseur mais bien plutôt du beau parleur. Malheureusement, chez nous, à la télé, ces gens ont bousculé les présupposés sur le savoir des experts, les personnes habilitées à prendre la parole, les questions à aborder et ce qui pouvait être soumis à la critique ou non.
Jean-René Meva’a Amougou