Ordre des avocats: noyaux visibles d’un grand désordre
Scènes de vie au cours desquelles des conditions sensibles ont fait déraper l’ambiance autour du vote du bâtonnier
Ce 21 juin 2022, CRTV Web est allé à la rencontre de Me Mbah Eric Mbah. Élu bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun la veille, le juriste de 52 ans, originaire du Nord-Ouest «est immédiatement allé travailler». Selon le média d’État, «il a commencé par une visite à son proche collaborateur qui a subi un malaise le premier jour de l’assemblée générale élective au complexe sportif multifonctionnel de Yaoundé». Son geste, poursuit CRTV Web, «a pour but de promouvoir l’unité parmi les avocats conformément à sa devise pour le mandat de deux ans». Ainsi relaté, le lendemain de victoire de Me Mbah Eric Mbah est une petite histoire plaisante. Tout comme sa première déclaration: «Le bâtonnier ne doit pas être le plus riche ou le plus expérimenté, mais il doit être un rassembleur. Je suis votre rassembleur». Porté par un courant au nom exotique («Ubuntu»), l’homme est inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du Cameroun depuis 2001. Il avait été élu pour la première fois au sein du Conseil de l’Ordre en 2018. Il était le représentant du bâtonnier dans le Nord-Ouest au cours du précédent mandat. «Pour arriver à ce niveau, on a bataillé dur», commente un de ses proches. Pour tout comprendre, la succession de Me Charles Tchakoute Patie (décédé le 4 octobre 2020 des suites de maladie) n’a pas été facile.
«Plaidoiries divergentes»
Ce 20 juin 2022, la cour et les couloirs du palais polyvalent des sports de Yaoundé bruissent de pas lourds de personnalités et de la bruyance des groupes familiaux. Ce jour se tient l’Assemblée générale de l’Ordre des Avocats au Barreau du Cameroun. Point d’orgue à l’ordre du jour: l’élection du nouveau Conseil de l’Ordre dont sera issu le bâtonnier. En course, une dizaine de candidats. Dans la cour, de nombreuses accolades entre avocats esquissent un tableau idyllique: celui d’une corporation à l’union enviée. Me Jean De Dieu Momo, le ministre délégué auprès du ministère de la Justice, s’offre un bain de foule auprès de ses confrères, assurant qu’il n’est là que dans le cadre de la confraternité. Très vite, derrière cette façade clinquante et ripolinée, des scènes de hurlements et d’insultes s’enchaînent. De temps à autre, étayés par de nombreux documents, des témoignages vertigineux déferlent. Revendiquant une érudition sophistiquée du code électoral en vigueur, certains dénoncent des procédures suffocantes et l’inaction des superviseurs du scrutin. D’autres mélangent coups de fils, chantage au licenciement et à la radiation de la corporation. Devant des journalistes, les caprices les plus enfantins se déploient pour dévoiler des récits qui ont souvent été tus. Les phrases ne manquent pas de patauger dans des marronniers usés à toutes les sauces dans les actualités. Par exemple, on entend dire: « C’est Tchoungang qui, comme toujours, a envoyé ses gens… » «Je suis passé par l’école de Yondo Black…» «Racaille»… «Irresponsables»… « On sait chez qui vous mangez!« … Contre tout discours raisonné, des rebonds de phrases incandescentes. Certains avocats n’ont pas les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent. D’autres savent juste parler en mettant le feu dans l’air.
À l’intérieur
Du haut d’une tribune du palais des sports, «Le vieux» (comme on l’appelle ici, en référence à sa longue expérience dans le métier d’avocat) dit que le système électoral et de validation des candidatures «est tellement kafkaïen». Pêle-mêle, l’homme regrette «le mauvais niveau général des jeunes avocats» et des «entorses très graves à la déontologie». Harassé, il quitte les lieux avant d’être retenu, in extremis, au perron oriental du palais des sports. Rapidement, on découvre un climat que des observateurs décrivent comme très violent. Présent dans la salle, Me Eta Bessong. L’ancien bâtonnier (2008-2012) pique une vive colère. Il soupçonne des avocats francophones de manœuvrer pour élire un avocat francophone au poste de bâtonnier. Le ton monte. Me Kless Yves Patrick Kouanou, le président de l’Assemblée générale de l’Ordre, superviseur de l’élection du bâtonnier prend la parole pour annoncer la suspension des travaux. Le processus électoral est annulé avant le vote et la proclamation des résultats. Les travaux de l’Assemblée générale sont suspendus vers 10 heures avant de reprendre aux alentours de 13 heures. Entre temps, après des désistements et des alliances, seuls 5 candidats restent en course. Il s’agit de Me Atangana Bikouna, Me Duga Titanji, Me Ebah Ntoko, Me Mbah et Me Memong.
Jean-René Meva’a Amougou