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Sur les chemins rocailleux de l’unité nationale au Cameroun : de la réalité projetée à la construction souhaitée

Depuis ses premières interventions au Conseil de Tutelle des Nations Unies, le Cameroun est apparu aux yeux du monde comme un pays spécial doté d’un peuple qui ne cesse d’affirmer sa fierté, son ingéniosité, sa créativité, sa combativité, son unité, mais également sa partialité, sa médiocrité, sa cruauté et son opiniâtreté.

S’il y a un concept qui y a toujours occupé le nuage des mots en gros caractères, c’est certainement l’unité nationale. L’unité supposée du territoire a connu son premier choc le 4 Mars 1916 avec l’échec du condominium franco-britannique qui a entraîné, dès le 6 Mars de la même année, le partage du territoire. Or, comme l’avait éloquemment et avec justesse relevé le professeur Jean Emmanuel Pondi, jusqu’à cette crise, il n’y avait ni anglophone, ni francophone au Cameroun. 

Une administration fractionnelle au détriment de l’unité du territoire

En passant du protectorat allemand aux mains peu heureuses de la double administration franco-britannique, le territoire camerounais a connu une macération des semences de la division à travers un processus de construction des identités plurielles par deux administrations tutélaires concurrentes rapaces et opposées aux valeurs énoncées dans la Charte de l’Atlantique (1941), pourtant prônées par leur mandant onusien. Ainsi, au lieu de préparer le territoire à une « indépendance complète », ces deux figures du colonialisme ont planté, en un peu plus de quatre décennies (44 ans), des semelles architecturales de l’édifice d’un « mini-rideau de fer culturels » entre des Camerounais qui n’en avaient point fait la demande. Malgré les efforts inlassables de l’UPC, principal artisan de l’indépendance du Cameroun, les résultats à l’orée de la décade 60 ne correspondaient pas aux attentes des Camerounais. Pourtant, tout en œuvrant inlassablement à la réunification du Cameroun entre 1959 et 1961, John Ngu Fontcha et Ahmadou Ahidjo, alors principales têtes de proue, n’ont pas su être suffisamment prudents et perspicaces dans la construction de l’unité du Cameroun. Les conséquences des décisions prises alors montrent, des décennies plus tard, qu’il aurait fallu faire plus attention à cette période délicate de l’histoire de notre pays. Nos leaders n’ont pas été inactifs, mais leur travail n’avait pas été suffisant.

 

Les leaders ont été engagés et décisifs

Il y a lieu tout de même de relever que leur rôle a parfois été sous-estimé. Alors que les mandataires onusiens cherchaient à rattacher les territoires à eux confiés aux grands ensembles voisins conquis précédemment par leurs soins respectifs, les leaders camerounais luttaient pour créer un État unitaire aux contours à préciser. En effet, malgré l’appel et les manœuvres des autorités Nigérianes visant à convaincre nos frères de l’autre côté du Moungo d’abandonner la « politique réunificationiste » avec la partie sous tutelle française, J. N. Fontcha qui avait précisément pris part à la célébration de l’indépendance du Cameroun oriental le 1er Janvier 1960, n’a pas raté l’occasion de la célébration de l’accession du Nigeria à son indépendance le 1er Octobre 1960, pour préciser ses idées lors de son adresse aux peuple et Gouvernement Nigerians, en ces termes : «Mr Prime Minister [Sir Tafawa Abubakar Balewa]. Sir, it may sound a pity to some well-meaning Nigerians to learn that the attainment of independence is the separation of the British Cameroons from Federation. While I appreciate their point of view and disappointment I have to point out that is a matter for the people to decide and that they should be given the chance to do so… you wish us well whichever way we may choose to go». En substance, l’indépendance du Nigeria a marqué la séparation du Cameroun occidental de la Fédération nigériane. Le peuple du Cameroun occidental, qui se prononcera sur son avenir plus tard, venait de faire le pas décisif vers la réunification dont l’élection aura lieu les 11 et 12 février 1961. 

Cette posture était conséquente, car, assistant à la célébration de l’accession du Cameroun oriental à l’indépendance le 1er janvier 1960, il s’y était déjà montré engagé dans la marche vers la Réunification. Les propos ci-dessous le confirment : «Today, we of the Southern Cameroons see the beginning of the unity of our country in the independence of Eastern Kamerun, we have always believed that the shortest course to unity of the two sectors is through independence. I have all along been immensely impressed with the unanimity of the demand for independence and reunification in Eastern Kamerun, a unanimity which obliged even United Nations to rule out the need for a plebiscite to ascertain the wishes of the people. Encouraged by this patriotic spirit, I would like to insure you that we of the other sector of Kamerun are working hard to make possible the coming into being of this great country of Kamerun». À son tour, dans sa démarche de convaincre ses frères du Southern Cameroons, Ahamdou Ahidjo prononça un discours marquant le 27 janvier 1960 à Victoria. Il déclara : «On dit, d’autre part que nous n’avons plus les mêmes habitudes, que nous n’avons plus les mêmes langues et moi je dis : si vous, de votre côté, vous avez réussi à avoir les mêmes habitudes que les Anglais en quelques décades et nous, si nous avons réussi à avoir la même langue que la France en quelques décades, comment ne pourrions-nous pas ; nous qui sommes frères, nous sommes appelés à vivre jusqu’à la fin du monde, ne pourrions-nous pas nous entendre et avoir les mêmes habitudes et la même langue ?».

Ensemble jusqu’à la fin du monde, … le chemin peut être parfois rocailleux

De ces « rappels en mémoire », il ressort assez clairement que la construction de l’unité nationale est entravée par l’absence d’une « indépendance complète » voulue par la Charte de l’Atlantique. Entre la déclaration et la matérialisation de l’unité transparaît un écart que les dirigeants ont négligé ou sous-évalué. 

La contestation de la légitimité du président Ahidjo et les positionnements politiques de ses partenaires de l’autre côté du Moungo ont semblé prendre le dessus sur le but visé de l’acte référendaire du 20 Mai 1972. Le référendum, quoi que précipité, a porté le Président Ahidjo en triomphe, lui qui souffrait encore d’un déficit de légitimité. Ce contexte a influencé le comportement des artisans de l’unité qui ont davantage mis l’accent sur leurs positionnements personnels respectifs que sur les objectifs communs fixés. Tout en annonçant le multiculturalisme, Ahmadou Ahidjo a réussi à subjuguer les cultures locales en priorisant les cultures tutélaires. Les langues étrangères ont vaincu et surclassé les langues nationales. Il s’est même retrouvé promoteur de la francophonisation du pays, laquelle n’a pas manqué de nourrir la nostalgie de l’option zéro par endroits chez les rétifs de la démarche. 

À la différence de son prédécesseur, le Président Paul Biya très tôt a voulu donner un élan particulier à l’unité nationale dès 1984. Certains choix supposés être des avancées ont provoqué des effets contreproductifs. Certes, il a connu la contestation de son autorité et la crise économique entre 1986/1987. Néanmoins, le retour à la valorisation de la dimension culturelle et structurante de l’unité a semblé quelque peu tardif, si l’on considère la consécration officielle du multiculturalisme le 23 Janvier 2017. Malgré le focus mis sur l’unité nationale dans son discours, certaines populations n’ont pas jugé vigoureuses les mesures prises ni transformatrices des mentalités, les pratiques adoptées notamment dans la gestion des structures étatiques. En guise d’illustration, l’adoption du train de mesures prises au milieu de la décennie 2010 renforçant le bilinguisme et le multiculturalisme dans le pays et au sein des institutions intervient dans une atmosphère de revendications. Cela a dû affecter l’effet escompté au sein la «clientèle politique». Les identités culturelles secondaires ont pris une position dominante. La décentralisation consacrée dans la loi fondamentale en 1996 ne prend forme finalement qu’en décembre 2019. Si ces efforts du Chef de l’État sur le plan institutionnel sont indiscutables, l’offre a été inférieure à la demande. Dans ce contexte, les impatiences et incompréhensions ont pris la forme des revendications irréductibles, voire d’une surenchère séparatiste, faisant de la construction de l’unité, un défi permanent.

Bien que les leaders politiques camerounais n’aient jamais négligé la construction de l’unité, il n’est pas superflu d’indiquer que les populations ont souvent jugé les actions et le rythme comme des aspects méritant une amélioration substantielle. Depuis  la création de l’État fédéral, les attentes et revendications n’ont pas faibli. La période de 1961-1972 qui a paru plus inclusive selon l’appréciation des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest notamment, n’a pu durer plus longtemps ; les impacts financiers du fonctionnement des institutions fédérales ont eu raison des préoccupations libertaires. Paradoxalement, l’avancée proposée en 1984 a été interprétée diversement dans certaines parties du pays. En effet, la nostalgie des termes et symboles rappelant l’histoire fédérale ou encore l’origine plurielle des entités ayant formé le Cameroun dont la superficie est de 475 442 km carrés au 1er Octobre 1961, reste un aspect non seulement à prendre en compte, mais à mobiliser en vue d’une mise en perspective consistante d’un avenir national en lien et en cohérence avec son passé.

Plus de focalisations sur les marques et symboles de l’unité à tous les niveaux

À ce stade, il devient utile de s’attarder sur l’intérêt des dates et lieux susceptibles de servir de lieux de mémoire. Entre le 11 février, le 1er Octobre, le 6 Mai et le 20 Mai, laquelle de ces dates servirait mieux la cause de l’unité nationale ? Quel contenu nouveau donner au paquet de l’unité nationale ? Malgré les monuments et autres sites chargés de mémoire, la question a le mérite d’être posée d’autant que certains analystes estiment que le 20 Mai célèbre davantage la victoire d’un homme, le Président Ahmadou Ahidjo, lui qui incarna l’aile souple ayant négocié l’indépendance du Cameroun oriental avec les français, et dont le nom n’est pas véritablement entré dans la prestigieuse liste des auteurs de faits d’armes ou des grands hommes qui ont porté les différents mouvements de libération nationale sur le continent. D’autres, pour y associer son successeur, évoquent le design de la célébration du 20 Mai qui met en avant le patron du défilé. Certes, le Président Paul Biya met en exergue le couple armée-nation en ce « lieu de rencontres », à ce moment d’unité nationale. Les différents thèmes retenus et l’organisation du défilé sont éloquents à cet égard. Néanmoins, la célébration permet-elle aux populations camerounaises de s’approprier le projet politique qui leur a été soumis par les dirigeants successifs autour du vivre ensemble, de la cohésion et de l’intégration nationales ? Le devoir de mémoire rend-il suffisamment service à la nation et son histoire au cours des différentes festivités ? Autant de questions qui méritent un approfondissement de la réflexion en vue de la consolidation des acquis.

Quelle que soit l’option qui pourrait être retenue, les Camerounais ont besoin de voir plus de manifestations de l’unité aussi bien à travers les productions normatives et institutionnelles qu’à travers des politiques publiques symboliques fortes, marquantes, comprises et valorisées par l’ensemble de la population. Sur le parcours de la construction de l’unité nationale, les autorités de Yaoundé devront surtout faire attention autant aux décalages entre les événements et dates symbolisant l’indépendance et la réunification qu’aux défis de désintégration et d’appropriation de l’unification. Cela participera certainement de la construction d’une unité nationale, stable, crédible et durable.

Paul Batibonak

Ministre Plénipotentiaire

Coordinateur du CRÉDIS (Centre de Recherches, d’Études Diplomatiques, Internationales et Stratégiques).

 

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