ITIE : prorogation refusée au Cameroun pour sa validation en 2020
Pour la préparation à sa validation à l’initiative de transparence dans les industries extractives initialement prévue commencer le 29 décembre 2019, le Cameroun avait sollicité en dernière minute (26/12/2019) une prorogation de date. Un plan dit d’urgente accompagnait alors cette demande de moratoire. Malheureusement, le Conseil d’administration de l’ITIE a décidé autrement au cours de sa session tenue à Oslo en Norvège les 13 et 14 février 2020. ‘‘La validation du Cameroun commencera donc le 13 février 2020. L’évaluation tiendra compte des progrès et des informations accessibles au public jusqu’au 13 février 2020. » Quelles sont ou pourraient être les raisons d’un tel refus de prorogation ?
Du 13 au 14 février 2020 à Oslo, « Lors de sa 46e réunion, le Conseil d’Administration international de l’ITIE a conclu que le Cameroun n’était pas éligible à une prorogation du délai pour commencer sa deuxième validation. La validation du Cameroun commencera donc le 13 février 2020. L’évaluation tiendra compte des progrès et des informations accessibles au public jusqu’au 13 février 2020. » Telle est la décision qui a été rendue par le Conseil d’Administration à la suite du recours déposé par le Cameroun pour une prorogation du délai pour lui permettre de mieux de se préparer pour sa 2nde validation. Le Cameroun commence donc son année 2020 avec un échec dans le cadre de l’ITIE. Mais pourquoi ce refus ? Comment le Cameroun s’est-il préparé ? Reste-t-il encore un espoir pour éviter la suspension ?
Souvenons-nous d’entrée de jeu qu’en tant que pays conforme à l’ITIE en Octobre 2013, le Cameroun a subi en juillet 2017, sa 1ère Validation sur la mise en œuvre des exigences de la Norme ITIE version 2016. Le 28 juin 2018, le Conseil d’administration de l’ITIE a reconnu au Cameroun des « progrès significatifs », l’équivalent d’une moyenne de 10/20 dans le système d’évaluation scolaire camerounais ; c’est-à-dire qu’il n’était plus conforme à l’ITIE. Le Cameroun avait donc des efforts à accomplir pour combler les manquements observés sur 14 exigences. C’est à cet effet qu’un ensemble de mesures correctives lui avaient été adressées pour être mises en œuvre dans une durée de 18 mois allant de Juillet 2018 au 29 décembre 2019.
Malheureusement durant cette période, les interpellations du Comité par la Société Civile qui est aussi partie prenante au suivi de l’ITIE au Cameroun, est restée inconsidérée. Ainsi, et sans réelle surprise, l’évaluation faite par les organisations de la société civile mobilisées dans une plate forme de représentation et de redevabilité va révéler qu’au 23 décembre 2019, le Cameroun n’avait alors réalisé qu’une prestation médiocre en satisfaisant pleinement à seulement deux (02) exigences sur les 14 formulées. Ce qui plaçait évidemment le Cameroun en situation de forte probabilité de suspension.
S’appuyant sur les dispositions de la Norme en son exigence 8.5, on peut raisonnablement comprendre que c’est cette situation critique qui a justifié la décision du Cameroun de demander une prorogation à laquelle était adossé un plan d’urgence afin de mieux se préparer. Ce plan s’illustrait malheureusement par des manquements flagrants. Entre autre :
- le non-respect de l’exigence de production régulière et ponctuelle du rapport ITIE. Le rapport de conciliation des chiffres et des volumes qui devait être publié avant le 31 décembre 2019 n’a pu être rendu public que le 06 février 2020;
- l’exclusion du personnel du Secrétariat Permanent dans la mise en œuvre de plan. La mise en place des groupes ad hoc qui constitue une forte réserve par ce qu’appelant à un conflit d’intérêt, est l’option privilégiée du Comité qui consacre la mise à l’écart du personnel du Secrétariat dans la réalisation des activités alors qu’il est justement la cheville ouvrière du Comité;
- la négligence de la gouvernance du groupe multipartite. Une fois de plus, le Comité n’a guère pris en compte ni l’amendement du décret du 17 juillet 2018 venu réorganiser le fonctionnement du Comité mais pourtant violant la Norme quant au respect de l’indépendance des collèges, ni le respect des droits humains des employés du Secrétariat permanent en régularisant leur situation ;
- un plan de communication reposant sur des pratiques anciennes jugées insuffisantes lors de la dernière validation. La Communication institutionnelle et parfois événementielle ne pouvant susciter de débat sur les enjeux du moment relatifs à l’ITIE.
Ainsi, au lieu de permettre au Cameroun d’échapper à la suspension, ces éléments sus relevés n’auront donc contribué qu’à l’enfoncer dans sa chute entamée car ne démontrant pas une réelle volonté d’améliorer la gouvernance du Comité et donc celles des ressources extractives du pays.
De tels manquements et la situation actuelle ne résultent que du fait d’un Secrétariat dit « Permanent » mais qui ne l’est vraisemblablement pas. Le bon fonctionnement du Comité dépend grandement de son Secrétariat Permanent. Mais pouvait-on réellement s’attendre à quelque chose de positif alors que le personnel voit ses droits bafoués ? En effet, celui-ci ne dispose pas de contrat, et ne recevrait pas de salaire. Le décret de juillet 2018 en son article 17 parle d’ailleurs d’« indemnité » et non de salaire. Le rendement est davantage hypothéqué quand l’on constate que leur expertise, raison de leur embauche, n’est pas mise à contribution comme le démontre si bien ce plan d’urgence.
Et pourtant, en parcourant le site web du Comité, il est clairement décrit les taches qui rentrent dans son cahier de charge pour assurer le bon fonctionnement du Comité. Il s’agit notamment de : (i) élaborer le projet de plan de travail annuel du Comité ; (ii) suivre la préparation, en liaison avec les administrations et organismes concernés, des rapports sur les revenus des industries extractives et des quantités extraites ; (iii) instruire et de préparer en relation avec les administrations et organismes concernés, les dossiers à soumettre au Comité ; préparer les comptes rendus des sessions du Comité ; (iv) suivre l’exécution des missions et la mise en œuvre des résolutions du Comité ; (v) préparer les rapports d’activité annuels du Comité ; (vi) exécuter toutes autres missions à lui confiées par le Comité ou son Président ; etc.
La non-effectivité du Secrétariat Permanent n’aura donc servi qu’à paralyser le Comité dans son fonctionnement. En plus de ce qui précède, il en résulte donc qu’aujourd’hui, après consultation du site Web de l’ITIE Cameroun en Février 2020 et à la lumière de la décision rendue par le Conseil de ne prendre en compte que « les progrès et des informations accessibles au public jusqu’au 13 février 2020 » :
- le Cameroun pèche faute de publication de ses procès-verbaux de sessions du Comité. Chose qui avait pourtant été recommandée par le Validateur en 2018 ;
- le Cameroun pèche faute de publication de ses rapports annuels d’avancement. Le dernier publié porte pour l’année 2016 ;
- L’ITIE a fonctionné durant ces 18 mois (Juillet 2018 à Décembre 2019) sans un véritable Comité, chose qui se trouve en contradiction avec la Norme. En effet, il revient au pays-membre de mettre en place ou plutôt installer un Comité qui sera en charge de faire le suivi de la mise en œuvre de l’ITIE. Le décret du 17 juillet sus cité dit d’ailleurs en son article 4(5) que « La composition du Comité est constatée par décision du Ministre chargé des finances ». Pourtant jusqu’à ce jour, cette décision portant constat du Comité n’a jamais été prise.
La situation est critique. Cela est bien visible que le situation découle d’une faible préparation du Cameroun à sa Validation et témoigne d’une double hypothèse. Soit il y a un manque de volonté réelle de notre Etat à respecter ses engagements pris dans le cadre de cette Initiative pour la Transparence dans la gestion de ces Ressources Extractives qui appartiennent au citoyen, soit il y a faible appropriation pour ne pas dire une compréhension approximative voire limitée des enjeux de l’ITIE.
Il importe donc que le Cameroun tire des leçons de ses erreurs. L’ITIE et sa Norme est le fruit d’une quête perpétuelle de justice dans la gestion des ressources naturelles afin que cela serve effectivement à l’amélioration du bien-être des populations. L’avènement de la décentralisation devrait de ce point de vue constituer un benchmark pour la résolution de la problématique des transferts infra nationaux. Il est par conséquent temps que le Cameroun en prenne conscience et prouve son véritable engagement à travers des actes forts allant même au-delà de ce qu’exige la Norme au lieu de se retrouver constamment en position de course poursuite avec le gendarme lui faisant perdre sa crédibilité en la matière.
Dupleix Kuenzob & Eric Etoga Fouda, DMJ