Ethiopie : La République fédérale est-elle menacée ?
1 mois et 10 jours après l’assaut des forces armées éthiopiennes sur le Tigré et face à la répétition des velléités sécessionnistes dans le pays du prix Nobel de la paix 2019, il y a bien lieu de s’interroger sur le niveau de solidité de l’Etat fédéral en Ethiopie.
Le 29 juin 2020, le chanteur à succès, Hachalu Hundessa, issu de l’ethnie majoritaire en Ethiopie, les Oromo, est abattu par des inconnus. L’homme s’était fait le héraut des rancœurs de cette ethnie qui depuis des lustres s’estime ostracisée en Ethiopie tant au plan politique qu’au plan économique. Il n’en fallait pas plus pour réveiller les vieux sentiments de frustration de ce peuple.
Les heures et les jours qui suivent la mort du chanteur Hachalu Hundessa sont terribles. À Addis-Ababa, comme dans le pays Oromo, c’est la flambée de violences. Selon diverses sources croisées aux sources gouvernementales, ce sont plus de 230 personnes qui ont perdu la vie dans ces violences. Celles-ci avaient pris les allures de chasse à l’homme entre les forces de l’ordre et les manifestants qui s’en prenaient à tout le monde sur leur passage, mais aussi d’affrontements avec les autres communautés non Oromo. La colère des Oromo s’étant déversée sur les Amhmara, les Guraje etc.
Si le calme semble être revenu, les tensions interethniques et politiques par contre sont toujours latentes, n’attendant qu’un levain pour exploser. En effet, le gouvernement a encore à gérer les suites de l’arrestation de Jawar Mohammed, l’une des figures de proue de l’opposition en Ethiopie. Pour le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed, ces incidents arrivent au plus mauvais moment.
De fait, ces violences cycliques dans lesquelles sont inlassablement impliqués les Oromo mettent à mal tous les efforts de reformes entrepris par le nouveau Premier ministre depuis 2018. Abiy Ahmed est arrivé au pouvoir à la suite d’importantes manifestations antigouvernementales cornaquées par les Oromo. Ces manifestations avaient conduit à la démission du Premier ministre Hailé Mariam Dessalegn.
L’arrivée au pouvoir devait en principe calmer les ardeurs revendicatrices des Oromo puisque l’homme est issu de leur communauté de par son géniteur. Sa mère est Ahmara. De plus, le Premier ministre Abiy s’est engagé tout de suite à lancer son pays sur la voie de la réconciliation tant en interne qu’à l’international. Il a par exemple soldé les comptes de son pays avec le voisin Érythréen, mettant ainsi fin à un conflit vieux de plusieurs décennies.
En dépit de toutes ses réformes politiques et économiques, Abiy Ahmed ne parvient pas à contenter l’ethnie Oromo qui ressassent inlassablement ses récriminations. Pourtant l’entregent du Premier ministre a été reconnu au plan international où il a été distingué du Prix Nobel de la paix 2019.
La menace sécessionniste, hantise d’Addis-Abeba…
L’hostilité contre le gouvernement Abiy va se manifester d’une manière assez violente quand le 22 juin 2019, le Chef d’État-major de l’Armée éthiopienne est abattu chez lui, quelques heures après un coup d’Etat manqué dans l’un des neuf Etats autonomes du pays.
En juillet 2019, des Oromo et des Ahmara, pour une fois unis, ont manifesté contre le Premier ministre Abiy. En cette même année 2019, en novembre notamment, les Oromo avaient déclenché un mouvement de contestation contre le Premier ministre. Mués en affrontements ethnique et religieux, ces évènements avaient fait 78 morts.
Pour les Oromo, le Premier ministre ne défend pas leurs intérêts comme ils l’entendent. De l’autre côté, ses reformes inquiètent quelques radicaux des autres ethnies et ses opposants. Le 23 février 2020, un attentat à la bombe a été perpétré dans un meeting de ses partisans dans la ville d’Ambo à 100 km d’Addis-Abeba.
En fait, le très populaire Premier ministre Abiy Ahmed est à la tête d’un pays qui a tous les traits d’un volcan qui n’est pas loin d’entrer en éruption. Il est entre le marteau et l’enclume. Sa situation propre à lui est le résumé de ce qui menace l’Ethiopie. Issu de deux ethnies qui toutes se disent marginalisées, sa marge de manœuvre est des plus délicates. Tiraillé de toutes parts, il marche sur des œufs dans un pays composé d’au moins 80 groupes ethniques.
Ce sont donc 80 groupes ethniques regroupés dans neufs Etats autonomes qui s’essaient à une cohabitation devenue problématique au sein de la Fédération d’Ethiopie. Dans la mesure où chaque grand groupe ethnique qui dirige et perd le pouvoir nourrit instinctivement des sentiments de rancœurs. Qui dans les esprits glissent désormais vers des envies de sécession assumées.
Les Amharas, qui ont dirigé le pays sous l’Empereur Hailé Sélassié, se sentent marginalisés depuis 1977. D’où la création de leur «Mouvement national» ces dernières années. Les élites de cette ethnie qui ont longtemps dirigé le pays avec leur fils Hailé Sélassié disent être vus comme des anciens oppresseurs.
Si L’amharique reste la langue la plus parlée en Ethiopie, Dessalegn Chanie, jeune leader du mouvement des Amharas estimait en 2019 que «le fait que nous nous organisions peut avoir un effet de dissuasion contre ceux qui voudraient s’en prendre aux Amharas». Tout un programme.
A la suite du renversement brutal de l’Empereur Hailé Sélassié, Mengistu et le Front démocratique révolutionnaire du peuple (EPRDF) impose une dictature féroce au reste du pays. Pourtant son ethnie, les Tigréens ne représentent que 6% de la population. Le « Négus Rouge » et son ethnie causeront des frustrations aux autres grandes ethnies, les Oromo notamment, sur plus de deux décennies.
Avec l’arrivée d’Abiy Ahmed, certains Oromo croyaient venue l’heure de leur revanche sur les Tigréens et autres Amharas. Aujourd’hui, dans des discours et attitudes, on sent que la boîte de Pandore est ouverte pour des groupes qui se sont sentis victimes de cette longue domination pendant des décennies.
Selon Paulos Asfaha, spécialiste de l’Éthiopie, la population tigréenne s’est abondamment armée et revendique de plus en plus bruyamment la sécession de la région du Tigré. Ce qui n’est pas une mince affaire.
En plus des Tigréens, les Oromo entretiennent de vieux contentieux avec les Somalis, une autre grande ethnie dans le sud-est. Quand dans l’ouest, des groupes armés soumettent l’armée à de multiples actions de guérilla.
La récurrence des violences à connotation ethnique et religieuse est un poison pour l’Ethiopie. La désagrégation n’est plus une vue de l’esprit mais une possibilité. Conscient de cette éventualité qui pourrait coûter cher à l’Ethiopie au plan politique qu’au plan économique, le Premier ministre se veut très ferme malgré son ouverture pour le jeu démocratique.
«La tolérance démocratique ne doit pas être confondue avec l’idée que notre gouvernement est faible», a-t-il menacé à la suite des différentes violences et velléités sécessionnistes des uns et des autres.
Remy Biniou
Qui est Debretsion Gebremichael, le chef des forces Tigréennes ?
Debretsion Gebremichael est, avant tout, un jeune surdoué qui est né et a grandi dans une famille chrétienne orthodoxe. Son prénom Débretsion l’a-t-il enclin à s’orienter dans une vie de montagne et à y faire la guérilla ? Peut-être. En effet, le prénom du chef Tigré, Débretsion, signifie Mont Sion.
Dans les années 1970, celui qui est marié et père d’un enfant, a interrompu ses études à l’Université d’Addis-Abeba pour rejoindre le TPLF. A cette époque, les Tigréens étaient en guerre contre le régime du dirigeant marxiste Mengistu Hailé Mariam, tombeur de l’Empereur Hailé Sélassié.
C’est en tant que guérillero, que Debretsion Gebremichael a contribué à mettre en place la station de radio du TPLF, lors de la guérilla. Mettant à contribution des talents de techniciens talentueux. Debretsion déployé dans « l’unité technique » du TPLF, va développer des capacités dans le milieu du renseignement. Grace à lui, le TPLF pouvait écouter les conversations de l’armée éthiopienne et brouiller ses communications radio.
C’est cette radio « Dimtsi Weyane » (la voix de la révolution) aujourd’hui grand média qui diffuse les déclarations du TPLF sur le conflit avec Addis-Abeba. Dès les premiers moments de la guerre, « Dimtsi Weyane » avait été brouillée. Mais, le lendemain, elle était de retour.
Carrière politique
Devenu vice-Premier ministre et ministre des communications et des technologies de l’information, après la défaite du Derg et de Mengistu en 1991, Debretsion visait le poste de Premier ministre de l’Ethiopie. Poste que lui a ravi le jeune Ahmed Abiy en 2018.
Pourtant, Debretsion et M. Abiy semblaient être amis au début du mandat du Premier ministre en 2018. Il avait même organisé un accueil enthousiaste au Premier ministre à Mekelle, capitale du Tigré.
Sa défaite à accrocher le poste de premier ministre d’Ethiopie lui est resté en travers de la gorge. Mais c’est la décision de Abiy Ahmed de dissoudre la coalition au pouvoir des partis ethniques pour créer le parti de la prospérité en 2019 qui sera la goutte d’eau de trop. Cet acte signifie la fonte des appareils et ressources politiques des ethnies éthiopiennes au sein d’un grand parti national.
Remy Biniou