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Transformation productive : L’Union africaine épluche l’Afrique centrale

Malgré un potentiel énorme et envié, l’Afrique centrale ne parvient pas à améliorer les indicateurs de vie des populations.

Photographie des tendances de développement de l’Afrique centrale

Serait-ce là une preuve de plus de la malédiction des ressources naturelles? De toute évidence, l’Union africaine est en droit de s’interroger et le fait très bien dans son rapport 2019 sur le développement de l’Afrique.

Ledit rapport constate que «l’Afrique centrale dispose d’un potentiel colossal. Elle abrite l’un des poumons de la planète avec la forêt équatoriale, et dispose de gisements encore inexploités de plus d’un millier de minerais, dont le pétrole. La région représente 11,5% de la population africaine, avec 1446 millions de personnes en 2017. Son PIB oscille entre 0,28% et 11,37% de celui de l’Afrique de manière procyclique, en fonction des cours mondiaux du pétrole. Les profils de ses neuf pays s’avèrent très hétérogènes, allant de petits États insulaires comme la Guinée équatoriale et São Tomé et Príncipe à des pays enclavés comme le Tchad et la République centrafricaine, en passant par la vaste République démocratique du Congo (RD Congo), le poids lourd de la région, avec 78,7 millions d’habitants, et là encore, d’innombrables potentiels».

Croissance
La croissance de l’Afrique centrale est plus instable et volatile que celle de l’Afrique en général, et très dépendante de la conjoncture économique mondiale. Elle a atteint un pic de 12% en 2004 avant de retomber à 3,8% en 2006, soit près de trois fois moins en l’espace de deux ans. Cette forte instabilité est observée sur le reste de la période, avec toutefois un cycle de croissance corrélé à celui de l’Afrique, avec une correspondance des phases de hausse et de récession. L’exposition aux chocs extérieurs se manifeste par les chutes d’activités entre 2008 et 2009 (lors de la crise financière internationale) puis en 2013; avec la baisse des cours du pétrole.

Instabilité socioéconomique
La gouvernance et les foyers de tension dans la sous-région obèrent les possibilités de transformation du potentiel en richesse pour les populations. Ainsi, constate le rapport de l’UA, «le contexte sociopolitique est peu propice à la croissance économique, en raison de conflits en partie alimentés par les ressources naturelles et les rentes qu’elles représentent. Seuls São Tomé et Príncipe, qui se distingue par sa stabilité politique et la liberté d’expression, et dans une moindre mesure le Gabon et Cameroun montrent des performances supérieures à la moyenne de la région».

Zacharie Roger Mbarga

Carence en infrastructures

Obstacle majeur à la productivité des entreprises

La faiblesse des infrastructures réduit la productivité des entreprises de plus de 40% en Afrique.

Indices de gouvernance en Afrique centrale

Les infrastructures routières en Afrique subsaharienne étaient de 204 km pour 1000 km2 de superficie (approximativement 3,6 km de route pour plus 1000 habitants) tandis que la moyenne mondiale est de 944 km pour 1000 km2 de superficie, soit l’équivalent de 7 km pour 1000 habitants. L’Afrique centrale manque le plus d’infrastructures de base en Afrique, en particulier en l’électricité et dans les transports, deux éléments considérés par les entreprises comme des obstacles majeurs.

La région affiche un score de 2,19 en matière de qualité globale des infrastructures, soit un point en dessous de la moyenne de l’Afrique, elle-même déjà faible. Le même constat vaut pour les différentes infrastructures (électricité, transport aérien, port, rail, route), lorsqu’elles sont prises séparément. Seul le Gabon est proche des performances moyennes africaines. Le trafic aérien reste plus de quatre fois plus faible que la moyenne africaine. Seulement une personne sur 100 détient un téléphone fixe, contre trois en Afrique.

Le déficit énergétique représente une contrainte paradoxale, dans une région au potentiel énorme, notamment hydraulique, contrastant avec un niveau de développement relativement bas. L’Afrique centrale dispose aussi de réserves pétrolières estimées à 31,3 milliards de barils. La consommation énergétique par habitant et par mois est égale à 109 kWh, contre 840 kWh en Afrique du Nord et 1600 kWh en Afrique australe. Un écart important subsiste entre l’offre en énergie, qui est de 10 537 MW, et la demande prévisionnelle, qui s’élève à 13 052 GWh. De même, les entreprises font face à une contrainte hydraulique paradoxale, dans un contexte d’abondance de ressources en eau: environ 26 355 m3 par an et par habitant, alors que la moyenne en Afrique est de 5730 m3 et la moyenne mondiale de 7600 m3. Le potentiel hydroélectrique est estimé à 653 361 GWh, soit 58% de celui du continent. Pourtant en 2009, la production en électricité ne dépasse pas 3 à 4% de ce potentiel.

Gouvernance
La sous-région se caractérise par une généralisation des inégalités. Les inégalités de revenus sont renforcées par les inégalités d’opportunité. Malgré les progrès faits en termes d’accès aux services de base, à l’éducation et aux soins de santé dans tous les pays, notamment au Gabon, la sous-région peut encore améliorer ses résultats. Le taux de scolarisation primaire (68%) est positif, malgré le faible taux de scolarisation secondaire (25%), et pourrait encourager plus d’investissements. Depuis 1999, le taux de mortalité infantile a été réduit d’environ 50% dans presque tous les pays, à l’exception du Tchad et de la RDC.

Les zones rurales demeurent défavorisées, à l’instar du Cameroun, où 86% des citadins ont accès à l’électricité, contre 22% seulement des ruraux. Par ailleurs, l’accès à Internet reste faible (10% de la population, par rapport au reste du continent, 24%). L’Afrique centrale ne parvient pas à soutenir une croissance inclusive et durable. Les politiques de redistribution n’ont pas réussi à tirer parti de la croissance du début des années 2000. Aussi, les inégalités ont stagné, voire augmenté au Burundi, au Cameroun, en République centrafricaine et au Tchad. La croissance économique a été portée par un secteur industriel non créateur d’emplois et générateur d’inégalités. En effet, les inégalités diminuent dans les pays d’Afrique où la croissance est due aux progrès de l’agriculture moderne, du secteur des services et des productions industrielles à forte intensité de main-d’œuvre. Or, le secteur industriel de l’Afrique centrale repose sur les mines et le pétrole, à forte intensité capitalistique.

ZRM

Industrialisation

Cap vers les zones économiques inter-États

C’est la solution préconisée par l’Union africaine pour réduire la forte concentration des produits d’exportation des pays de la région.

La zone économique spéciale de Nkok au Gabon, une expérience!

Une cartographie des potentialités agricoles industrielles et minières des différents pays doit être élaborée, en vue de la création de pôles de production et de compétitivité. Ceux-ci pourraient partir des institutions régionales telles que la Commission de la Cemac et la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Un partenariat est possible entre le Fonds spécial régional de développement agricole de l’UA et la Banque africaine de développement (BAD). Le Cameroun pourrait ainsi se spécialiser dans l’industrie de transformation du bois. La Guinée Équatoriale, la RD Congo et le Tchad dans la raffinerie; le Tchad dans la production des graines, etc.

Une telle stratégie peut réduire la dépendance vis-à-vis des exportations extracommunautaires et favoriser la complémentarité commerciale. Une accélération de l’Initiative sur le riz africain telle qu’elle est menée à travers l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (Adrao) pourrait mettre en valeur la production de céréales dans la zone soudano-sahélienne, en plus des autres programmes existants. La création des pôles de compétences, de technologie et d’innovation suppose un investissement massif dans la formation et la recherche et développement (R&D). Les universités interétatiques entre le Cameroun et le Congo et l’institution panafricaine de l’UA en sont des exemples. D’autres initiatives dans des domaines clés comme l’agriculture de nouvelle génération, l’informatique, la programmation et le développement des logiciels, les sciences biologiques et médicales doivent être encouragées. Bien que coûteuse, la R&D doit être une priorité, en raison de son importance pour l’avenir.

Avantages comparatifs
Les pays d’Afrique centrale ne disposent pas d’ACR forts dans les produits manufacturés, les machines et matériels de transport ainsi que les produits chimiques. Trois pays, le Burundi, le Cameroun et la République centrafricaine disposent toutefois d’un ACR dans les légumes. Le Cameroun, le Congo et le Gabon montrent un ACR dans les carburants, mais le bois, l’or, les diamants, les pierres précieuses et le verre disposent le plus d’ACR dans la région. En se basant sur les stades de transformation des produits, tous les pays de l’Afrique centrale disposent d’un ACR dans les matières premières, deux dans les biens intermédiaires et un seul (São Tomé et Príncipe) dans les biens de consommation — à savoir l’horlogerie. Cette filière a occupé une place importante de 2009 à 2012, avec plus de 15% des exportations totales par an et un pic de 28 % en 2011. Cependant, l’ACR dans ce secteur ne semble pas stable, puisque depuis 2013, les exportations ont dégringolé, pour devenir quasiment nulles.

Le niveau de complexité des économies de la Cemac se révèle très limité. Aucun pays étudié de l’Afrique centrale ne dépasse la moyenne de l’Afrique en termes de complexité de l’économie (création de la valeur ajoutée), en 2000 comme en 2016. Toutefois, le Cameroun et le Congo ont amélioré leur performance, ce qui pourrait présager d’une croissance plus soutenue au Cameroun et plus résiliente au Congo. En revanche, ce niveau a baissé au Gabon. Au plan mondial, le Japon, la Suisse et l’Allemagne arrivent en tête en 2016 avec des indices respectifs de 2,23, 2,05 et 1,96, tandis que les pays d’Afrique centrale, comme la moyenne de l’Afrique, affichent des indices inférieurs à zéro.

Zacharie Roger Mbarga

Zone des trois frontières

Une zone économique spéciale intégrée Cameroun-Gabon-Guinée équatoriale

 

Localité stratégique pour le Cameroun, la zone des trois frontières sommeille sur les lauriers de son potentiel. Point d’intégration sur l’Afrique centrale et atout identifié de la consolidation du leadership géoéconomique du Cameroun dans la sous-région, le bassin peine à sortir de son enclavement. «Absence d’électricité, voies de communication en délabrement voire inexistantes, production agricole insuffisante, activités commerciales et financières faibles, services sociaux vétustes», voilà le scanner que dresse Émilienne Evina Alo’o, doctorante à l’Université de Dschang, qui vient de séjourner dans la localité, dans le cadre de ses recherches. A priori, pas vraiment de quoi influencer l’activité économique sous régionale.

Et pourtant, le gouvernement camerounais a mis sur pied un programme de développement de la localité. Créé le 13 novembre 2013 par décret n°2013/8885/CAB/PM du Premier ministre, modifié et complété le 12 février 2018 par un autre décret du chef du gouvernement, le programme de développement intégré de la zone des trois frontières (Pdiztf) se doit, à terme, de transformer sa zone d’intervention en zone économique spéciale. Le Cameroun positionne cette localité comme un levier de facilitation des échanges intracommunautaires et de diversification des économies de la sous-région.

Dans les prochains jours, le Cameroun, le Gabon et la Guinée équatoriale vont harmoniser leur dispositif afin de mettre sur pied une structure supranationale. À travers cette zone concentrique, les pays veulent remporter le pari de la production, de l’industrialisation, de la spécialisation économique et du renforcement des échanges intracommunautaires.

Zacharie Roger Mbarga

 

Suggestions de l’UA pour la transformation productive en Afrique centrale

Renforcer les complémentarités régionales

 

Les pays de l’Afrique centrale affichent une forte similarité dans leurs structures de production nationale. Celle-ci réduit leur potentiel commercial et augmente la dépendance aux exportations des matières premières. Les coefficients de similarité sont élevés et varient entre 0,23 et 0,83. Pour la plupart des binômes des pays de la région, le coefficient de similarité des exportations est supérieur à 50 %. Le développement des chaînes de valeur apparaît donc clairement comme une opportunité.

Développer les chaînes de valeur régionales
L’Afrique centrale regorge de nombreuses opportunités de chaînes de valeur, notamment dans les énergies renouvelables, le coton et les fruits. Quatre grands secteurs sont pris en compte: la fabrication et la distribution du matériel, le développement de projets, la construction et l’installation, le fonctionnement et la maintenance. Tous ces secteurs sont créateurs de valeur ajoutée et d’emplois dans divers domaines (énergie éolienne, solaire, hydraulique, géothermique).

Accélérer l’intégration financière
L’intégration financière en Afrique centrale reste faible, en raison de l’absence d’une monnaie unique dans la CEEAC et de la coexistence de plusieurs marchés boursiers. L’intégration financière accuse un retard par rapport à l’Afrique de l’Ouest, où un effort d’harmonisation progressive des systèmes monétaires est fait en vue d’une monnaie unique à l’horizon 2020. Un tel projet n’est pas envisagé par l’Afrique centrale. L’existence de deux places financières dans la Cemac (la bourse de Douala au Cameroun, et la bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale à Libreville au Gabon) handicape fortement l’intégration. La région évolue toutefois vers la perspective d’une seule place financière à Douala (Cameroun).

Améliorer l’accès à l’énergie
Le faible accès à l’énergie entrave le développement du secteur privé. Les pays de la région sont caractérisés par une inégalité d’accès à l’électrification. Les taux vont de 83% pour le Gabon à seulement 5,56% au Tchad. Pourtant, le potentiel énergétique est important. La région pourrait s’inspirer du projet d’extension du barrage d’Inga III en RD Congo, ou du renforcement de la centrale solaire «Noor» d’Ouarzazate au Maroc.

Renforcer le capital humain, adapter la formation au marché du travail
L’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail se traduit par des taux très différents de chômage selon le niveau d’étude: 11,5% de la population active avec un niveau d’étude de base, 18,5 % pour un niveau d’étude intermédiaire et 38,8% pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Il importe donc de promouvoir une politique d’adéquation entre les programmes de formation et la demande des entreprises. Une plateforme pourrait permettre aux opérateurs privés d’exprimer leurs besoins en formation, besoins qui seront pris en compte dans l’élaboration des programmes.

Source: CUA/OCDE (2019), Dynamiques du développement

en Afrique 2019: Réussir la transformation productive,

CUA, Addis-Abeba/Éditions OCDE, Paris, novembre 2019

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