PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Décès tragique de Richard Valery Mouzoko Kiboung : Escroquerie sur le dos d’un génie au quartier Melen

Hommages à un jeune médecin qui a choisi d’exercer son métier dans des endroits perdus, en affrontant la maladie en guerrier . 

Hommage posthume au medécin disparu

Melen (Yaoundé), l’ombre d’une résidence s’étale sous un coucher de soleil doré ce 22 avril 2019. L’ambiance du moment alterne les pleins et les vides. Tout semble irréel. «C’est comme une pure et incommensurable mesure de la vie qui outrepasse l’entendement et l’imagination», remarque le Pr Saly Oumar. Devisant avec quelques personnes, l’enseignant de la faculté de médecine et de sciences biomédicales (FMSB) de Yaoundé ne réalise toujours pas la réalité de la mort de l’un de ses meilleurs étudiants. «Docta est mort !», confirme une dame, la larme à l’œil. Chaque minute, la triste nouvelle résonne comme un pétard. Parfois, la même nouvelle propose un contrepoint silencieux dans la véranda où, il y a un an, Richard Valery Mouzoko Kiboung plaisantait avec quelques parents. Comme un fusain, la tristesse est au rendez-vous, à chaque instant. En effet, le décès tragique de ce jeune de 42 ans est devenu un marronnier sur les réseaux sociaux.

Dans la maison, une femme, le visage blême d’émotion, sans maquillage, arrive à mettre des mots sur ses sentiments, qui sont pourtant confus. Au-dedans de cette femme, les larmes restent prisonnières. Elle avoue ne pas réussir à pleurer. Au coin, une autre femme. À ses pieds, un immense écran géant passe des images de toute une vie : photographies en couleur et en noir et blanc. Portraits, clichés tirés du parcours estudiantin et professionnel de Richard Valery Mouzoko Kiboung. Qu’importe aujourd’hui. L’arbre est à terre et on a du mal à croire qu’il ne repoussera plus. Reste l’histoire et sa légende.

Reconfort
Ce jour, quelques camarades de la 29e promotion de la FMSB sont venus dédier des épitaphes au disparu. En gros caractères, leurs mots claquent à la première page d’un gros cahier à spirales. «Où vas-tu Richard ?», «Au paradis d’Hyppocrate», «Tu as inventé ta vie et hanté la nôtre», y lit-on. Quelqu’un parmi les rédacteurs de ces phrases nous relaie un projet d’hommage auquel ils réfléchissent tous. «Le Dr Mouzoko Kiboung mérite d’être célébré», glisse-t-il ? S’empressant de lister quelques raisons. «C’était un médecin qui jubilait d’avoir exercé le plus beau métier du monde dans des endroits perdus.

Toute sa carrière, il travaillait à faire administrer le bon médicament, à trouver le geste précis. C’était un jeune qui affrontait la maladie en guerrier, une authentique icône pour les aspirants au métier», entend-on. Complétant cette énumération, une autre voix conclut que «le dire n’est pas de rechercher le monumental dans le minuscule ; le Dr Mouzoko Kiboung était tout cela».
Et voilà. Ce profil se révèle à travers de multiples expressions qui, à titre posthume, racontent l’épidémiologiste. Tout un hymne à la vie. Ceux qui disent l’avoir côtoyé soulignent que le Dr Mouzoko Kiboung a inventé un authentique protocole à sa pratique de la médecine. 24 h/24, sa tablette était reliée à une plateforme médicalisée. Gestes courts.

Fringues façon notaire «Des caractéristiques très à part des gens de ce métier», salue le Pr Tetanye Ekoe, vice-président de l’Ordre des médecins du Cameroun. De la voix chevrotante, comme cassée, un phrasé aux accents mbamois, le mandarin s’en souvient. «Tout cela, situe-t-il, était utile à ce jeune. À croire que le défi, c’était de se rendre compréhensible pour les patients, qui doivent participer à une prise de décision éclairée». D’ailleurs, apprend-on, Dr Mouzoko Kiboung était rétif aux abréviations obscures, qui parsèment autant les conversations d’initiés que les notes médicales, dont la calligraphie hiéroglyphique n’est déchiffrable que par les pharmaciens et les infirmières. «Il rédigeait lisiblement ses ordonnances», reconnait un camarade.

Entre le Dr Mouzoko Kiboung et lui, la dernière conversation WhatsApp date du 19 avril 2019. Depuis le Nord Kivu, le premier faisait alors le point sur la progression foudroyante d’Ebola dans cette province du nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC). «Me référant aux actualités provenant de cette zone, je l’avais interpelé sur les soins à prendre de lui-même. Voyez-vous, il m’assurait des dispositions qu’il avait prises pour ne pas rentrer dans le lot d’une vingtaine d’agents de santé que la maladie a foudroyés depuis le début de l’épidémie», relate-t-il.

Malgré tout
Courageusement donc, le Dr Mouzoko Kiboung était à l’avant-garde des efforts de la diaspora médicale camerounaise pour aider les personnes terrorisées par le virus Ebola. «Il disait espérer mettre fin à l’épidémie d’ici six mois», déclare une autre parente, rapportant aussi une conversation téléphonique. «Faire son métier, c’est ce qui le faisait tenir», explique-t-elle. Alors, le Dr Mouzoko Kiboung aimait et contaminait la vie, animé par une rage de vaincre, jusqu’à son dernier souffle, la maladie. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement la famille qui est orpheline, mais aussi Melen qui pleure son «fils». Quelques souvenirs, glanés auprès des gens de rien, montrent sa mentalité d’omnivore qui fait médecine de toute chose. Ils montrent également un viveur plein de bon sens, un boxeur de la vie qui tombe et se relève dans une souffrance. Un gars qui n’a jamais caché sa foi chrétienne. À Melen, on ne sait pas très bien s’il s’est simplement endormi.

Jean-René Meva’a Amougou

 

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