Yaoundé : Des Kenyans ne jurent que par de mauvaises herbes
Originaires des rives du lac Naivasha, au Kenya, cinq migrants gagnent leur vie à travers la vente de bouquets décoratifs faits à partir de plantes nuisibles prélevées dans la capitale camerounaise et ses banlieues.

Qui aurait parié sur une herbe folle? Personne certainement! Et pourtant, au marché aux fleurs de la capitale, deux hommes et une dame ne jurent plus que par elles. Ce sont Huxley Ikonya, Irungu Kihoro et Élisabeth Njuguna. Kenyans, ils se définissent comme «artisans — fleuristes venus de la région du lac Naivasha». Depuis près de 3 ans, ils ont choisi de mettre les mauvaises herbes à la pointe de la tendance. Nichée au marché aux fleurs, sis au 1er arrondissement de Yaoundé, leur -microboutique est une halte incontournable. Ce 11 mars 2020, le trio kenyan parle fleurs avec ce même ¬appétit qui caractérise les maîtres d’hôtel pour la cuisine. «Toutes les plantes disgracieuses qui s’invitent dans le décor urbain et périurbain leur sont d’une grande utilité», témoigne Abel Simo, leur voisin de comptoir. Dans cet espace, l’on trouve un large choix de bouquets ronds et de compositions de fleurs sèches déjà prêtes; c’est une gamme végétale très sobre, aux teintes contrastées. Il y a ceux pour l’accueil, il y a ceux pour l’hommage. L’on peut aussi faire une commande spéciale qui naît sous les yeux.
Astuces
À écouter les concernés, il s’agit essentiellement des plantes d’ombre et de sous-bois à feuillage semi-persistant. Elisabeth Njuguna explique, avec un luxe de détails, comment confectionner, chaque jour, de splendides bouquets uniquement à partir d’un matériau globalement perçu comme une incivilité. Dans son récit, la bonne nouvelle c’est qu’il n’est pas nécessaire de suivre des cours d’art floral ou d’être expert en botanique. Autant dire que les idées et astuces qu’elle partage sont accessibles à tous ceux qui, comme elle, sont sensibles au «charme incomparable», au «côté vrai» et à la «délicatesse infinie» des mauvaises herbes. «Dans notre travail, ce sont souvent elles qui font le plus d’effet!», assure la jeune femme.
En prêtant l’oreille à Huxley Ikonya, son propos est un foisonnement de trouvailles toutes plus ingénieuses les unes que les autres, aussi bien dans le choix desdites herbes que des supports qui les mettront en valeur pour décorer la maison, la terrasse ou la table d’un repas. À l’en croire, les mauvaises herbes séchées sont faciles à ramasser un peu partout, dès qu’on se balade un peu dans les bas-fonds de Yaoundé. «Ce métier nous permet de rassembler tout ce qu’on a appris dans le business des fleurs chez nous, la déco, le design, la mode, de mettre les mains dans la matière rare et de répondre à une nouvelle attente», explique Huxley Ikonya. Fort de cela, il connaît ses cibles: «Les jeunes mariés veulent de plus en plus de compositions sauvages, naturelles et locales», confie-t-il.
S’agit-il d’une occupation réelle, s’intercalant entre un business et une vie de migrant bien préservée? «C’est notre meilleure détente. Nous travaillons tôt le matin ou tard le soir», répond Élisabeth Njuguna. Elle trouve dans cette activité encore assez secrète une occasion supplémentaire d’être active dans son pays d’accueil.
Jean-René Meva’a Amougou
Chimène Mengue
«Il y a de belles choses à nos pieds»
La botaniste-écologiste camerounaise fait découvrir le visage caché des plantes honnies.
Qu’entend-on par mauvaises herbes?
Selon la définition habituelle, les «mauvaises her¬bes», appelées aussi adventices, sont des plantes qui poussent là où il ne faudrait pas. Mais pour le botaniste, celles-ci sont d’abord des végétaux comme les autres, appartenant à des espèces déterminées, qui prospèrent là où les conditions de milieu leur sont favorables. Je classerais volontiers les végétaux en deux camps, ceux que l’homme altère et transforme pour son usage, et ceux qui viennent spontanément.
Et finalement, elles se transforment en «bonnes herbes»?
Depuis l’enfance, beaucoup d’entre nous ont appris à détruire systématiquement les «mauvaises herbes» des jardins, non par haine envers telle catégorie de plantes, mais simplement parce qu’on n’avait pas semé celles-ci et qu’elles «n’auraient pas dû pousser là». Lorsque nous nous promenons dans la campagne, nous rencontrons de nombreuses plantes sauvages le long des chemins, que nous admirons ou apprécions. Cependant, quand nous les croisons dans nos jardins ou potagers, nous les traitons de «mauvaises herbes» et les combattons parfois violemment. Et pourtant, il y a de très belles choses à nos pieds. Vous avez vu ce que ces mauvaises herbes peuvent apporter comme graphisme et légèreté à des bouquets d’espèces plus nobles. Transformées en fleurs, les mauvaises herbes séchées se veulent texturées, poétiques, mais surtout elles représentent à merveille l’esprit sauvage de nos campagnes. Dans un esprit botanique, ils immortalisent la beauté de la nature sous-verre. Avec le temps, les couleurs se délavent et offrent un nouveau regard sur les mauvaises herbes.
En effet, présentées ainsi, les mauvaises herbes séchées prennent une toute nouvelle dimension. Posée en centre de table, sur une étagère ou sur le bureau, la cloche de fleurs séchées attire forcément le regard. Certaines boutiques ici chez nous se sont même emparées de la tendance et proposent de magnifiques créations. De quoi oublier (un peu) tout le mal que l’on se donne à limiter leur invasion dans les parterres. Avec ce que nous démontrent les Kenyans, finie l’image des fleurs de grand-mère qui prennent la poussière sur les armoires, place aux créations tendance avec ces fleurs indémodables.
Propos recueillis par JRMA