Vie chère, tribalisme, bien-être pour tous…Scènes d’esprit de Mgr Kleda
Connu pour être un pasteur bien plus qu’un théologien, l’archevêque métropolitain de Douala a prononcé une homélie d’une rare vigueur à Ambam le 12 janvier dernier.

Sourire de surface, voix profonde et grave, contrôle sévère et fluide de sa personne. Tout rappelle que c’est Mgr Samuel Kleda. Au cours d’une homélie qu’il a prononcée à l’esplanade du collège Saint Charles Lwanga d’Ambam (région du Sud), l’archevêque de Douala a laissé sa réflexion couler à gros bouillons lors d’une messe dite dans le cadre du 46e séminaire annuel des évêques du Cameroun. Thème central de son propos: l’amour du prochain. La foule boit les paroles (très musclées, parfois improvisées) du prédicateur. Il les a tirées du message biblique qui voit l’homme quitter le dessein de Dieu, en «croyant devenir puissant et pouvoir tout dominer, être Dieu», où l’autre «n’est plus un frère à aimer, mais simplement celui qui perturbe ma vie et mon bien-être». «L’amour du prochain pénètre toujours le mal pour le transformer», a-t-il dit; en garantissant qu’«il y a toujours une possibilité de changement» et qu’«il est temps de réagir et de transformer, de modifier et de changer, de convertir ce qui nous détruit comme peuple, ce qui nous dégrade comme humanité». Le prélat a alors appliqué cette vision biblique à lui-même: «Je suis Toupouri. Je ne dois pas attendre ou tout simplement chercher à comprendre que voilà, mes prochains, ce sont mes frères Toupouri. Si je suis Bamiléké, que le Bamiléké-là ne pense pas que ses prochains, ce sont les Bamilékés comme lui. Mais que ses prochains ce sont également les gens d’Ambam ici!».
Évoquant la situation de désarroi d’une société affaiblie par l’épreuve de la vie chère et de la pauvreté, Mgr Kleda plaide pour un «marché juste». «Je suis un homme d’affaires ou un grand commerçant. Puis-je faire que le prix de ma marchandise soit juste et corresponde réellement à l’article que je vends? Si nous sommes confrontés aujourd’hui à tant de pauvreté, à tant de misère, c’est que des Camerounais ont failli à leur mission. Que nos frères commerçants nous vendent les produits au prix juste», a martelé l’orateur.
Responsabilités
Reprenant la question posée par Dieu à Caïn, «qu’as-tu fait de ton frère?», Mgr Samuel Kleda l’adresse à tous. «La voix du sang crie jusqu’à moi»… «La voix du peuple qui mendie la justice, la nourriture bon marché et des conditions de vie décentes monte jusqu’à Dieu», a-t-il insisté. L’archevêque de Douala pose la question fondamentale de la responsabilité de cette situation: «Qui est responsable du sang de ses frères et sœurs?» Avec cette réponse: «Aujourd’hui personne ne se sent responsable, nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle, nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parle Jésus dans la parabole du bon Samaritain: nous regardons le frère à demi-mort sur le bord de la route et nous passons notre chemin en considérant que cela n’est pas notre affaire».
Déplorant alors fortement le fait que «nous sommes une société qui a oublié l’expérience de pleurer, de compatir», Mgr Samuel Kleda questionne l’assistance: «Si vous êtes un médecin, comment pouvez-vous refuser de soigner un patient qui n’a rien pour payer ses soins? Combien de personnes meurent dans ces conditions dans nos hôpitaux? Il y a des patients qui sont retenus en prison parce qu’ils n’ont pas payé?» Il a ensuite lancé ce cri: «Hérode a semé la mort pour défendre son propre bien-être, sa bulle de savon. Demandons au Seigneur qu’il supprime la part d’Hérode dans notre cœur, demandons-lui la grâce de pleurer sur notre indifférence, sur notre cruauté qui existe dans le monde, en nous et chez ceux qui prennent des décisions socio-économiques qui ouvrent la route à ce genre de drames».
Jean-René Meva’a Amougou