Couvre-feu : Bamenda, la vie en 12 heures…
Le durcissement de la restriction des mouvements des biens et des personnes, désormais autorisé seulement entre 6 et 18 heures, crée une ville fantôme de fait. Tranches de vie.

Bamenda, capitale régionale du Nord-ouest, ce jeudi 13 septembre 2018. Il est environ 17h. Le portail du marché central de la ville vient de fermer. Au pas de course, chacun essaie de regagner son domicile avant 18 heures. Initialement fixé à 21 heures, c’est désormais à cette heure que débute le couvre-feu selon une décision d’Adolphe Lele Lafrique Deben Tchoffo, gouverneur de la région, prise le 9 septembre 2018.
En fait, cette décision renforce le couvre-feu en vigueur dans la région. Lequel passe de 21h à 5h à 18h à 6h du matin. La veille, des hommes armés ont coupé la ville pendant des heures du reste du pays en creusant une tranchée sur la chaussée sur la nationale N°6 au niveau d’Akum. Les assaillants dont certains brandissaient le drapeau de l’Ambazonie, s’en sont également pris à des bus de transport, tuant un chauffeur et faisant de nombreux otages.
Soudain, le ciel s’assombrit et une forte averse dégringole, poussant la majorité des personnes à s’agglutiner quelques parts. C’est la même situation du côté du marché des vivres et même au marché de Nkwen. Les plus téméraires foncent dans la pluie afin d’arriver chez eux avant l’heure H. Tout le monde n’y réussira pas.
Ville fantôme
Au lieudit Mile 4 Junction, il est 18h13mn, des gouttelettes de pluies tombent encore après l’orage qui vient de s’achever. L’on observe encore des mouvements de personnes et de véhicule. Sur ces entrefaites, les pandores de la brigade de recherche de Mile 4 envahissent la route et tirent de façon continue en l’air. Un moyen dissuasif pour pousser les retardataires encore dans la rue à retourner à la maison. C’est la débande totale, chacun prend ses pieds à son cou. En un laps de temps la rue se vide. La ville fantôme prend droit de cité.
En cette période de couvre-feu, les mouvements des véhicules et des personnes sont prohibés. Le lieutenant-colonel Edgar David Petatoa Poufong, commandant du 50e groupement des sapeurs-pompiers annonce la disponibilité de ses services à venir à la rescousse des personnes en détresse. «Si quelqu’un est malade, si une femme enceinte est en travail, si quelqu’un a un AVC, s’il y a un incendie déclaré, s’il y a un accident, il faut appeler le 118, se présenter, donner son numéro de téléphone, décrire la nature du problème afin que nous prenons des dispositions pour lui apporter l’assistance adéquate une fois sur le terrain». Toutefois, il met en garde contre les appels fantaisistes.
Abus
La veille, au check point de mile 4, Michael Ngwa, un taximan est surpris par le couvre-feu. «J’ai pris des passagers de Bambui pour Bamenda hier (mercredi dernier Ndlr). Je suis arrivé à Mile 4 à 18h 02mn alors que des gendarmes venaient à peine de s’installer au poste de contrôle. Ils m’ont interpellé. Chaque passager dans mon véhicule était obligé de négocier sa libération avec un billet de 1000 F et moi j’ai dû payer 2000 F», raconte-t-il. Une attitude que réprimande le général de Brigade Agha Robinson Ndong, commandant de la 5e région militaire interarmées (RMIA). Le haut-gradé avise notamment: «tous ceux qui sont coupables d’exaction, d’arnaque sont punis et extirpés de la région du Nord-ouest. Le haut commandement ne cautionne pas des attitudes déviantes». Il ajoute «sur instruction du haut commandement, nous avons à notre niveau, conseillé à nos éléments déployés sur le terrain d’être amical, proche des populations. De ne pas extorquer, nuire les populations, de les accompagner dans leurs activités quotidiennes».
Muma Peter, un autre taximan a manqué de juste d’être parmi les premières victimes de cette mesure de l’autorité administrative: «je rentrais de Bambili pour la ville de Bamenda le 9 septembre. J’ai eu une crevaison au niveau de la pharmacie Andreg à Mile 4 Nkwen. Il était 17h45mn. Pendant que je remplaçais la roue, j’ai vu des gens courir et j’ai demandé ce qui se passait. C’est alors que l’un m’a demandé tu n’es pas au courant? J’étais perplexe et ne comprenais rien. C’est alors que j’ai reçu un coup de fils de mon voisin m’informant de l’arrêté du gouverneur prohibant la circulation à partir de 18h. J’étais obligé de garer mon véhicule à la station-service et regagner à pas de course mon domicile».
Impact économique
Du fait de ce couvre-feu, l’activité économique déjà fortement perturbée par l’insécurité a pris un nouveau coup. «C’est généralement à partir de 18h que je commençais à recevoir des clients parce qu’en journée chacun est occupé. Je ne fais plus de recette. Avant quand le couvre-feu débutait à 21h, je pouvais en moins de 2h de temps faire une recette de 50 mille francs. Voilà qu’aujourd’hui je ne peux même pas avoir 5 mille. Je risque faire banqueroute. Je me demande comment vais-je faire pour rembourser le prêt contracté auprès d’un établissement de micro-finance», s’inquiète Rayim Kemegni, gérant de débit de boissons au lieu-dit City-Chemist Round-about. Les propriétaires des lieux ludiques sont dans la même situation.
Autrefois, une ville bouillonnante dans la nuit, avec ses cabarets, bars, night-clubs et autre points chauds dont le coin de débauche par excellence Mobil Nkwen, Bamenda est aujourd’hui à l’image d’un cimetière. A partir de 18h, les flonflons de véhicules et motos se taisent. Les haut-parleurs des églises réveillées et autres baffles de sonorités cèdent la place à un silence de mort. Même dans les chaumières, les volumes des écrans téléviseurs sont réduits au minimum, s’ils ne sont simplement pas éteins. Chacun est sur le qui-vive. Certains vont au lit très tôt. «Je dors moins de 5h de temps chaque nuit parce qu’on se sait jamais par où le danger peut venir» lâche Willibroad Vedzenyuy pour qui «si je suis encore à Bamenda, c’est parce que je n’ai pas de relation dans une autre région». Michel Taboula ne dit pas autre chose «c’est mon emploi qui me retient encore ici. J’ai envoyé les enfants poursuivre leur éducation à Bafoussam, Douala et Yaoundé».
Vague d’exode
Après la journée de ville morte observée lundi 10 septembre, les agences de voyage de transport interurbain faisant la ligne Bamenda- Bafoussam, Douala et Yaoundé sont submergées. Ce qui a fait dire à un observateur averti que le degré d’exode à Bamenda est supérieur à celui contenu dans le livre d’exode dans la bible. Dans l’une de ces agences visitées jeudi matin autour de 11h, l’un des responsables qui a requis l’anonymat nous fait dire qu’une dizaine de bus sont déjà partis mais les passagers ne font qu’affluer. «Nous sommes débordés, nous leur expliquons qu’il n’ya plus de bus mais ils ne veulent pas entendre. Certains ont même passé la nuit à l’agence afin de s’acheter un ticket tôt ce matin» laisse-t-il entendre.
Du coup le prix des tickets de transport entre Bamenda et Yaoundé ou encore Bamenda et Douala a été revu à la hausse. Il faut débourser entre 8 et 10 mille francs CFA désormais, loin des 5600 et 5000 exigés en temps normal. A finance Junction, les transporteurs individuels exigent 4 à 5 mille francs aux passagers en partance pour Bafoussam. Or le prix homologué est de 1500 francs. Ici les passagers se bousculent lorsqu’un véhicule en provenance de Bafoussam gare. Les responsables d’agence justifient cette augmentation par le fait que les bus reviennent vides de Douala, Yaoundé, Bafoussam. Par conséquent, l’additif vise à compenser le carburant utilisé sur ce trajet retour.
Ce flux de la population qui quitte Bamenda a caracolé avec la sortie des leaders séparatistes dont Ivo Tapang Tanku sur les réseaux sociaux. Ce dernier enjoint à population du Nord-ouest et singulièrement celle de Bamenda de se terrer à domicile du 16 septembre au 10 octobre. Il affirme que ses éléments vont empêcher toute entrée de véhicule dans la région du Nord-ouest à partir du péage de Matazen par Santa pendant la période indiquée. Ceci afin de bloquer les charters de vote et partant, empêcher le déroulement de la présidentielle dans la région.
Zéphirin Fotso Kamga à Bamenda