Tchad-Russie : Au nom du père… et d’Idriss
De l’avis de certains observateurs, la configuration actuelle de l’axe Ndjamena-Moscou est régentée par le schéma balisé en grande partie par feu le président Idriss Deby Itno, et entretenu par son successeur de fils.
Fin juin 2021, une information relayée par le site internet de l’armée tchadienne a prouvé que Ndjamena dispose d’une marge de manœuvre qui est loin d’être nulle dans la mise en place de la coopération militaire avec d’autres pays, en dehors de la France. En jouant une partition assez habile pour rendre compte de l’«amitié» entre Ndjamena et Moscou, le Général Daoud Yaya Brahim a indiqué que «la Russie est prête à aider le Tchad à moderniser ses équipements militaires». Sur le déroulé des négociations, le ministre tchadien de la Défense a précisé que le 23 juin 2021, sur ordre du Conseil militaire de transition (CMT), il a conduit une délégation à la 9e Conférence de Moscou sur la sécurité internationale. En marge de ce voyage, le Tchad a entamé de nouveaux accords militaires avec la Fédération de la Russie. Et le général Daoud Yaya Brahim de livrer d’autres précieux détails. «Lors de mon séjour à Moscou, j’ai été reçu par le vice-ministre russe de la Défense, le colonel général Alexandre Fomine.
Il faut noter que l’armée tchadienne est équipée d’un grand nombre d’équipements militaires de production soviétique et russe. Le vice-ministre russe de la Défense nous a rassuré d’une aide au renforcement des capacités de défense de notre État, et donc à la protection de la souveraineté, de l’intégrité territoriale. Le membre du gouvernement russe a reconnu que le Tchad est armé d’un vaste ensemble d’équipements militaires et spéciaux de production soviétique et russe, qui nécessitent des réparations, un entretien et une modernisation réguliers. Il nous a rassuré que la Russie est prête pour un tel travail ; car à l’heure actuelle 90% des armes et du matériel militaire de l’armée tchadienne proviennent de la Russie», lit-on sur le site internet de l’armée tchadienne.
Coulisses
Aux yeux de certains analystes, Ndjamena semble avoir opté pour un décloisonnement géopolitique de sa diplomatie militaire. Cette option s’exprime clairement par le choix des pays autres que la France, l’ex-métropole. Dans le contexte de cet engagement, Dr Ordy Betga évoque les coulisses du sommet Russie-Afrique d’octobre 2019 à Sotchi. Selon la politologue, chercheure au Think Tank CEIDES (Observatoire des Pays de la CEEAC et du Nigéria), en marge du sommet cité supra, «la Russie avait organisé un salon de l’armement en vue d’exposer les nouveautés techniques et technologiques de l’armement pour glaner quelques commandes». Présent à Sotchi, feu le président Idriss Deby Itno fut séduit. Lors du discours qu’il prononça, le défunt maréchal de l’armée tchadienne dit: «Dans le combat du Sahel contre le terrorisme, le soutien de la Fédération de Russie est vital pour renforcer la stabilité régionale. L’appui en formation et équipements militaires, le partage des renseignements et d’expérience avec les forces africaines engagées sur ce front, seront d’une grande utilité». Selon le Pr Joseph-Vincent Ntuda Ebode (directeur du Centre de Recherches d’études politiques et stratégiques, CREPS, de l’Université de Yaoundé II), «c’était l’indice d’une grande ouverture augurant ainsi des perspectives de coopération militaire entre Ndjamena et Moscou».
Vieux schéma
Néanmoins, il ne faut pas penser que la «machine tchado-russe» démarre brutalement. «En s’inspirant d’une approche processuelle, l’on voit bien que, depuis l’établissement des relations diplomatiques entre Moscou et Ndjamena le 24 novembre 1964, les deux parties ont signé une série d’accords dans les années 60-70. L’on peut citer, entre autres, ceux sur la coopération culturelle et scientifique (1966), le commerce (1967), la coopération économique et technique (1968), le trafic aérien (1974). On peut citer parmi les documents signés à la période post-soviétique, – les accords intergouvernementaux sur la coopération culturelle et scientifique (1998), la coopération militairo-technique (2000), la reconnaissance mutuelle de l’équivalence des documents de la formation et les grades (2000), le procès-verbal sur la coopération dans le domaine de la formation (1997)», éclaire l’internationaliste camerounais Christian Matana. Selon ce dernier, «il existe une progression des relations dans leur intensité et leur visibilité et, par conséquent, des étapes de développement de la coopération entre la Russie et le Tchad depuis longtemps». Il ajoute que «la captation de certains signaux pourrait aboutir à l’idée que Mahamat Idriss Deby n’entend pas sortir du schéma balisé en grande partie par son défunt père. Et c’est à l’aune de l’accord militaire entre Ndjamena et Moscou de juin 2021 qu’il faut décrypter la politique du président du Conseil de Transition».
Jean-René Meva’a Amougou
Prochain article de la série:
Bangui-Moscou : pierres précieuses contre armes sophistiquées ?