Taxes sur les téléphones : Au-delà des polémiques…
Pour une certaine expertise, ladite taxe devrait déjouer les caprices du contexte et du désordre en traçant un chemin fait de bonnes options.
« En exécution des très hautes instructions du président de la République, j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il demande au Premier ministre, chef du gouvernement, de faire surseoir à la mise en œuvre de la collecte par voie numérique des droits de douane et taxes sur les téléphones et terminaux importés ; soumettre à sa haute sanction un mécanisme plus approprié de recouvrement desdits droits de douane et autres taxes ». C’est le segment phare de la correspondance que Ferdinand Ngoh Ngoh a adressée Séraphin Fouda le 19 octobre 2020. Au milieu d’une polémique qui enfle, cette lettre du Secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) au secrétaire général des services du Premier ministre ravi plus d’un. Notamment es opérateurs de téléphonie mobile.
De sources bien informées, c’est en fin de semaine dernière que Paul Biya a reçu leurs appréciations du projet de taxation des téléphones via une plateforme numérique conçu à cet effet. En marge de cette actualité, une certaine expertise apporte quelques éclairages.
Mauvaise interprétation
« La compréhension des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun soutenant que l’Etat a différé la collecte des droits et taxes de douanes sur les terminaux mobiles qui ne seraient plus payés au moment de l’importation, mais plutôt lors de l’utilisation de l’appareil ; acquittés par l’importateur, mais plutôt par l’utilisateur final ; collectés par l’Administration des Douanes, mais plutôt par les sociétés de téléphonie mobile, est erronée et ne trouve pas son fondement dans la réglementation en vigueur », laisse entendre cette expertise.
Selon celle-ci, « le Gouvernement de la République, à travers la législation en vigueur : n’exclut pas le paiement des droits et taxes de douanes au moment de l’importation (cela étant d’ailleurs la règle), mais donne également la possibilité de le faire lors de l’utilisation de l’appareil (ce qui constitue une exception) ; donne la possibilité tant à l’importateur qu’à l’utilisateur final de s’acquitter des droits et taxes de douanes ; confie la mission de recouvrement des droits et taxes de douanes aux opérateurs de téléphonie mobile, conformément à l’article 9 alinéa 2 de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques, modifiée et complétée par la loi n° 2015/006 du 20 avril 2015, qui dispose que « la concession est octroyée à toute personne morale qui s’engage à respecter les dispositions de la présente loi, les clauses du calier des charges, ainsi que les dispositions générales portant sur…les modalités de contribution aux missions générales de l’Etat… ». L’Etat reste ainsi dans son rôle régalien de collecteur de l’impôt et peut fixer des modalités de contribution des opérateurs de téléphonie mobile à cet exercice ».
Crédit de communication
Selon la même expertise, les opérateurs privés de téléphonie mobile déclarent que « …le crédit de communication est un service acquis par un usager pour satisfaire ses besoins en communication. Les unités de crédits de communication (Airtime) représentent un temps d’accès à un réseau de communication électronique…».
Sauf que dans la pratique, lorsque qu’un usager recharge son crédit de communication le message type suivant lui est renvoyé sur son téléphone : « Transaction NNN (numéro de la transaction) de XXX FCFA (montant de la transaction) de YYY (numéro de téléphone du propriétaire de l’origine de la transaction) a réussi. Nouveau solde : XXX FCFA (montant restant dans votre compte). Validité ZZZ (Date limite de validité) ».
Lorsque l’usager effectue un appel téléphonique, le message de facturation type suivant lui est renvoyé sur son téléphone : « L’appel au AAA (numéro appelé) vous a coûté XXX F (coût de l’appel passé). Durée DDD (durée de l’appel). Unité de durée (heure, minute ou seconde). Solde restant XXX F (montant restant dans votre compte) ».
Le crédit de communication s’exprime bel et bien en valeur financière comme l’attestent les opérateurs de téléphonie mobiles privés, comme d’ailleurs tous les produits et services existants sur le marché.
Le règlement nº01/11/CEMAC/UMAC/CM du 18 septembre 2011, fixant les conditions d’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique, ainsi que les rôles des Autorités de Régulations, définit la monnaie électronique comme « une valeur monétaire stockée sur un support sous forme électronique contre remise de fonds de valeur égale, qui peut être utilisée pour effectuer des paiements à des personnes autres que l’émetteur, sans faire intervenir des comptes bancaires dans la transaction ».
Le crédit de communication des usagers de téléphonie mobile au Cameroun est donc une valeur financière ou monétaire stockée dans le terminal mobile sous format électronique et utilisée pour effectuer les paiements des services comme la voix, les SMS, les MMS, les funtones ou tout autre service à valeur ajoutée proposé par l’opérateur. Chaque transaction est sanctionnée par une facture qui décrit les informations utiles de l’opération, y compris le transfert de crédit d’un téléphone à un autre.
A cela s’ajoute la possibilité pour l’opérateur privé de téléphonie mobile, d’octroyer des nano crédits de communications en valeur financière (monétaire) qui induisent de facto un système de règlement et de compensation.
Pourtant, le Règlement n°02/3/CEMAC/UMAC/CM relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiements invoqué par les opérateurs privés de téléphonie mobile dispose en son article 2 que « Sont considérés comme moyens de paiement tous les instruments qui permettent à toute personne de transférer des fonds, quel que soit le support ou le procédé technique utilisé ».
Le transfert de crédit d’un téléphone à un autre ne constitue-t-il pas un moyen de paiement mis en place par les opérateurs de téléphonie mobile, sous le regard impuissant de la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC), leur ultime recours.
L’unité d’expression du crédit de communication devrait plutôt s’orienter vers l’unité de temps et non vers l’unité monétaire, en raison du fait que l’unité de communication par excellence est l’erlang qui mesure le taux d’occupation d’un équipement de communication sur une période donnée.C’est lorsqu’une transaction est terminée que l’équipement de l’opérateur, en fonction du service sollicité, facture l’opération suivant les algorithmes programmés et défalque le coût de la transaction sur le montant restant du compte. Ce système de paiement au sens des Règlements CEMAC, longtemps pratiqué par les opérateurs privés de téléphonie mobile ne pose problème que lorsqu’il s’agit pour l’Etat de collecter les droits et taxes de douanes sur les terminaux mobiles, avec le même mécanisme.
Les clarifications suivantes restent d’actualité quant aux réserves formulées par les opérateurs :
Utilisation du crédit de communication comme moyen de paiement
Nous sommes en plein cœur du numérique où la démarcation des frontières est difficile à établir ou mieux la convergence s’est établie en règle, d’où l’intérêt d’une régulation collaborative tant sollicitée par le MINPOSTEL.
En attendant la mise en place d’une régulation collaborative dans le domaine du numérique, les opérateurs privés de téléphonie mobile doivent se conformer à la réglementation sectorielle, dont l’esprit et la lettre des dispositions incombe au Ministère des Postes et Télécommunications.
Confidentialité et la sécurité des données personnelles
Les raisons évoquées par les opérateurs privés de téléphonie mobile, relativement à l’interconnexion d’une tierce partie sans garanties de sécurité et de confidentialité qui pourrait avoir accès à tout moment à l’intégralité de l’activité de chaque abonné ou constituer une porte d’entrée à une attaque cybernétique visant à déstabiliser les services des opérateurs, sont autant d’arguments utilisés pour empêcher une catégorie d’opérateurs à exercer dans certains segments de marchés.
C’est le cas avec le segment de marché des services à valeur ajoutée qui a été verrouillé par opérateurs privés de téléphonie mobile, à travers le refus d’interconnexion, en invoquant des dysfonctionnements possibles de leurs réseaux et de la perturbation de la qualité de service. A date, combien de Fournisseurs de Services à Valeur Ajoutée ont sollicité et bénéficié d’une interconnexion avec un opérateur privé de téléphonie mobile ?
Avec l’avènement de l’économie numérique, les géants du net n’ont pas toujours eu un passé avec des références claires et traçables dans le domaine du numérique. L’esprit de créativité qui anime une startup du numérique est un avantage indispensable qui permet de faire la différence avec les modèles traditionnels.
En sa qualité de coordonnateur sur le plan national les activités concourant à la sécurisation et à la protection des réseaux de communications électroniques et des Systèmes d’Information, l’Administration en charge des Télécommunications, représentant le Gouvernement du Cameroun a opté pour le choix d’ARINTECH CAMEROON comme son mandataire, au moyen d’une convention cadre portant exploitation de la plateforme technologique numérique polyvalente multiservices.
Le Gouvernement est très conscient des enjeux actuels et futurs des données à caractère personnel. La protection de ces données est une quête collective à travers laquelle toutes les parties prenantes doivent jouer chacune son rôle. La convention-cadre engage la responsabilité d’ARINTECH CAMEROUN dans la protection des données enregistrées.
Dans le cadre de la mise en place des instruments administratifs et juridiques utiles à l’opérationnalisation de la plateforme de collecte automatique et de sécurisation des droits et taxes de douanes sur les équipements terminaux numériques, des projets de conventions de tiers de confiance ont été transmis à tous les opérateurs, pour observation. A date, en dehors de MTN Cameroon, aucune autre réaction officielle n’a été enregistrée des opérateurs mais les critiques s’intensifient. Il est temps de passer à la critique savante en apportant vos contributions écrites aux projets qui vous ont été transmis. Un bon écosystème du numérique ne peut être bâti qu’avec l’ensemble des acteurs concernés. Les questions de sécurité des données personnelles trouveront ici les réponses idoines.
Risques de mécontentement des consommateurs
Le dispositif de collecte des droits et taxes de douanes pourrait susciter un profond mécontentement des consommateurs qui serait de nature à troubler la paix sociale autour de l’industrie de la téléphonie mobile, pour les raisons suivantes :
- il porte atteinte au droit de la propriété que détient le consommateur sur son crédit téléphonique ;
- il expose les consommateurs au marché gris de la vente des téléphones ;
- il induit la réduction du temps de communication.
Relevons au préalable que tous les téléphones connectés au moins une fois à un réseau d’un opérateur avant le 1er octobre 2020, ne sont pas concernés par le prélèvement automatique des droits et taxes de douanes. Seuls les nouveaux terminaux qui se seront connectés à partir de 1er octobre 2020 sont concernés. Le mécontentement de nombreux consommateurs n’est donc pas d’actualité. C’est lorsqu’un usager veut changer son terminal qu’il s’assure du caractère dédouané ou non de son appareil. Comparé aux millions d’abonnés déjà connectés, le risque de mécontentement n’est pas envisageable pour les nouveaux terminaux connectés. Chemin faisant et tenant compte de la communication et de la sensibilisation des masses, le changement de terminal par les usagers est envisagé dans la sérénité.
Atteinte au droit de la propriété que détient le consommateur sur son crédit téléphonique
Nul n’est censé ignorer la loi ! Les consommateurs camerounais et les importateurs de terminaux mobiles sont tous conscients que le Cameroun ne produit pas les terminaux mobiles et fixes. Autrement dit, tous les terminaux mobiles et fixes présents sur le territoire national proviennent de l’importation.
Conformément à la réglementation en vigueur, l’entrée sur le territoire national des terminaux mobiles ou fixes est subordonnée au paiement préalable des droits et taxes de douanes. Tout appareil téléphonique utilisé sur un réseau d’un opérateur national devrait avoir été dédouané et homologué par les services compétents. Malheureusement, plusieurs terminaux échappent à cette norme.
Raison pour laquelle, le Gouvernement a opté de mettre en place une plateforme qui offre la possibilité de s’acquitter traditionnellement les droits et taxes de douanes lors du passage de la frontière, ou spontanément lorsque les terminaux ont été introduits frauduleusement ou en suspension desdits droits, à travers le crédit de communication.
Le mécontentement des consommateurs en raison de l’atteinte sur leur crédit de communication n’est pas envisageable dans cette réforme qui garantit, entre autres :
- la baisse prochaine des prix de téléphone sur le marché camerounais : le taux de 33,05% imposable au titre des droits et taxes de douane est effectuée sur la base du montant du terminal sorti d’usine qui généralement représente le 1/3 de la valeur du marché local. A titre d’exemple, pour un téléphone sorti d’usine au montant de 20 000 FCFA et qui coûterait environ 60 000 FCFA sur le marché local, la valeur des droits et taxes de douanes s’élèverait à 6 610 FCFA. Soit un coût total du terminal dédouané par le consommateur de 26 610 FCFA en lieu et place des 60 000 FCFA de la valeur du marché local ;
- la possibilité pour les camerounais de disposer des téléphones modernes: Un téléphone moderne sorti d’usine est trois fois moins coûteux comparé au prix du marché camerounais et entraine de ce fait des droits et taxes de douanes peu élevés ;
- la possibilité de faire du Cameroun un véritable HUB d’acquisition des terminaux mobiles et fixes : la baisse des droits de douanes et la suspension desdits droits est une politique visant à faire du Cameroun un HUB régional en matière de terminaux mobiles et fixes. Cette mesure offre la possibilité aux équipementiers de délocaliser la production des téléphones au Cameroun en raison de la possibilité de suspension des droits et taxes de douanes ;
- un mode de paiement allégé des droits et taxes de douanes des terminaux mobiles aux consommateurs dans une échéance maximale de 365 jours : Lorsque le paiement se fait de manière échelonnée, le consommateur a la possibilité, lorsqu’il a du crédit, de se faire prélever graduellement et à fréquence quotidienne à un taux de 0.5% de la valeur des droits et taxes de douanes, jusqu’à la totalité des droits et taxes dus. En reprenant l’exemple précédent où le montant des droits et taxes de douanes est de 6 610 FCFA, le consommateur est prélevé d’environ 19 FCFA par jour pendant 365 jours jusqu’à épuisement des droits et taxes dus. L’opérateur ne perd pas son client et le consommateur se conforme à la réglementation en vigueur en matière de dédouanement de terminaux avec un mécanisme très allégé de paiement.
Exposition des consommateurs au marché gris de la vente des téléphones
Des mesures proposées par les opérateurs de téléphonie visant à :
- identifier de façon certaine un appareil dédouané ;
- s’assurer que le téléphone non dédouané n’est pas vendu au prix d’un téléphone dédouané, pourraient constituer des améliorations futurs d’une œuvre gouvernementale qui ne vient que de démarrer.
En attendant, l’article 6 de la Décision Conjointe N°247/MINFI-DGD/MINPOSTEL-IGT du 13 mars 2020 fixant les modalités de collecte numérique des droits et taxes de douane sur les téléphones et les terminaux numériques dispose que : « tout vendeur de téléphones et /ou de tablettes est, sous peine d’engager sa propre responsabilité, tenu d’informer l’acquéreur sur le statut « dédouané » ou « non dédouané » de ces appareils. La fourniture des informations fausses est punie par une amende égale à 50 %du montant de la transaction ».
La réduction du temps de communication
La réduction du temps de communication est une réalité pour un usager qui veut utiliser un terminal non dédouané sur le réseau d’un opérateur national. Mais, si nous sommes tous conscients que les lois sont faites pour être appliquées, il n’en demeure pas moins que l’usager en règle communique avec moins de stress sur le prélèvement de son crédit de communication.
Les terminaux non dédouanés devraient constituer pour les opérateurs privés de téléphonie mobile, des objets à risque non conformes à la réglementation en vigueur plutôt que de s’inquiéter sur la réduction du crédit de communication qui conditionne leurs chiffres d’affaires.
Il est préférable pour les consommateurs de disposer davantage des téléphones modernes offrant plus d’options de communication et de services et entrainant de ce fait plus de consommation de services des opérateurs.
Difficultés techniques dans la mise en œuvre des dispositions de l’article Septième
Les problèmes techniques formulés par les opérateurs privés de téléphonie mobile sont fortement tributaires des réserves examinées plus haut et traduisent à suffire le rejet de cette plateforme par les opérateurs. Les raisons ayant milité au verrouillage du segment de marché des services à valeur ajoutée en est une illustration. Malgré les séances de travail tenues, les problèmes techniques ci-après restent ouverts aux dires des opérateurs :
- l’absence de mercuriale: une mercuriale n’est pas envisageable pour l’instant en raison du fait l’imposition se fait sur le montant du téléphone sorti d’usine. Des bases de données existent et sont disponibles dans ce sens ;
- la complexité des téléphones Duals SIM: la fourniture des données personnelles par les opérateurs privés de téléphonie mobile est indispensable pour réaliser une fine triangulation permettant de détecter tous les cas possibles de contournement de la plateforme, allant au-delà des Dual SIM ;
- la prise en compte des tablettes: pour l’instant, cette prise en compte n’est possible qu’en cas de connexion de la tablette à un réseau d’opérateur via une carte SIM ;
- le prélèvement des droits de douanes pour le client prépayé: les textes particuliers fixant des paliers de retenue seront pris en temps opportun mais ne constituent pas un blocage au démarrage de la plateforme. Lorsque l’abonné ne dispose pas de crédit de communication, la plateforme de prélève rien. Lorsque le crédit de communication est rechargé, la plateforme poursuit le prélèvement sans rappel du montant non payé antérieurement, l’essentiel étant de finaliser son paiement avant le terme des 365 jours ;
- défaut de recharge chez le client prépayé: Il n’y a aucune période de grâce accordée au client. Ce dernier doit s’acquitter de ses droits et taxes de douanes dans une période de 365 jours correspondant à une année entière. Passé ce délai, le terminal sera bloqué par les opérateurs ;
- le prélèvement des droits de douanes pour le client postpayé : en fonction du choix de l’option de paiement des droits de douanes du client postpaid, l’opérateur inclut le montant desdits droits sur sa facture mensuelle et informe le mandataire de l’Etat et les services de la Douanes ;
- le reversement à l’Etat des sommes collectées : Les droits et taxes de douane collectés chaque mois doivent être reversés au Trésor public par les opérateurs de téléphonie qui ont procédé au prélèvement au plus tard le 15 du mois suivant. Ce reversement se fait contre délivrance d’une quittance sur la base d’une déclaration douanière modèle DR4 (reversement des droits et taxes de douane collectés à l’importation). Cette déclaration doit être déposée au Bureau des Douanes de domiciliation affectée par le Système d’Information douanier, assortie d’un listing électronique récapitulatif des prélèvements effectués par téléphone. Une copie électronique de ce listing doit être adressée au Directeur Général des Douanes. Le Service procède à une confrontation entre les données produites par la plateforme gouvernementale et les déclarations faites par l’opérateur de téléphonie concerné, en vue d’apprécier leur exhaustivité et leur sincérité.
Pour les opérateurs privés de téléphonie mobile, l’option choisie par l’Etat de prélever les droits et taxes de douanes sur le crédit de communication requiert des développements complexes. Elle nécessite des évolutions de l’architecture de leurs plateformes. La planification des travaux d’évolution et le temps d’implémentation peut varier de 09 à 12 mois, avec des prestataires internationaux.
Pourtant l’introduction de ce mécanisme dans la Loi de Finances date de 2018. Même en tenant compte de ces délais, si les opérateurs avaient la ferme volonté de coopérer avec l’Administration, le pari serait gagné aujourd’hui. Mais, la recherche effréné du gain par les opérateurs privés de téléphonie mobile et le dilatoire persistant visant à ne pas se conformer à la réglementation en vigueur, méritent de faire respecter la loi.
Il y a lieu de relever qu’au démarrage de ce projet, certains opérateurs privés de téléphonie mobile ont proposé une solution similaire qui n’a pas été approuvée par le Gouvernement. Toutes ces conditions n’auraient pas été posées si c’était un opérateur privé de téléphonie mobile qui contrôlait la solution. Comment allons-nous bâtir un véritable écosystème numérique sans faire confiance aux startups du numérique ?
En plus, l’article 1er alinéa 2 du décret n°2012/512 du 12 novembre 2012 portant organisation du Ministère des Postes et Télécommunications dispose que le Ministre des Postes et Télécommunications « étudie, réalise ou fait réaliser les équipements et infrastructures correspondants aux secteurs des Postes et des Télécommunications ».
L’article Septième de la loi n° 2018/022 du 11 décembre 2018 portant Loi de Finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2018 dispose que « les téléphones portables et les tablettes numériques peuvent être importées en suspension des droits et taxes de douanes, à charge pour les acquéreurs de procéder au paiement desdits droits via un prélèvement effectué lors des émissions téléphoniques. Ces droits et taxes sont prélevés et reversés au plus tard le 15 de chaque mois au service des douanes compétent par toutes les sociétés de téléphonie mobile. Ces sociétés sont tenues, en collaboration avec les services de l’Etat compétents ou leurs mandataires, de configurer leurs systèmes de manière à éviter toute connexion à leurs réseaux respectifs par les téléphones et tablettes non dédouanées ».
Quatre (04) réserves sont formulées par l’Association des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun, à savoir :
- l’utilisation du crédit de communication comme moyen de paiement ;
- la confidentialité et la sécurité des données personnelles ;
- les risques de mécontentement des consommateurs ;
- les difficultés techniques dans la mise en œuvre des dispositions de l’article Septième.
Sauf mauvaise foi, la compréhension des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun soutenant que l’Etat a différé la collecte des droits et taxes de douanes sur les terminaux mobiles qui ne seraient plus :
- payés au moment de l’importation, mais plutôt lors de l’utilisation de l’appareil ;
- acquittés par l’importateur, mais plutôt par l’utilisateur final ;
- collectés par l’Administration des Douanes, mais plutôt par les sociétés de téléphonie mobile,
est erronée et ne trouve pas son fondement dans la réglementation en vigueur.
En effet, le Gouvernement de la République, à travers la législation en vigueur :
- n’exclut pas le paiement des droits et taxes de douanes au moment de l’importation (cela étant d’ailleurs la règle), mais donne également la possibilité de le faire lors de l’utilisation de l’appareil (ce qui constitue une exception) ;
- donne la possibilité tant à l’importateur qu’à l’utilisateur final de s’acquitter des droits et taxes de douanes ;
- confie la mission de recouvrement des droits et taxes de douanes aux opérateurs de téléphonie mobile, conformément à l’article 9 alinéa 2 de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques, modifiée et complétée par la loi n° 2015/006 du 20 avril 2015, qui dispose que « la concession est octroyée à toute personne morale qui s’engage à respecter les dispositions de la présente loi, les clauses du calier des charges, ainsi que les dispositions générales portant sur…les modalités de contribution aux missions générales de l’Etat…». L’Etat reste ainsi dans son rôle régalien de collecteur de l’impôt et peut fixer des modalités de contribution des opérateurs de téléphonie mobile à cet exercice.
En plus, l’article 1er alinéa 2 du décret n°2012/512 du 12 novembre 2012 portant organisation du Ministère des Postes et Télécommunications dispose que le Ministre des Postes et Télécommunications « étudie, réalise ou fait réaliser les équipements et infrastructures correspondants aux secteurs des Postes et des Télécommunications ».
La Loi de Finances de 2018 n’a pas abrogé les dispositions en vigueur en matière de collecte des droits et taxes de douanes sur les terminaux mobiles. Elle a prescrit la mise en place d’un dispositif devant faciliter le paiement des droits et taxes de douanes et de sécuriser les recettes douanières en matière de terminaux mobiles.
Cette politique gouvernementale vise à :
- faire du Cameroun un véritable HUB d’acquisition des terminaux mobiles ;
- faciliter l’accès des populations aux terminaux mobiles modernes, à prix abordable ;
- faciliter le paiement des droits et taxes de douanes des terminaux mobiles aux consommateurs dans une échéance maximale de 365 jours ;
- réduire sensiblement les prix des terminaux mobiles sur le territoire camerounais.
Il s’agit de maîtriser le futur par la maîtrise de l’action qui conduit au but et au sens. L’anticipation devrait déjouer les caprices du contexte et du désordre en traçant un chemin fait d’options, histoire de ne pas rester sur la réserve ou de ne pas se disperser dans un activisme illusoire. Avoir un projet, c’est se concentrer autour d’étapes qui marquent une progression capable de mobiliser.
- faire preuve d’intelligence. Elle s’oppose aux conduites d’à peu près, de précipitation, au stéréotype « fonceur » (droit devant !), de même qu’à l’attentisme, l’hésitation, la négligence, l’équivoque, voire l’opportunisme. Il s’agit de voir large et loin en intégrant le temps, les résistances, les contraintes, les atouts, les appuis, et de prévoir où la balle va tomber pour mieux se préparer à la frapper et marquer le point ;
- offrir une chance de mieux réguler les comportements et les tensions.
Dans une correspondance adressée ce 19 octobre 2020 au secrétaire général des services du Premier ministre, Séraphin Fouda, le secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, transmet au gouvernement l’instruction du chef de l’État, Paul Biya, demandant de suspendre l’application de la réforme consistant à collecter les droits et taxes de douane sur les téléphones et tablettes via une plateforme numérique dédiée.
écrit le SGPR.
Cette correspondance vient ainsi mettre un terme à la polémique suscitée par le projet gouvernemental de collecte des droits et taxes douanières via une plateforme numérique dédiée, avec le concours des opérateurs de la téléphonie mobile en activité dans le pays. Mieux, la décision présidentielle de surseoir à la réforme envisagée par le gouvernement fait l’affaire des opérateurs de téléphonie mobile, qui ont formulé la semaine dernière une offre de services dédiée.
Une offre alternative pour évincer Arintech
En effet, dans un document de 14 pages adressé au gouvernement et intitulé « Mémorandum sur la mise en œuvre des dispositions de l’article septième de la Loi de Finances 2019 », l’Association des opérateurs de téléphonie mobile du Cameroun (AOTMC) tresse une couronne d’épines au nouveau dispositif de collecte des droits de douane sur les téléphones et tablettes, que l’État du Cameroun envisageait de mettre en place jusqu’à ce 19 octobre 2020, date de la suspension du processus par le président Biya.
Mais, après avoir listé et détaillé les failles techniques et règlementaires que recèle la plateforme numérique devant servir d’élément principal dans le nouveau dispositif de collecte de ces taxes, l’association que dirige Frédéric Debord, le directeur général d’Orange Cameroun, fait une « offre alternative » au gouvernement. Cette offre de service exclut aussi bien Arintech, l’entreprise controversée mandatée par le gouvernement dans le cadre de cette réforme, mais aussi la plateforme numérique tout aussi controversée, à laquelle les opérateurs de mobile ont refusé de se connecter malgré l’injonction gouvernementale, en raison des réserves techniques et règlementaires émises sur le projet.
« Nous sommes convaincus qu’il est possible d’optimiser le recouvrement des droits et taxes de douane sur les terminaux mobiles, sans pour autant fragiliser nos entreprises. Nos technologies sont aujourd’hui utilisées pour faciliter la collecte de droits et taxes divers pour plusieurs administrations publiques. C’est le cas pour la collecte de la taxe foncière ou pour le paiement de frais scolaires et de frais universitaires par Mobile Money. Nous pouvons capitaliser sur ces expériences couronnées de succès pour développer une solution alternative de collecte de taxes et droits de douane sur les terminaux mobiles, sans pour autant handicaper les entreprises de téléphonie mobile », peut-on lire dans le mémorandum signé par Frédéric Debord.
Concrètement, en lieu et place de la plateforme d’Arintech, dont les limites et autres insuffisances techniques sont détaillées dans le mémorandum, les opérateurs de mobile proposent une solution qui garantira à la fois, soutiennent-ils, « une plus grande protection des consommateurs, un mécanisme de paiement contrôlé par le client, et une communication intense sur le dispositif convenu ».
Le positionnement du Mobile Money
Par ailleurs, soulignent les opérateurs, cette offre alternative permettra de limiter considérablement les risques de plaintes des consommateurs ; de collecter dans des délais précis les droits et taxes de douane dus, « sans courir le risque de favoriser le développement d’une monnaie parallèle adossée sur les unités de crédit de communication » ; et « d’exclure facilement de l’assiette visée, les téléphones des personnes de passage pour un court séjour au Cameroun ».
Dans le détail, en matière de protection du consommateur, par exemple, l’AOTMC suggère au gouvernement « l’établissement d’une mercuriale des prix de vente des téléphones avant dédouanement, accessible à tous les usagers par tout moyen de publicité grand public ; la mise à la disposition des usagers d’un code USSD leur permettant de s’informer sur le statut du téléphone qu’ils veulent acheter (dédouané ou non dédouané) et le montant dû, le cas échéant ; et l’institution d’un timbre physique à apposer sur les téléphones dédouanés », pour plus de transparence lors des transactions entre vendeurs et acheteurs de téléphones et autres tablettes.
En ce qui concerne l’acquittement des droits de douane sur les terminaux mobiles, les opérateurs suggèrent deux pistes : le Mobile Money, ou alors les services de la douane elle-même, dans le strict respect de l’article septième de la loi de finances 2019, qui dispose que « les sociétés de téléphonie mobile sont tenues, en collaboration avec les services de l’État compétents ou leurs mandataires, de configurer leurs systèmes de manière à éviter toute connexion à leurs réseaux respectifs par les téléphones et tablettes non dédouanés ».
De ce point de vue, l’AOTMC précise que « dans ce mécanisme déjà mis en œuvre ailleurs (au Liban), un délai raisonnable de 90 jours serait accordé à l’usager pour s’acquitter des droits et taxe dus, soit par Mobile Money, soit alors dans un bureau de douane. À l’expiration de ce délai, le téléphone non dédouané ne pourrait plus avoir accès à aucun des réseaux de communications électroniques disponibles au Cameroun. Des messages de rappel seraient régulièrement envoyés aux usagers concernés pour les inviter à s’acquitter de leurs droits et taxes de douanes ».
Une hausse de 2500% des recettes envisagée…
Pour terminer, les opérateurs de mobile proposent au gouvernement une « communication intense » autour du dispositif convenu, en cas d’approbation de leur offre. Car, disent-ils, « compte tenu de l’impact des réformes sur les utilisateurs, il (…) parait important qu’ils en comprennent l’origine et le sens ».
En guise de rappel, le nouveau dispositif de collecte des droits et taxes de douane sur les téléphones et tablettes via une plateforme dédiée, à laquelle devront se connecter les opérateurs de téléphonie mobile, devait entrer en vigueur le 15 octobre 2020. Mais, l’annonce de cette réforme a suscité un tollé au sein de la population, qui dénonce le transfert de l’obligation d’acquitter lesdites taxes des importateurs vers les consommateurs. De leur côté, les opérateurs de mobile, tout en émettant des critiques au plan technique et règlementaire, redoutent une érosion de leur chiffre d’affaires, en raison de cette réforme.
En dépit de ces critiques, le gouvernement, lui, insiste sur le bien-fondé de cette réforme, qui, selon les prévisions, permettra à la douane de multiplier les recettes engendrées par les droits et taxes sur les téléphones et les tablettes de 2500% en un an, de manière à atteindre une enveloppe de 25 milliards de FCFA dès la première année de mise en œuvre du nouveau dispositif.
« Aujourd’hui, moins de 100 millions de FCFA sont collectés par mois sur les 2 milliards environ encaissés dans les années 2000. Cette baisse contraste avec l’augmentation du nombre et de la qualité des téléphones importés dans un contexte sécuritaire délicat », déclare-t-on à la direction générale des douanes. Alors que les recettes ont fléchi de plus de 97% au cours des deux dernières décennies, cette administration publique estime à près de 4 millions le nombre de téléphones importés au Cameroun par an.
Rémy Biniou