Réélection de Poutine: parole immédiate précède parole tardive
C’est officiel depuis le 17 mars dernier: Après vingt-cinq ans au centre de l’exécutif russe, Vladimir Vladimirovitch Poutine, 71 ans, a été réélu président de la Russie, pour six années supplémentaires. «En Afrique, cette réélection de Poutine prend un relief particulier, car Poutine incarne la nouvelle donne géopolitique sur le continent avec une présence et une influence plus accrues. L’AES, l’Alliance des États du Sahel (qui regroupe le Mali, le Niger et le Burkina Faso, NDLR) dont le lancement bouleverse les relations dans la sous-région ouest africaine, l’AES se trouve revigorée», se félicite un éditorialiste du quotidien burkinabè «Aujourd’hui». En Afrique centrale, le rythme tendanciel des réactions se lit (pour le moment) sous les plumes de Denis Sassou Nguesso, du général Mahamat Idriss Déby et du Pr Faustin-Archange Touadéra. Selon le dirigeant congolais, la «brillante réélection» de Vladimir Poutine est à saluer. Car il est le «leader capable de guider son pays vers un avenir prospère et stable», appuie le chef de l’État tchadien. «Je profite de cette occasion pour vous informer de mon ferme engagement à travailler avec Votre Excellence pour renforcer les liens historiques d’amitié et de coopération qui unissent nos pays et nos peuples», a écrit le président centrafricain. Entre-temps, Paul Biya du Cameroun, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo de Guinée Équatoriale et Oligui Nguema du Gabon n’ont encore rien dit. Qu’y a-t-il là-derrière? Allez savoir!
Seulement, cartes sur table, crayon en main, écouteurs aux oreilles, l’on découvre assez rapidement qu’en Afrique centrale, parole immédiate et parole tardive s’agencent toujours de manière fonctionnelle. Dans la zone Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), ce double-fond de sauce demeure et s’auto-entretient quand il faut parler de la Russie. Sur le sujet, ceux qui s’expriment très tôt s’adressent aux éditorialistes et commentateurs mainstream. Pr Faustin-Archange Touadéra et Mahamat Idriss Déby en sont les préposés attitrés. Leur rôle, semble-t-il, n’est autre que d’asphyxier «une concurrence occidentale» empêtrée dans la difficulté face à la Russie. Ceux qui le font plus tard ont conscience que leur parole aura la force d’une tectonique qui en appelle à des ressorts géopolitiques puissants. Paul Biya se plaît à endosser ce rôle, comme extasié devant sa capacité à renverser les tabous d’une simple tirade.
Sur cette double trame, Vladimir Poutine trace sa route. En fait, l’affaire s’impose à lui comme une contrainte qu’il veut transformer en opportunité. Se nourrissant de cette «com» originale, il élague les aspérités de sa politique en Afrique centrale, parfois bruyante par ses controverses. En tout cas, cela permet au maître du Kremlin de perpétuer le marketing de «sa» Russie, toujours prête à écouter l’Afrique centrale, de consolider sa première ligne et entretenir l’idée qu’il garde la main et de fournir des éléments de langage aux faiseurs d’opinion. S’agit-il d’un impérialisme camouflé sous des décors bienveillants? Les mêmes réponses (qui ne règlent rien) reviennent avec régularité. En tout cas, elles n’enrayent en rien la progression de Moscou en Afrique centrale. Et s’il faut instruire le procès de la bienveillance russe dans la sous-région, il faut bien s’attendre à ce qu’aux arguments de l’accusation, succèdent ceux de la défense.
Jean-René Meva’a Amougou