Mépris envers les journalistes: comment ça fonctionne au Cameroun
Vous connaissez sans doute les noms des émissions de débat du dimanche sur les chaînes de télévision au Cameroun.
Aujourd’hui, on ne va pas procéder au zapping des émissions au cours desquelles, des invités, à court de mots, s’en prennent aux autres. On ne va pas, non plus exiger à ceux qui officient aux fourneaux des talk-shows de promouvoir uniquement la carte de leurs restaurants. On ne va pas leur rappeler que, parmi ceux qu’ils invitent dans leurs cuisines, il peut y avoir des gens qui ont des allergies ou qui n’aiment pas les sauces pimentées. On ne va pas non plus leur rappeler que si, par exemple, un invité est trop bruyant, cela va créer un malaise à table. Évidemment, avant de déterminer un plat, il faut se renseigner sur les convives, disent ceux qui connaissent ces choses-là.
Pour notre part, intéressons-nous à ces moments de débats télévisés pendant lesquels des présentateurs subissent, de la part des invités, des coups de gueule au style direct. Parmi les images les plus frappantes: l’émission «Club d’élites» du 17 septembre 2023. Diffusé en direct sur la chaîne de télévision privée Vision 4, le programme a vu l’un des invités se lancer dans une véritable raclure de fond de bidet. Séquence ubuesque: le présentateur a été frontalement insulté. Après un recul, l’on se rend bien compte que cet esclandre (qui entre temps, a ému le CNC, Conseil national de la communication) est intelligible en dehors de son contexte. De plus en plus, au Cameroun, des invités sur les plateaux de débat s’interdisent de respecter la dignité des journalistes. Abrupts, ils cherchent à les blesser. En tant qu’auditeur ou téléspectateur, chacun d’entre nous a pu expérimenter que des journalistes sont victimes de violences verbales et de suspicions. Ils souffrent d’un degré particulièrement élevé de mépris. Il y a trois raisons à cela. Premièrement, ces gens qui insultent des journalistes se disent que l’action de ces derniers dans le corps social est faible; alors la nuance, la mesure, l’équilibre, la tolérance sont-ils devenus aux yeux de la plupart, des mots obscènes. Deuxièmement, ceux qui dévalorisent les journalistes sur les plateaux s’ancrent sur leur fantasmatique don de tout savoir sur le métier. Troisièmement, plus il y a de journalistes, moins il y a de journalisme. Car la multiplication des médias et l’explosion des nouvelles technologies aboutissent à faire du journaliste un mendiant. Et lorsque vous vous conformez à cette scénographie, votre posture de journaliste s’exclut alors d’elle-même de la sphère des hommes et femmes respectables et respectés. Et ce n’est pas un hasard si quelques journalistes se sont transformés en porte-plumes au service des dignitaires du pays.
Victimes de cette banalisation, les journalistes au Cameroun sont parfois obligés de perpétuer la tradition de déférence à l’égard de tous ceux qui occupent une haute place au sein de la société. À ce sujet, l’expérience montre qu’un questionnement pointu, insistant, est considéré comme agressif, et se retourne contre «l’agresseur», blâmé non sur le fond mais sur la forme. Et pour éviter cela, comment opère le journaliste ? Porté par le fait social qu’il a déclenché, un dignitaire se voit gratifié d’une brève interview (entre 10 et 20 secondes au maximum) diffusée à un moment d’assez faible écoute. Si le sujet prend un peu, le média va alors surfer sur le débat lancé en programmant une émission de débat où l’on invitera un vrai-faux expert ou un commentateur-polémiste jugé apte à déblatérer à tout moment de la journée sur tous les sujets de la terre sans en connaître un précisément. Et pour enrichir ce savant échange, on ajoutera éventuellement un ou deux individus qui chantent le refrain dominant à l’envers, avec en bonus, une passe d’armes plus que musclée, dans une ambiance globale de cacophonie. Entre temps, quand ils le veulent bien, les pouvoirs publics ne se donnent aucun mal à désigner des pipis de chat sous la formule d’»aide publique à la presse privée».
Jean-René Meva’a Amougou