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La farce de l’âge

Tricher, mentir, tromper, gruger, pomper, frauder, maquiller, falsifier, dissimuler, truquer, abuser, berner, baratiner… Voyons si l’âge des Camerounais peut trouver sa place à côté de ces verbes. Déclenchée la semaine dernière par une association sportive, un scandale est venu prendre à revers les discours convenus sur les valeurs et l’éthique professés par les acteurs de tous les échelons. Ce scandale nous apprend que tout corps de propos lénifiants et chargés de vertu dessine en creux les contours d’un ensemble de pratiques inavouables. Et grâce à ce scandale, on peut aujourd’hui (utilement) formuler l’ontologie de la triche sur l’âge au Cameroun: une intention, un mode opératoire, une volonté de dissimulation. En dépouillant diverses fraudes sur l’âge des sportifs, des fonctionnaires, des candidats à l’exil, des postulants aux concours et examens officiels du paravent de silence qui semblait les couvrir jusque-là, on découvre un phénomène dénié mais dont nous vivons aujourd’hui, avec éclat, un retour du refoulé. En même temps, on découvre un espace non négligeable offert au «jeu», au point où, il est désormais très peu aisé de poser un chiffrage précis du phénomène. De fait, cet existant embarrasse souvent ceux qui prétendent l’analyser. En témoigne l’usage contradictoire de notions opposées auxquelles recourent nombre d’analystes, et non des moindres, pour rendre compte de cette réalité.

En tout cas, cela amène au constat paradoxal que le poids de la triche sur l’âge au Cameroun est proportionnel à sa réprobation. En effet, l’observation de terrain met à jour des réseaux d’actants. Du coup, les uns et les autres se regardent en mettant à jour les parties honteuses mais pourtant vitales d’une pratique dominante dans les établissements scolaires, les centres d’état-civil, les commissariats de police, les ministères… Partout, certaines affaires peuvent faire un bon titre de polar. Partout, de petites histoires bien troussées dressent, chaque jour, un panorama réaliste de la fraude sur l’âge et en illustrent les différentes facettes. Faux parents, faux conjoints, faux titulaires de parchemins ou de documents de voyage…Tel est le profil de ceux qui, habiles dans leur aptitude à détourner les procédures, à réclamer un droit qui ne leur est pas dû, se présentent aux frontières, dans nos palais de justice, nos centres d’état-civil. Alors, il est fréquent d’entendre parler de «l’âge de Kumba» dans le débat public. Les fondements historiques qui président à la pérennisation de cette expression reposent sur le fait que ceux qui ont triché sur leurs âges ont bénéficié d’un avantage: la mise en retraite tardive notamment.

On prétend lutter contre la triche sur l’âge…Est-ce possible dans un pays où la problématique de l’identité fait aujourd’hui recette? Parmi les grands débats qui agitent ce pays, celui relatif à la sécurisation de l’identité des citoyens se spécifie dans une problématique vicieuse. Or, tous le savent: Pour éviter la fraude sur l’âge et non l’éliminer, les opérations doivent être simples, visibles de tous, à tout moment. Compliquer les procédures entraîne la confusion, la fatigue, l’énervement et l’erreur qui peut être qualifiée de fraude par l’observateur le mieux intentionné.

Jean-René Meva’a Amougou

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