Financement de la lutte contre le paludisme : le Cameroun en deçà du seuil recommandé
Malgré les engagements du gouvernement à consacrer 15% de son budget à la santé, la part réservée à ce secteur reste loin du quota requis.

La question des financements a figuré aux premières loges des sujets débattus à Yaoundé du 4 au 6 mars 2024. Et pour cause, la lutte contre le paludisme dans les pays affectés par le paludisme se bute au sous-financement. à l’échelle mondiale, en 2022, il a représenté «au total 4,1 milliards de dollars américains -soit un peu plus de la moitié du budget nécessaire- étaient disponibles», renseigne le communiqué final des travaux.
Le Cameroun ne déroge pas à la règle. «La majorité des programmes dans les pays, y compris au Cameroun, ne bénéficient que de la moitié des finances nécessaires pour mettre en œuvre les interventions de lutte contre le paludisme», déclare le Dr Phanuel Habimana, représentant-résident de l’OMS au Cameroun. Et pour éclairer l’opinion sur ce fait, les chiffres mondiaux évoqués au cours des échanges font état de 4,1 milliards de dollars «jugés insuffisants», face à un nombre propension de la maladie à 249 millions de personnes.
Ce constat est dressé à l’occasion du sommet de l’OMS en terre camerounaise, alors que l’État du Cameroun est engagé depuis avril 2001 à affecter au moins 15% du budget national annuel au renforcement du secteur de la santé. Et même si la part échue au ministère de la Santé ne cesse de croître au fil des ans (passant de 228 719 milliards FCFA à 255 281 milliards FCFA), le pays reste encore en deçà des recommandations d’Abuja avec un pourcentage d’environ 13%. Le pays doit en plus faire face à divers obstacles pour pouvoir annihiler la maladie de malaria sur son territoire. Le ministre Manaouda Malachie énonce pêle-mêle: la non-priorisation de la santé dans les stratégies nationales, l’absence de rationalisation des interventions des différents acteurs ainsi que les conflits et leurs éventails de besoins financiers. Fort de ces déficits le membre du gouvernement et ses homologues africains prennent engagement d’«augmenter les ressources nationales que nous consacrons à la lutte contre le paludisme et, par un plaidoyer à l’endroit de nos assemblées législatives et de nos ministères des Finances, à œuvrer pour combler les déficits financiers», résume la déclaration publiée au terme des échanges. Un appel est dans la foulée lancé en direction des partenaires internationaux, de qui il est attendu une augmentation de financements.
Clin d’œil aux PME
L’une des stratégies arrêtées à Yaoundé dans le cadre de la lutte contre le paludisme en Afrique est d’impliquer le secteur privé, en particulier les Petites et moyennes entreprises (PME). Des actions de sensibilisation sont envisagées en faveur des promoteurs d’entreprises. Il s’agit de leur présenter la plus-value qu’ils pourraient avoir en finançant la santé. Pour le ministre de la santé Manaouda Malachie, l’équation est simple: «avoir un enfant souffrant de paludisme implique qu’il manquera des cours. Et donc c’est un manque à gagner pour le parent qui, non seulement paye des cours pour cet enfant, mais est également obligé de manquer son travail pour être à son chevet, ce qui joue sur l’économie du pays», a-t-il expliqué. Il est rattrapé dans cet élan par la directrice Afrique de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Pour Matsidiso Moeti, chaque mineur victime de paludisme représente: «une perte de notre capital humain».
L’occasion est donc donnée de présenter les avantages de la lutte contre le paludisme, l’impact sur l’économie et sur le business. Et cela devrait en réalité apporter l’adhésion du secteur privé et des PME afin qu’ils puissent investir dans cette lutte. Cependant, tous les intervenants sont d’accord, ce déploiement nécessite de la cohérence. Et il faut que les actions mises sur pied pour cette stratégie soient bien illustrées. «Il s’agit pour nous d’impliquer les communautés, la société civile, les travailleurs de la santé et toutes les parties prenantes, agir de toute urgence», déclare Matshidiso Moeti. Toutes choses qui, menées avec efficience, devraient permettre de capter un large éventail de financements et d’investissements.
Louise Nsana et Joëlle Effa
Maître-mot et maître des mots
Le paludisme. La malaria. On a le souvenir que chez nous, on l’appelle «palu». Des colloques et des livres évoquent de façon récurrente la question de sa complexité. Autour de cette pathologie, des chercheurs de toutes disciplines travaillent. Année après année, ils proposent des pistes pour parvenir à une stratégie de lutte efficace qui ferait baisser de façon notable les indicateurs de santé, taux de morbidité, taux de mortalité. De nombreuses stratégies ont été proposées, du traitement présomptif des fièvres à l’utilisation des moustiquaires imprégnées en passant par la lutte antivectorielle. Alors que le palu devient une expérience universelle, le besoin de mieux connaître ce vieil ennemi et ses traitements est plus fort que jamais. Dernière trouvaille: le vaccin. Son emploi encouragé surprend pourtant. Signifie-t-il que rien n’a changé? Que les acteurs professionnels radotent? Qu’ils buttent sur autre chose et pourquoi?
Du 4 au 6 mars 2024 à Yaoundé, lors de la Conférence ministérielle sur le paludisme, des experts ont réfléchi sur ces questions. Maître-mot des assises: «Personne ne doit mourir du paludisme». Évidemment, personne n’est contre cela. Tout le monde proclame la lutte comme le maître des mots. Comme souvent à l’issue d’une conférence internationale sur le «palu», la même question se pose: que retenir? Quelles informations garder? Celles aux allures de miracle ou bien celles qui pointent des impasses? Le présent zoom tente d’en faire le tri.
Louise Nsana
Antipaludiques made in Africa
L’exemple du Covid-19 comme boussole
À l’issue de trois journées de réflexions à Yaoundé, les parties ont convenu de la nécessité d’intensifier la fabrication des produits de santé locaux.
La pandémie de coronavirus a le mérite d’avoir mis en évidence la nécessité de fonder une industrie pharmaceutique dans les pays africains. Elle a en effet mis en exergue l’incapacité des États à fabriquer et mettre à la disposition des populations, les médicaments et les équipements sanitaires. L’objectif de cette pensée née au plus fort de la crise sanitaire de 2020 est de réduire les vulnérabilités de l’Afrique en matière d’accès aux médicaments, aux vaccins ainsi qu’aux technologies de santé. Fort de cette ambition, bon nombre de pays à l’instar du Cameroun se sont lancés dans la fabrication de leurs propres produits. C’est ainsi que cinq millions de chloroquine et deux millions et demi d’azithromycine ont été fabriqués dans le pays, selon une annonce du ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation, Madeleine Tchuinte.
Le principe des produits sanitaires made in Africa est au centre d‘une résolution adoubée depuis mai 2021 par une centaine d’États. «La stimulation de la production locale permettra de sauver des vies, d’améliorer la santé publique et de renforcer les économies africaines, notamment en soutenant les emplois locaux. Elle devrait également déclencher le partage des technologies cruciales», affirmait en 2021 Biru Abate Halallo, attaché de santé à la Mission permanente de l’Éthiopie auprès des Nations unies, à l’origine de cette résolution. Dans la capitale camerounaise, entre le 4 et le 6 mars, les ministres de la Santé veulent capitaliser cette expérience dans les efforts de lutte contre le paludisme. La recherche et l’innovation occupent de ce fait une place de choix parmi les résolutions prises. Les autres engagements portent sur le renforcement des infrastructures et en personnels de santé; le renforcement de la collaboration intersectorielle et des partenariats pour le financement.
Leur position fait écho à une série de mesures instituées au niveau de l’Union africaine depuis 2007 pour relever les marges de marché des produits pharmaceutiques made In Africa. Lesquelles se situent actuellement à 3% contre 80% des importations.
Premiers pas
Les efforts de l’Afrique en vue de la fabrication des produits médicaux locaux se sont par ailleurs intensifiés, laissant voir l’étendue des compétences dont dispose le continent. Cela est d’autant plus visible que des chercheurs africains (dont la Camerounaise Pr Rose Leke) sont à l’origine du vaccin antipaludique RTS-S administré dans plus de neuf pays. Un deuxième vaccin mis au point au Burkina Faso vient de recevoir la reconnaissance de l’OMS. Il affiche une efficacité de 67% après trois années de suivi.
Louise Nsana