INTÉGRATION CONTINENTALEUncategorized

Extrême-Nord: un ailleurs et des aïeux

Dans certaines localités de la région, malgré l’usure du temps, il existe toujours une sorte de loyauté mystique vis-à-vis des ancêtres.

Kululu: la grotte aux eaux sacrées

A Lalawaï, sur l’axe Maroua-Mora, il y a le «kululu», la pierre sacrée en langue locale. Sur le flanc de cet énorme rocher aux formes insolites, on peut lire en arabe l’inscription sybilline «’atfali, ‘ana huna» (Mes enfants, je suis là). ««Cette inscription est un mystère», renseigne Ali Monguna, natif de Lalawaï. «Kululu est un site totalement mystérieux et inexplicable», note-t-il encore, en nous montrant une gravure représentant un gros lézard. Ce n’est pas tout. Sous le Kululu, l’eau coule en permanence. Djibril Mouhamadou explique: «Ce lieu est sacré; les esprits de nos aïeux règnent ici. Ce sont eux qui ont créé une rivière souterraine d’eau salée dans le fond et douce en surface. En fait, cette eau qui coule ici n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres». D’après ce patriarche, c’est grâce à cette composition spécifique que ces gouffres mystérieux affichent des eaux aux couleurs captivantes et qu’ils bénéficient d’une faune et d’une flore particulières. Ici et là, des randonneurs ont immortalisé leur passage en inscrivant leurs initiales sur les inscriptions rupestres, ce qui «fait mal au cœur», confie Djibril Mouhamadou.

Quoi qu’il en soit, les habitants de Lalawaï vénèrent le site depuis des dizaines de milliers d’années et celui-ci revêt à leurs yeux une énorme importance spirituelle et culturelle. A écouter les uns et les autres, l’accent est mis sur la capacité du Kululu à intervenir dans les événements réels, à prévenir un danger imminent ou à conjurer une grave menace pesant sur la es communauté locale. Celle-ci, unanimement atteste des miracles liés à kululu. «L’eau d’ici fournie par nos aïeux vous libère au tribunal, efface n’importe quelle sentence, n’importe quelle condamnation pour n’importe quel délit, du plus petit au plus atroce. Quand quelqu’un est gravement malade, on lui fait une calebasse d’eau de Kululu; il se rétablit au bout d’une semaine maximum», témoigne Hassan Djibo. «Quand les oiseaux tournoient au- dessus de Kululu, c’est qu’un deuil va survenir», appuie Soumana Hamidou. «L’eau de Kululu a souvent soigné, directement et indirectement, de nombreux cas graves», signale Hama Seyni. Il ajoute qu’en ingurgitant seulement une calebasse d’eau de Kululu, des enfants kleptomanes ont pu retrouver leur stabilité mentale.

Ce 6 juin 2023, des rites spéciaux sont pratiqués autour du rocher. Il s’agit d’une procession impliquant l’immolation d’un veau. L’affaire est menée par des hommes qui sont spécialement choisis. Selon Djibril Mouhamadou l’immolation a une composante utilitaire très nette. «Elle permet, avant le second semestre de chaque année, d’obtenir auprès de nos aïeux, pardon, aide et protection.

A Kourgui
Nous sommes sur la route Mora-Kolofata, dans le Mayo-Sava. Ici, une croyance tient les esprits. Professeur de philosophie et natif du coin, écoutons Inoussa Yaou au sujet de la création du monde, telle que l’ont enseignée les aïeux de Kourgui: «Nous savons qu’il y avait au commencement le grand serpent, dont sept mille anneaux s’enfonçaient dans la terre pour empêcher qu’il ne tombe dans les abysses de la mer. Le temps vint où le serpent se mit à bouger, déployant son corps onduleux en une immense spirale qui enveloppa lentement l’univers. Dans les cieux, il fit apparaître les étoiles; sur terre, il enfanta la création, serpentant le long des pentes en creusant le lit des fleuves qui furent les veines dans lesquelles coulait l’essence de toute vie. Dans une chaleur suffocante, il forgea les métaux. Puis, remontant au ciel, il lança sur la terre la foudre dont sont issues les pierres sacrées. Enfin, il demeura étendu sur la route du soleil, dont il participe. L’intérieur de sa peau couverte d’écailles, le Serpent a conservé l’éternel printemps de la vie, et depuis le zénith il répand les eaux qui, en coulant dans les rivières, nourrissant les hommes. Lorsque l’eau est tombée sur la terre, elle a fait naître l’arc-en-ciel, dont le serpent a fait sa femme. Leur amour les a entrelacés en une hélice cosmique formant une voûte à travers les cieux. Un jour vint où leur union donna naissance à l’esprit qui anime le sang. La femme apprit à transformer en lait cette substance divine, de même que l’homme à en faire sa semence. Le serpent et l’arc-en-ciel ont enseigné aux femmes à s’en souvenir une fois par mois, et aux hommes comment faire gonfler leur ventre pour qu’elles mettent au monde une nouvelle vie».

A Noultourgaye
Dans ce village situé sur l’axe Maroua-Yagoua, Tout événement ou situation dispose d’une réponse cultuelle. À des degrés divers, ici, de nombreuses explications tournent autour des aïeux et forces invisibles. «Si nous demandons pourquoi l’orage a fait tomber un arbre qui a tué un passant, l’homme de science répondra que le tronc était pourri et la vitesse du vent plus grande que d’ordinaire. Mais si nous le pressons d’expliquer pourquoi cela s’est produit à l’instant où passait ce piéton, nous entendrons certainement des mots tels que malchance ou destin; termes ne signifiant rien, mais laissant de façon commode le cas en suspens», s’épanche Djoursoug Mallam. Ce vieil homme qui reconnu ici comme oracle du lamido précise que «le monde est ordonné par des forces surnaturelles».Et pour le prouver, il parle des noms attribués aux enfants. «Il y en qui font l’effet d’un objet bizarre. Quand vous donnez à votre enfant un nom comme Kali, vous aurez un enfant qui ne respecte aucune consigne, qui se lève la nuit, multiplie les sottises les plus dangereuses, qui injurie tout le monde si on s’oppose à lui, qui vole de l’argent ou des friandises à la maison, à l’école, dans les magasins, qui ne cesse d’avoir des attitudes provocatrices et injurieuses avec des voisins. C’est que nos aïeux n’aiment pas les noms bizarres».

Pour nous instruire encore sur les croyances en vigueur ici à Noultourgaye, Djoursoug Mallam postule que l’homme qui a une surface sociale et spirituelle, une puissance, un honneur, un mana, s’oblige à faire des dons; ces dons doivent être obligatoirement acceptés par le donataire; ce dernier s’oblige à un contre-don. «Nos aïeux nous ont enseigné qu’on n’a pas le droit de refuser un don; agir ainsi c’est manifester qu’on craint d’avoir à rendre, c’est craindre d’être aplati tant qu’on n’a pas rendu. En réalité, c’est être aplati déjà. C’est perdre le poids de son nom. L’obligation de rendre dignement est impérative. On perd la face à jamais si on ne rend pas, ou si on ne détruit pas les valeurs équivalentes», démontre Djoursoug Mallam.

Jean-René Meva’a Amougou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *