Diversification économique en Afrique centrale : Le système éducatif n’est pas à la hauteur!
La ressource humaine devant construire les chantiers de la transformation structurelle dans les pays de l’Afrique centrale ne dispose pas des compétences nécessaires, faute à l’inadaptation des curricula de formation.

Le système de formation est, lui aussi, coupable du retard d’industrialisation et de diversification des économies de l’Afrique centrale. Cette insuffisance dans l’industrialisation et la diversification économique fonde la vulnérabilité des pays de l’Afrique centrale aux chocs exogènes. Le dernier étant la crise sanitaire liée à la pandémie mondiale du coronavirus.
Pour être plus précis, le problème du système de formation est l’inadéquation des curricula de formation avec les besoins des industries (là où il en existe). Les ressources humaines formées ne correspondent pas au besoin de l’industrie qui doit construire les chantiers et infrastructures de la transformation structurelle. Voilà pourquoi on parle de diplômés et non de qualifiés.
Ce message est porté par la Commission économique des Nations unies. Les 11 et 12 novembre 2020, elle réunit les experts et les hauts fonctionnaires des pays de son portefeuille Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale, RCA, São Tomé et Príncipe, Tchad). Le thème de cette 36e session du Comité intergouvernemental des hauts fonctionnaires et experts de la CEA est «Bâtir les compétences pour la diversification économique en Afrique centrale».
Diagnostic
Le problème de l’insuffisance des compétences en Afrique centrale se pose en trois dimensions: la première est quantitative, tandis que la deuxième et la troisième sont qualitatives.
La première concerne la baisse du nombre des apprenants. Au niveau de l’éducation de base, les pays d’Afrique centrale ont réalisé des scores élevés avec la gratuité de l’école, grâce aux politiques publiques d’éducation pour tous. Mais une fois qu’on passe du primaire au secondaire, la baisse du nombre des apprenants devient vertigineuse.
Elle s’accentue encore quand on passe du secondaire au supérieur. Pire, l’enseignement professionnel et technique est quasiment déserté. D’où le défi de l’accès. La deuxième dimension du problème est l’insuffisante inclusivité. Certaines couches de la population: filles, handicapés… ont des scores de décrochage important du système de formation dans la région, malgré des politiques ciblées.
La troisième dimension fait référence au désintérêt ou à la taille insuffisante des apprenants qui s’orientent vers les domaines précis de formation et de qualification aux métiers de l’industrialisation et de la diversification économique. Il s’agit de l’ingénierie, des sciences, des technologies et des mathématiques.
Pour la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), cette situation est au cœur de l’inadéquation entre les ressources humaines sur le marché et les ressources humaines dont a besoin l’industrie. Elle se traduit ainsi par un fait: beaucoup de pays d’Afrique centrale sont importateurs d’expertise. Nos barrages hydroélectriques, nos autoroutes, routes et servitudes, nos bâtiments et building, nos stades de football et édifices sportifs et nos éclairages publics sont construits par une main-d’œuvre étrangère, parfois (dans l’immense majorité) avec des capitaux étrangers.
Zacharie Roger Mbarga
Formation technique et professionnelle
Impliquer le secteur privé: l’urgence
L’inadéquation entre les curricula de formation (ressources humaines formées) et les besoins techniques (ressources humaines qualifiées) dont les entreprises ont besoin s’explique par le cloisonnement entre le monde académique classique, professionnel et technique, et le secteur industriel, les opérateurs économiques, le secteur privé.
La CEA invite les institutions de formation et le secteur privé à dialoguer pour améliorer la transmission des connaissances. Ceci se fait à travers deux mécanismes: l’adaptation des curricula de formation dans les institutions d’enseignement technique et professionnel d’une part, mais surtout la formation d’usine, c’est-à-dire le mix emploi-formation dans les entreprises. Dans cette deuxième formule, les entreprises offrent des cadres de formation et de renforcement des capacités de leurs employés sur le terrain en usine.
Au-delà de l’enjeu de formation critique des compétences dont l’Afrique centrale a besoin, cette formule permet également de stopper l’importation extracontinentale de l’expertise. Une option économique qui est aussi responsable de la saignée des devises et l’exposition de la zone monétaire aux mesures d’ajustement de la parité fixe. Ainsi, pour Jean Luc Mastaki, économiste au bureau Afrique centrale de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) «ce n’est plus l’école seule qui forme; l’entreprise aussi forme. Le lien entre l’entreprise et l’école renforce le système de formation. Nous pensons que les ZES devront donc jouer ce rôle. Ces zones doivent cesser d’importer l’expertise, mais doivent en former».
Success stories
Deux illustrations en termes de bonne pratique s’offrent à la sous-région: la Learning Factory, située dans le Raufoss Industrial Park en Norvège, et l’initiative de l’Oslo Metropolitan University, qui met en partenariat la formation technique et les PME sur les innovations technologiques
En Afrique centrale, la réussite de cette mutation nécessite des canaux de transmission efficaces. Les zones économiques spéciales (ZES) apparaissent comme plus pertinentes. Elles se présentent comme des outils d’industrialisation et de diversification économique. Mais encore, ce sont des tuyaux de développement des compétences très féconds. Au sein des ZES, les industries et les instituts de formation ont la possibilité d’assurer un continuum entre enseignements théoriques et pratiques et la réalité du terrain en entreprise.
Financement
Le système de financement ne devra plus dépendre essentiellement des budgets de l’État qui sont maigres et volatiles (en référence aux chocs exogènes tels que les chocs pétroliers, les décotes des cours des matières premières, Covid-19, etc.). «Tant qu’on ne réfléchira pas sur les mécanismes innovants, stables et suffisants de financement des systèmes de formation, nous allons tourner en rond. Il faut donc ouvrir ces systèmes aux financements privés, à travers des partenariats publics-privés; à travers des approches intelligentes qui amènent les institutions de formation et de recherche à se liguer avec le secteur privé, avec l’industrie, pour promouvoir de nouveaux produits et avancer», plaide Jean Luc Mastaki.
Transmission des compétences
Le rôle de la famille et des parents
Pour la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), le développement des compétences est aligné sur le long du cycle de la vie. L’acquisition des compétences s’étale de la prime enfance jusqu’à la fin de la vie d’un individu. Ainsi, la famille, et principalement les parents, doivent être pleinement intégrés dans la chaine des acteurs du processus de développement de compétences.
À partir de ce moment, on devrait d’abord penser «capital humain». «Le capital humain est différent du développement des compétences. Il s’agit ici de la santé, de l’éducation, de l’alimentation. Il est prouvé aujourd’hui empiriquement que les enfants qui apprennent le mieux sont ceux qui viennent d’un environnement où la bonne nutrition est assurée, où la santé publique est garantie.
Il faut donc intégrer la problématique du développement des compétences dans un cadre beaucoup plus vaste de politique de développement humain et social. Dès l’enfance, il faut accompagner les jeunes pour que nous ayons des citoyens robustes capables d’apprendre. Car l’apprentissage dépend du développement des capacités cognitives qui elles-mêmes dépendent de l’alimentation et de la santé d’un individu. Il faut donc intégrer toutes ces mesures», suggère Jean Luc Mastaki, économiste au bureau Afrique centrale de la CEA.
Société
Le rôle des parents est aussi celui de la société en définitive. Toutes les familles ne jouissent pas du même niveau de revenu. L’indice de développement dans le monde 2017 de la Banque mondiale et le rapport Africa dynamics 2018 de l’Union africaine sont claires: en Afrique centrale, la pauvreté et les inégalités sont très élevées. D’où l’interpellation de Jean Luc Mastaki: «au niveau des parents, évidemment, certains mécanismes sont liés au niveau de pauvreté des familles.
La santé, la nutrition dépendent du niveau de revenus de la famille. Il faut donc des politiques assez holistiques et intégrées, qui permettent de répondre à ces défis. Voilà pourquoi, au-delà de tout ce que nous disons au niveau des recommandations politiques, c’est aussi la sensibilisation, la prise de conscience au niveau micro pour les familles, au niveau sectoriel de production, au niveau macro national, du rôle du développement des compétences et de leur nature transversale tout au long du cycle de la vie. Ce qui appelle un investissement à chaque niveau».
L’économiste de la CEA conclut: «c’est un partenariat social finalement. Aujourd’hui, on parle de la société des talents, la société des compétences. Il faut donc un partenariat social. Nécessairement, au-delà de la famille, tout le monde devrait reconnaitre l’importance des compétences pour la croissance, le développement, le bienêtre. Que tout le monde s’engage: les parents, les instituteurs, les employeurs… Afin que tous, nous investissions pour développer la communauté des compétences».
‘’Il faut renforcer ce dialogue entre l’industrie et les institutions de formation’’
Ce n’est plus l’école seule qui forme; l’entreprise aussi forme. Le lien entre l’entreprise et l’école renforce le système de formation. Nous pensons que les zones économiques spéciales devront jouer ce rôle . L’économiste au bureau sous-régional Afrique centrale de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) expose la contribution du déficit de compétences dans le retard de l’industrialisation et de la diversification des économies de l’Afrique centrale. Pour en sortir, il livre les canaux de transmission pour la maturation du capital humain susceptible de tirer la transformation productive dans la région.

Les répercussions de la crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus ont donné de l’emphase au plaidoyer de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. Au bureau sous-régional Afrique centrale de cette institution, vous dites qu’il faut une diversification économique tirée par l’industrialisation. Votre boussole sous-régionale, le consensus de Douala, Made in central Africa: du cercle vicieux au cercle vertueux adoptée en 2017, élabore amplement sur la question. Toutefois, la CEA estime que les pays ont besoin de compétences appropriées pour y arriver. En quels termes le problème se pose-t-il? En qualité ou en quantité?
Le problème des compétences est au cœur de toute transformation structurelle. Nous voulons promouvoir la transformation des structures des économies de l’Afrique centrale. Elles ne doivent plus dépendre des secteurs extractifs et agraires. Il faut passer à des niveaux plus sophistiqués: l’industrie et des services modernes.
Pour cela, il nous faut des bras et des cerveaux pour porter ces économies. Le capital humain et l’innovation sont au cœur de la croissance aujourd’hui. Pour innover, il faut des esprits, des individus bien formés. Lorsqu’on fait un diagnostic rapide de notre système de formation, qui comprend à la fois l’éducation de base (primaire), les enseignements secondaires, l’éducation supérieure, mais aussi l’enseignement technique et professionnel, tout de suite, on peut se rendre compte qu’il y a beaucoup de forces, mais aussi beaucoup de faiblesses.
Parmi les forces majeures, on a les grandes cohortes à la base. Avec la politique d’éducation pour tous, la plupart de nos pays ont atteint de grands scores en matière d’éducation primaire. Ce qui est déjà bien. Lorsqu’on passe de l’éducation primaire à l’éducation secondaire, on se rend compte que le taux d’enregistrement à l’école diminue. Et lorsqu’on passe encore à l’université ou globalement vers le supérieur, ça diminue plus fortement encore. Il se pose donc un problème d’accès à l’éducation.
Deuxième problème, l’inclusivité de l’éducation. Certaines catégories sont exclues, marginalisées. On souligne tout le temps l’éducation de la jeune fille. C’est parce qu’il y a problème. Bien qu’on ait fait des progrès là-dessus, l’accès des filles à l’éducation demeure un défi.
Troisième élément des plus importants, les domaines qui portent l’industrialisation c’est l’ingénierie, les sciences et les technologies. Lorsqu’on regarde la cartographie des institutions de formation chez nous, très peu vont dans ce domaine. Là où il y en a, une infime partie des étudiants seulement vont dans ce sens-là. Nous avons donc un problème: qui va porter l’industrialisation dont nous parlons aujourd’hui? Tout ceci se traduit finalement par l’inadéquation entre les ressources humaines sur le marché et les ressources humaines dont a besoin l’industrie. Vous avez créé une industrie pour la fabrication des médicaments ici, vous allez chercher des petits bras pour travailler dans cette industrie là, ce sera difficile. Ainsi, beaucoup de pays sont importateurs d’expertise. Nous disons qu’il faut renverser cette tendance. Il faut que la sous-région soit en mesure de former des ressources qui répondent au besoin des entreprises, et on ne peut pas les former s’il n’y a pas ce dialogue permanent entre l’industrie et le système de formation lui-même.
Tant qu’il n’y aura pas ce dialogue où on comprend la demande, parce que la demande vient de l’industrie; tant que l’industrie n’est pas intégrée dans le système de formation, nous allons toujours avoir cette inadéquation. Voilà pourquoi nous disons, il faut renforcer ce dialogue entre l’industrie et les institutions de formation. Deuxième élément, c’est la planification. On ne peut pas former des gens pertinents pour une communauté si on ne connait pas les besoins de cette communauté ainsi que les capacités de l’offre de formation qui est là. Nous disons qu’il faut renforcer la planification du développement de compétences. Ceci est possible à travers des enquêtes, des études quantitatives et qualitatives qui nous permettent de savoir: l’industrie agricole a besoin de quels types d’hommes et de combien? Mais aussi combien d’hommes les universités peuvent-elles nous produire? Pour qu’on sache comment, par la politique de développement des compétences, on peut équilibrer et aider les deux à se parler.
Troisièmement, le capital c’est le financement des systèmes de développement des compétences. Le système de financement dépendra-t-il essentiellement des budgets de l’État qui sont maigres et volatiles (en référence aux chocs exogènes tels que les chocs pétroliers, les décotes des cours des matières premières, Covid…)? Tant qu’on ne réfléchira pas sur les mécanismes innovants, stables et suffisants de financement des systèmes de formation, nous allons tourner en rond. Il faut donc ouvrir ces systèmes au financement privé à travers des partenariats publics privés; à travers des approches intelligentes qui amènent les institutions de formation et de recherche à se liguer avec le secteur privé et l’industrie pour promouvoir de nouveaux produits et avancer. En fin de compte, nous croyons que les zones économiques spéciales sont un cadre de jeu très bon pour porter ces innovations, ces partenariats publics-privés, pour porter ces partenariats inclusifs des systèmes de formation (demande-offre).
Vous le souligniez déjà plus haut, les zones économiques spéciales nationales et intégrées (transfrontalières) constituent une opportunité pour renforcer le développement des compétences. Cette recommandation rejoint celle de l’Union africaine dans son rapport Africa Dynamics 2019. Entre le Cameroun, le Gabon et la Guinée Équatoriale, il y a la zone des trois frontières qui devrait être transformée en zone économique transfrontalière. Celle-ci ne fait pourtant pas l’objet d’une attention particulière. Comment les ZES contribuent-elles au développement des compétences, et que peut apporter la zone des trois frontières?
Les zones économiques spéciales sont des enclaves économiques. Ce sont des zones géographiques bien délimitées au sein desquelles un ou plusieurs États s’engagent à créer un climat propice, un climat spécial aux affaires favorisant l’installation préférentielle des investisseurs. Ceci à l’effet de réaliser un certain nombre d’ambitions économiques: l’exportation pour les cas classiques, l’emploi, le développement et, de plus en plus, la transmission des compétences. Les ZES se caractérisent par ce qu’on appelle l’agglomération économique.
Il s’agit d’un noyau dense d’entreprises installées dans une zone bien délimitée, ce qui permet de rentabiliser certains investissements en infrastructure. Le regroupement entraine la réduction des coûts de certains investissements qui sont réduits et rentabilisés, notamment en matière d’aménagement pour la construction d’un réseau routier, d’un réseau électrique, d’un réseau hydraulique. Les transbordements au sein des entreprises permettent également que les savoirs et les innovations partent d’une entreprise à l’autre, de telle sorte qu’aujourd’hui, on parle des clusters d’innovation. Au demeurant, les entreprises installées deviennent des noyaux où naissent et se propagent de nouvelles idées. La mobilité de la main-d’œuvre fait en sorte que ces nouvelles idées vont d’une entreprise à une autre, et de ces entreprises vers l’économie locale. Voilà l’intérêt des zones économiques spéciales.
Ce n’est pas un nouveau concept, il a existé depuis longtemps. Il y a un certain nombre de failles reconnues aux anciennes générations: la première, les enclaves économiques, sans impact sur l’économie en générale. La seconde, les zones extraverties pour l’exportation. Elles exportaient des produits bruts. Aujourd’hui, il faut que les zones économiques rejaillissent sur l’économie et soient le cœur de la transformation et de la valorisation des matières premières. Ces zones doivent cesser d’importer l’expertise, mais doivent en former. Ce n’est plus l’école seule qui forme, l’entreprise aussi forme. Le lien entre l’entreprise et l’école renforce le système de formation. Nous pensons que les ZES devront donc jouer ce rôle.
Lorsqu’on regarde finalement la cartographie des ZES, on se rend compte qu’en Afrique centrale, il n’y en a pas qui sont transfrontalières. Il s’agit de petites zones à l’intérieur des pays qui, parfois, dans ce contexte de la Zlecaf, risquent de souffrir de cette faible intégration au niveau sous-régional. Il va falloir que nous créions les zones économiques transfrontalières. D’autres sous-régions l’ont fait. Entre le Zimbabwe et la Zambie, il y a une zone économique spéciale. De même, entre l’Afrique du Sud et le Swaziland, la Tanzanie et le Kenya, la Côte-d’Ivoire, le Burkina Faso et Mali.
L’avantage de ces zones c’est qu’elles permettent de cimenter l’intégration entre nos pays et de promouvoir les échanges intrarégionaux. Elles permettent aux pays qui ont des défis en termes de compétences de bénéficier de l’expérience de ceux qui sont mieux lotis. Cela demande qu’il y ait un cadre légal en place. Et là, nous faisons une fois de plus référence au développement industriel sous-régional. C’est lui qui définit le cadre, le terrain de jeu de ces innovations. Le cadre ne suffit pas, il faut également des pratiques d’échanges entre les entreprises de la sous-région. Nous devons commencer à penser que l’entrepreneur c’est aussi le chef d’entreprise qui est installé dans la sous-région. Et donc, les joint-ventures peuvent aussi se faire entre entreprises de la sous-région.
Comme autre apport des zones économiques spéciales transfrontalières, on a les chaines de valeurs sous-régionales. Nous militons ardemment pour cela. Un seul pays ne peut pas tout produire. Mais chacun peut se spécialiser à différent niveau. Alors que le Cameroun peut produire l’amidon, un autre pays peut produire les antibiotiques qui utilisent l’amidon, et ainsi de suite. Alors que le Cameroun peut produire la poudre de cobalt, d’autres peuvent avoir la technologie pour produire les batteries. Alors que le Cameroun peut produire du maïs, d’autres peuvent avoir des technologies pour aller vers des produits plus élaborés.
Mais que les matières premières de la sous-région soient consommées par d’autres industries dans la sous-région. C’est cela que nous appelons la chaine de valeur sous-régionale où les segments des chaines de transformation des produits sont localisées dans différents pays. Ce sont les ZES sous-régionales qui peuvent nous aider à porter ces innovations. Mais cela ne sera pas fonctionnel si la politique industrielle au niveau sous-régional n’est pas clairvoyante et visionnaire pour définir ce qu’on appelle amidon, semoule de blé ou poudre de cobalt dans la sous-région. Il faut harmoniser ces concepts afin que les déterminants techniques et matériels des produits soient les mêmes dans tous les pays.
Autre préoccupation, quels sont les mécanismes de financement mis en place au niveau sous-régional pour accompagner les entreprises à faire face à tous ces défis?
Enfin, la question de la mobilité des facteurs, puisqu’on est dans une zone économique sous-régionale. La libre circulation des personnes et principalement des travailleurs qualifiés. Est-ce que ce qu’on appelle un ingénieur électromécanicien en Centrafrique équivaut à ce qu’on appelle un ingénieur ici? C’est l’accréditation et la reconnaissance des compétences acquises. Il faut les certifier. Et c’est la politique industrielle au niveau sous-régional qui va harmoniser les curricula. Ainsi, on pourra dire dans tous les pays d’Afrique centrale, un emballage plastique, un technicien A2, c’est les mêmes contenus, les mêmes compétences. Cela demande que le cadre légal, règlementaire et politique soit bien fixé au niveau sous-régional.
La CEA a d’ores et déjà entrepris d’harmoniser les programmes ou plans industriels des deux Communautés: Cemac et CEEAC. Les Etats disposent chacun d’un plan d’industrialisation et même, pour certains, des stratégies de diversification économique. Comment comptez-vous réaliser le matching harmonisation des plans et stratégies d’industrialisation des CER et des plans nationaux? Autrement dit, par quel procédé l’harmonisation des plans d’industrialisation de la CEEAC et de la Cemac va-t-elle unifier les plans d’industrialisation des États?
Beaucoup de pays, à titre individuel, ont pris des initiatives pour développer leur plan de développement industriel. Mais à la CEA, nous disons industrialisation et diversification économique. Car il faut aller au-delà de l’industrie manufacturière et couvrir les services à l’effet de promouvoir la productivité de manière générale au sein des économies. La difficulté que nous souhaitons éviter est de perdre la cohérence globale en adoptant une approche dispersée et individuelle. Il y a des mouvements globaux au niveau de la sous-région, à l’instar de la zone de libre-échange continentale africaine, qui demandent qu’un certain nombre d’axes soient harmonisés.
C’est le rôle du plan de développement industriel au niveau sous-régional. Il définit le cadre, il fixe le jalon au sein duquel les pays peuvent se mouvoir. Je vais vous prendre un exemple. Lorsqu’on commence à transformer les produits et à leur donner la valeur ajoutée, ce qu’on appelle «amidon» en Afrique centrale doit être équivalent à ce qu’on appelle amidon au Cameroun, au Gabon, en Centrafrique, au Tchad, au Congo, etc. Les politiques nationales prises individuellement ne pourront pas répondre à des défis de ce type. Seul le niveau sous-régional le pourra. Il y a des infrastructures qui sont la base de l’industrialisation: transport, énergie, entre autres.
Elles vont, bien de fois, dépasser la taille de certaines économies prises individuellement. Il faut donc qu’on infuse l’industrialisation sous-régionale qui peut permettre de porter de grands enjeux comme ceux que je viens d’identifier. Nous avons des pays enclavés dans la région. Ceux qui n’ont pas de façade sur la mer. Leurs approvisionnements en produits industriels dépendent et dépendront des pays qui ont des accès côtiers. Pour cela, il faut un cadre d’harmonisation où on parle de ces éléments de métrologie: la fixation des normes industrielles. Ce qui dépasse le cadre national. Bien plus, il y a les externalités négatives de l’industrialisation transfrontalière qui ne dépendent pas d’un État. Les pollutions, les déchets qui demandent une approche régionale pour gérer l’impact des différentes mutations sur les biens globaux sous-régionaux.
Autre élément et pas des moindres, nous parlons des compétences. Une lecture des politiques d’industrialisation et de diversification économique dans la zone Cemac renseigne que 60% des pays ont les mêmes priorités: les produits forestiers (bois), l’agriculture, la pétrochimie et le pétrole… Ces secteurs sont transversaux. Si nous voulons atteindre la dimension critique, il faut aller vers des économies d’échelle. Certaines informations des ingénieurs vont demander que l’on se mette ensemble pour réaliser un réel processus de transformation. Idem pour les questions de financement.
Les zones économiques spéciales sont des cadres parfaits pour développer ce type de processus industriel. Nous, à la CEA, nous promouvons les zones économiques spéciales comme des cadres de développement industriel. Nous pensons que les États devront créer des conditions pour qu’il y ait un climat d’affaires propice dans ces zones pour permettre aux investisseurs de venir s’installer. La plupart des zones économiques spéciales sont des zones de petite taille. Nous voulons encourager les pays à créer des zones intégrées entre 2 et 3 pays. Les politiques industrielles nationales ne seront pas à mesure de gérer celles-là. Il faut porter ce débat au niveau élevé.
Nous sommes très fiers, car la Cemac et la CEEAC nous ont demandé de les accompagner dans l’alignement de ces approches pour que nous ayons une seule politique industrielle dans la sous-région. Cela permettra une seule vision harmonisée non seulement pour les États, mais aussi pour les Communautés économiques régionales.
Du fait des restrictions imposées par la lutte contre la pandémie du coronavirus, la 36e session du CIE se fera sous format visioconférence. Pour la CEA en Afrique centrale et les pays de son portefeuille, ce sera expérimental. Quand on prend la pleine mesure des questions sur la table, ne craignez-vous pas que la qualité des travaux et des résultats prenne un coup?
Dans le processus de préparation, nous avons organisé deux webinaires. Ils nous ont permis de tester notre plateau technique. Les tests nous rassurent que nous sommes en mesure de le faire et de le faire bien. Mais nous ne pouvons pas ignorer les défis qui sont liés à ces expériences.
Ce sont les premières expériences. Nous sommes en train de répondre à un choc, à une expérience inédite. Il peut y avoir quelques écueils. Au niveau de la CEA, nous avons pris des dispositions. Nous avons eu des phases d’entrainement. Elles nous ont permis de réajuster certaines questions logistiques. Nous pensons vivement que ça va bien se passer. Nous espérons surtout que ça nous permettra demain d’aller encore plus loin, en combinant les deux approches: le virtuel et le présentiel. Nous devons évoluer avec notre monde.
Interview réalisée par
Zacharie Roger Mbarga