Colloque international De Gaulle et Brazzaville une mémoire partagée entre la France, le Congo et l’Afrique : le verre à moitié plein

Le Drian (à gauche), Denis Sassou Nguesso (à droite) à l’entame du colloque

En présence des chefs d’Etat du Congo Démocratique, du Tchad, de la République Centrafricaine, des Premiers ministres gabonais et camerounais en représentation de leurs chefs d’Etat respectifs, de la secrétaire générale de l’organisation internationale de la Francophonie, du ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, du Président de la fondation Charles de Gaulle, du maire de Brazzaville, du corps diplomatique accrédité au Congo, des diverses autorités congolaises et des personnalités scientifiques congolaises et étrangères, à Brazzaville la capitale politique de la République du Congo, le Président congolais hôte, Denis Sassou Nguesso, a ouvert le 27 octobre 2020 le colloque international « De Gaulle et Brazzaville, une mémoire partagée entre la France, le Congo et l’Afrique ».

Alors que la population congolaise ne se sentait pas du tout concernée par cet événement, puisque beaucoup de Congolais trouvaient l’organisation de ce colloque inopportune, un véritable gâchis financier au moment où leur pays a besoin de fonds pour résoudre les problèmes liés à la crise sanitaire de la covid -19. Et de questionner la nécessité de ce colloque aujourd’hui pour le Congo, l’Afrique et la France ? Oui pourquoi c’est seulement 80 ans après, qu’il est devenu important de commémorer en grande pompe le Manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940 ? Quelle est la portée réelle de ces commémorations ? Que pourraient en tirer le Congo, l’Afrique et la France ?

Le colloque international de Brazzaville, en cette année 2020 décrétée année De Gaulle, une nécessité urgente pour la France.
Bien que relativement encore bien positionnée dans ses différents bastions du continent, la France critiquée de partout, est de plus en plus consciente qu’elle est en train de perdre la bataille de l’Afrique. Conçu et préparé en cette année De Gaulle comme une opération de charme en vue d’une exaltation exagérée du général Charles De Gaulle et de la France, le colloque de Brazzaville a été très rapidement rattrapé par le triste bilan négatif en Afrique subsaharienne de la politique française et de l’héritage funeste du général du 18 Juin 1940.

Certes, d’entrée de jeu, le Président de la fondation De Gaulle et le maire de Reims, ville jumelée à Brazzaville ont reconnu que la France Libre a été essentiellement africaine. « Sans l’Afrique, l’Appel du 18 Juin ne serait resté que l’éternelle supplique des peuples qui ne veulent pas mourir « , a lancé Arnaud Robinet, maire de Reims. L’appel du ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, Yves Le Drian, a montré toutes les limites actuelles de la diplomatie française, caractérisée par l’arrogance et le mépris des aspirations africaines.

Ignorant magistralement la réalité des prédations françaises vécues par nos populations depuis cette année 1940, Le Drian a osé inviter de nouveau l’Afrique à faire bloc avec la France, car « C’est ça aussi l’esprit du Manifeste de Brazzaville, la meilleure manière de faire bloc c’est de nous retrouver autour de ce modèle que des français et des africains, après le Manifeste du général De Gaulle, ont défendu ensemble depuis Brazzaville il y a 80 ans…une manière qui, hier, nous a permis de reprendre la maîtrise de nos destins et qui, aujourd’hui, nous permet si nous le voulons, de nous donner à nouveau un destin commun « .

La France a certes repris son destin en mains après la Deuxième Guerre Mondiale, mais elle a, avec le général De Gaulle, par tous les moyens, empêché les pays africains d’être maître du leur, en imposant à ces pays le même régime politique, économique et financier fasciste qu’elle avait, aux côtés des africains, combattu lors de l’occupation nazie de la France. Il suffit simplement de comparer ce qu’étaient la France et ces pays africains en 1940 et ce qu’ils sont devenus aujourd’hui.

Convaincu que les africains aiment les belles paroles et ne vivent que d’émotions, Yves Le Drian a plongé dans une phraséologie mielleuse : »Brazzaville, à mes yeux, mérite une place pleine et entière parmi les lieux de mémoires qui comptent pour la France. Car, s’il y a une ville d’Afrique où s’est joué le sort de mon pays, une ville d’Afrique à laquelle nous devrons continuer à écrire notre histoire contre l’adversité, c’est bien celle-ci. » Paroles, paroles, paroles pour Brazzaville et pour les africains. Lorsqu’il s’agissait de s’adresser à Londres et aux Britanniques, le Président Macron s’est déplacé lui-même avec une médaille dans la poche !

Le ministre français visiblement très agacé par les faits historiques mis à nus ces dernières années par les historiens honnêtes et contraint d’accepter la réécriture de l’histoire commune a ajouté : « Afin d’éviter que les histoires partielles continuent à faire le lit des histoires partiales ». Tel un voleur pris la main dans le sac qui cherche des coupables à ses propres souillures et turpitudes, la France officielle insiste dans le déni, au lieu de suivre les pas de sa société civile, en reconnaissant publiquement que la France Libre a été essentiellement africaine, et demander des excuses à l’Afrique pour avoir occulté ce pan de l’histoire.

À qui la faute aujourd’hui si les africains avec leurs propres moyens cherchent à reconstituer leur histoire que la France tient à camoufler ? Au Cameroun par exemple, pourtant territoire officiellement sous le mandat des Nations unies, mais administré en réalité avec une main de fer par la France, la plupart des principaux acteurs de la libération de la France et de l’Europe du fascisme allemand ont tous été exterminés dans les maquis par l’armée coloniale française, lorsqu’ils ont revendiqué l’indépendance de leur pays. Qui a réellement intérêt à ce que cette histoire commune ne soit jamais connue ? N’est-ce pas la France ?

L’Afrique insatisfaite par une France qui l’invite de nouveau à sa duperie de 1940.
Selon un dicton des Bassa’a du Cameroun, « on ne trompe pas un adulte deux fois avec le même mensonge « . Le Président Denis Sassou Nguesso a clairement demandé de « rétablir la réalité de l’épopée de la Seconde Guerre Mondiale avec ce que fut la contribution de l’Afrique ». On retiendra aussi de l’allocution du Président congolais la revendication d’une pleine reconnaissance du rôle de l’Afrique dans la libération du Monde du nazisme, et sa réclamation d’une participation africaine à la prise des décisions planétaires, avec droit de véto au Conseil de Sécurité des Nations unies. Quant au Président tchadien, Idriss Deby Itno, il espère voir ériger en France une stèle mémorielle à la hauteur de l’engagement des africains, « pour immortaliser cet acte exemplaire de solidarité humaine marqué du sceau de sacrifices immenses », car pour lui,  » il n’est pas concevable que l’image du soldat tchadien, centrafricain, congolais, camerounais ou gabonais soit effacé de la mémoire collective ».

Il faudrait le dire sans détour, l’importance de la France aujourd’hui, son rayonnement au niveau international et sa place au Conseil de Sécurité des Nations unies sont la conséquence directe de l’implication des soldats africains dans sa libération de l’invasion nazie. Il apparaît ainsi clairement aujourd’hui que quelque chose n’a pas marché pour notre continent après la décisive contribution des soldats africains dans la libération de la France et de l’Europe du fascisme allemand.

La France est rattrapée aujourd’hui par l’ingratitude de sa classe dirigeante depuis le général De Gaulle jusqu’à nos jours et par sa politique de prédation de l’après-guerre. Une politique qui est à l’origine du contentieux historique franco-africain, un litige susceptible d’être porté dans les instances juridiques internationales, à cause des exactions françaises en Afrique et de la volonté manifeste de la France de maintenir les États africains sous sa domination.

L’allocution sobre et fort intéressante du Premier ministre camerounais, qui pourtant aura manqué une opportunité souveraine de dire à l’Afrique, sa jeunesse et au monde entier que sans Douala, la généreuse du 27 août 1940, il n’y aurait certainement jamais eu le Manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940.

Daniel Yagnye TOM
Représentant spécial de l’Union des Populations

du Cameroun en Afrique Centrale et Australe.
Président de l’Alliance Patriotique.

Et l’après Brazzaville interpelle déjà

L’Alliance Patriotique a commémoré cette année le 27 août 1940 à Douala et à Yaoundé respectivement. Espérons qu’après ce colloque de Brazzaville, le gouvernement camerounais s’impliquera davantage aux côtés des autres gouvernants de la sous-région pour commémorer le 27 août 1940 en 2021. Bien entendu, il faudrait éviter le piège des rivalités africaines, qui profitent surtout aux prédateurs étrangers, car il est bien connu qu’ils vivent bien dans notre continent de nos divisions.

La réécriture de l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale est désormais un acquis et tout le monde comprend cette nécessité! Après de belles paroles, il appartient désormais aux pays africains de mettre à la disposition des chercheurs les moyens adéquats pour ce travail. Il n’est pas prudent, ni opportun, de laisser la responsabilité de la réécriture de cette histoire à la France.

Aux chercheurs africains, il revient le devoir de créer des synergies afin de relever le défi d’honorer les sacrifices des populations africaines lors de la Deuxième Guerre Mondiale. Comme partout ailleurs, il nous faudra connaitre le nombre de participants à la guerre pays par pays, les circonstances de la mort des soldats, tout comme l’effort de guerre des différents pays. Il serait extrêmement important d’évaluer le nombre de soldats ayant reçu les pensions et leurs montants de la France, ainsi que ceux qui n’ont rien reçu, etc. Un véritable défi pour nos chercheurs, mais une œuvre exaltante pour l’avenir de notre continent, car à partir d’elle, rien ne sera plus comme avant.

On s’attendait à plus à Brazzaville, toutefois le verre n’est pas vide. Il est à moitié à moitié plein. L’Afrique a gagné la réécriture de son héroïque participation dans la Seconde Guerre mondiale. Oui, le train est finalement sorti de la gare !!!

 

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