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Crise politique au Mali : Commentaires au passé recomposé à la Briqueterie

Dans la capitale camerounaise, des ressortissants de ce pays ouest-africain lisent le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et le discours de la junte militaire selon la logique d’un éternel recommencement.

 

Convivialité malienne en dépit des actualités douloureuses en provenance de Bamako.

IBK parti, Hass Diallo ne semble pas très emballé par l’émotion ce 19 aout 2020. Dans sa bicoque enfouie au quartier Briqueterie (Yaoundé II), ce citoyen malien évite un traitement lacrymal de la situation qui prévaut actuellement dans son pays. Pour lui, l’arrivée des militaires aux commandes ne résume aucun sens de changement. «C’est toujours pareil!», s’exclame-t-il au bout d’une série de longues phrases. Dans le fond de celles-ci transparait ce qui traine à fleur de cerveau de la plupart de ses compatriotes installés dans ce quartier de la capitale camerounaise. C’est que, pour beaucoup, les actualités que charrie Bamako ces derniers jours ressemblent à s’y méprendre à celles déjà vécues. «Depuis l’indépendance, signale Momar Youssoufa; c’est seulement la même chose». Derrière les mots de ce couturier émérite se cache le récit de plusieurs drames. Notre interlocuteur énumère des régimes qui, au fil des années, gavés de mensonges et de nombreuses pestilences politiques, se sont fracassés les uns après les autres. Il évoque aussi le phénomène d’incapacité du politique malien à régler les problèmes graves (terrorisme, chômage, maitrise de la frontière et obsession de certains à neutraliser le débat d’idées et de projet). «C’est ça le Mali!», ponctue Koufa Douentza, chef de la communauté malienne à la Briqueterie.

Esprit
Bien qu’ils insistent sur «le courage du peuple» par rapport à la chute d’IBK, les Maliens d’ici tentent également de déclencher un processus de réflexion singulier. C’est le cas de Moussa Mounkor. Légèrement désabusé, très critique par rapport à ses congénères, ce boucher à la soixantaine sonnée, décrit avec beaucoup d’autodérision la crise politique actuelle dans son pays. «Je ne sais pas si l’esprit de l’armée a changé, dit-il. Les militaires vont et reviennent, c’est leur habitude. Et puis, ils font semblant d’avoir pitié de nous avant de recommencer le désordre avec leurs amis civils et étrangers. Moi je suis un militaire qui ne change pas avec ma viande». Dans le phrasé de celui qui revendique le statut de «boucher le plus gentil de la Briqueterie», l’on lit des évènements de la même nature, reproduits dans la logique d’un éternel recommencement. «Inutile de réciter tout ça; c’est trop long», lance-t-il furtivement.

Déjà-vu
Au moins, il y a des leçons à tirer: «Ce qu’il se passe maintenant n’a certes pas le même retentissement, mais c’est néanmoins comparable à ce que le Mali a déjà vécu», évalue Tijani Laouta. Consultant dans une ONG internationale, cet après-midi, il est venu rendre visite à ses compatriotes de la Briqueterie. Selon lui, «tout correspond à un cycle sociopolitique fait d’interactions entre l’exécutif et les individus engagés puis désengagés selon des formes plus ou moins renouvelées de rejet et de négociation». Allusion faite à plusieurs épisodes: «En 1968, Modibo Keïta fut renversé par un coup d’État conduit par Moussa Traoré. 1991, celui-ci fut renversé à son tour par Amadou Toumani Touré. Après une période de transition, Alpha Oumar Konaré est venu en 1992. En 2002, le général Amadou Toumani Touré, qui avait pris sa retraite de l’armée pour se présenter, fut élu président de la République du Mali, et réélu en 2007. Le 22 mars 2012, Amadou Toumani Touré fut renversé par un putsch, mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo. Après une transition, Ibrahim Boubacar Keïta. C’est trop».

Jean-René Meva’a Amougou

Lu ailleurs

La solution démocratique promise par l’armée suscite des inquiétudes

 

Après l’arrestation et la démission forcée du président malien, les militaires putschistes ont appelé à une transition politique civile en vue de nouvelles élections générales. Mais la situation du pays suscite de nombreuses interrogations quant à la possibilité d’une issue démocratique rapide.

Première étape du plan de sortie de crise avancé par les militaires putschistes, une transition politique civile pour préparer des élections. Un appel qui s’adresse aux forces vives du pays que sont les mouvements syndicaux, les organisations humanitaires, les mouvements religieux ainsi que les partis politiques.

La coalition d’opposition du M5-RPF a d’ailleurs très vite répondu à l’appel, se félicitant du coup d’État militaire de la veille, estimant qu’il avait «parachevé» sa lutte pour obtenir le départ du président, disant prête à élaborer avec la junte une transition politique. La coalition «entreprendra toutes les initiatives» pour «l’élaboration d’une feuille de route dont le contenu sera convenu avec le CNSP et toutes les forces vives du pays».

Reste désormais à savoir si les soutiens du président éconduit pourront participer à cette transition.
Car pour le porte-parole des putschistes, l’intervention des militaires relevait de leur «responsabilité» alors que le pays s’enfonçait dans « le chaos, l’anarchie et l’insécurité », pointant du doigt la responsabilité du gouvernement. «Nous ne sommes pas férus de pouvoir », soulignait-il dans son allocution, affirmant agir pour le peuple.

Une affirmation rejetée en bloc par un membre de la majorité présidentielle d’Ibrahim Boubacar Keïta, interrogé par France 24 sous couvert d’anonymat : «Les militaires ont forcé le président à annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale pour éviter que ses prérogatives ne reviennent au président de l’Assemblée. Ils ont déclenché une crise constitutionnelle pour s’octroyer un pouvoir total. Nous condamnons le coup de force et demandons la restitution du pouvoir au président légitime», conclut-il, excluant toute négociation.

Elections ?
Cinq mois après la tenue des législatives, le Mali prendrait donc à nouveau le chemin des urnes. «Des élections générales crédibles» devront se tenir dans un « délai raisonnable», a affirmé le porte-parole des putschistes. Or cette annonce suscite l’inquiétude à plus d’un titre. Il faut dire qu’aucun budget n’a été prévu pour la tenue de telles élections au Mali qui, frappé par la crise du Covid-19 et le mouvement de contestation sociale, se trouve déjà dans une situation économique critique. Pour ne rien arranger, la CEDEAO a, de son côté, fermement condamné le coup d’État et annoncé mercredi le gel des échanges financiers entre ses 15 membres et le Mali. 

Autre sujet d’inquiétude, et non des moindres, la situation sécuritaire du pays, qui s’est considérablement dégradée au cours des dernières années. «Aujourd’hui au Mali, seule une petite partie de Bamako est vraiment protégée », déplore Alioune Tine, expert indépendant de l’ONU pour les droits de l’Homme au Mali, contacté par France 24. «L’insurrection a envahi la zone des trois frontières avec un phénomène nouveau : des attaques frontales contre les armées du Niger, du Mali et du Burkina Faso, souvent avec succès», poursuit-il. «Or l’armée est le dernier rempart face au jihadistes. Dans ce contexte, il semble très compliqué d’organiser un scrutin crédible».

Source : France 24

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