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Banane en Afrique: Salaire de base à 130 000 FCFA, une peau de banane pour les producteurs

Pour ces derniers, l’exigence de Fairtrade et de Rainforest Alliance est au-dessus de leurs capacités. Le délai fixé au 1er juillet 2022 pour la mise en œuvre de cette mesure, constitue aussi l’une des inquiétudes portées à l’attention du gouvernement camerounais

«Depuis deux semaines, nous avons entrepris de sensibiliser les gouvernements et d’obtenir leur soutien au regard des problèmes pressants que connaît notre filière, notamment ceux concernant le salaire décent». Cette déclaration de Joseph Owona Kono, président d’Afruibana, est faite le 30 juin dernier à l’issue d’une audience avec un membre du gouvernement camerounais. Elle constitue la preuve que la question du salaire décent était au cœur des préoccupations des représentants des producteurs et exportateurs de banane en séjour au Cameroun. «Cette notion qui semble nouvelle dans nos pays, est en réalité discutée depuis des années. Et les discussions se poursuivent d’ailleurs encore aujourd’hui», indique le leader d’association. Le problème que cela pose est que «dans le système dans lequel nous évoluons à l’exportation, il est imposé des niveaux de salaires qui nous semblent évoluer en marge de nos législations et de nos conventions collectives». Joseph Owona Kono pointe ainsi un doigt accusateur sur Fairtrade (Commerce équitable) et Rainforest Alliance. Les deux systèmes de certification viennent en effet d’imposer «mi-juin, avec des menaces de mise en œuvre extrêmement rapide, à savoir à compter du 1er juillet 2022, l’entrée en vigueur du revenu vital pour les travailleurs du secteur bananier», déplore-t-il.

Fairtrade et Rainforest Alliance
Concrètement, il est désormais exigé des producteurs africains, à l’instar de ceux de Côte d’Ivoire, le paiement «d’un niveau de salaire d’environ 130 000 FCFA comme Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), alors que le Smig officiel est de 60 000 FCFA et que le Salaire minimum agricole (Smag) est de 30 000 FCFA)», fustige le vice-président d’Afruibana, Jean-Marie Kacou-Gervais.

Les deux organisations indiquent en effet avoir à cœur d’améliorer les conditions de vie des travailleurs et des populations forestières. Et les standards imaginés pour concrétiser cette ambition imposent notamment une revalorisation des salaires et «des augmentations allant jusqu’à 15% pour les travailleurs de la banane», fait valoir Fairtrade. De telle sorte que «chaque travailleur des plantations de bananes Fairtrade recevra désormais au moins le salaire de base, même si le salaire minimum légal est inférieur», est-il également indiqué.

Principe
Sur le principe, les représentants des producteurs et exportateurs africains de banane affirment «militer aussi pour un salaire décent pour tous les employés, ce qui est notre crédo». Seulement, «nous sommes confrontés à une décision de Fairtrade et Rainforest Alliance qui tend à imposer un niveau de salaire qui ne semble pas compatible avec nos propres économies et que nous ne sommes pas en mesure de payer», disent les responsables d’Afruibana. Ces derniers formulent plusieurs autres critiques dans la foulée. Les unes s’attèlent à décrier la méthode de fixation de ce niveau de salaire. Les autres insistent sur la cible de ces mesures.

Méthodologie à revoir
Sur le premier aspect relatif à la méthodologie, Afruibana fait savoir que «l’exigence de Fairtrade et de Rainforest Alliance ne semble pas en adéquation avec nos législations et réglementations, notamment en matière de négociation salariale». Le président de l’association précise que «ces niveaux de salaires sont en contravention avec ce qui est fait en la matière, puisque personne n’a été consulté, ni les gouvernements, ni les syndicats et encore moins les producteurs». Pour le Mincommerce, en effet, «la question de la rémunération des employés de la filière banane est légitime. Mais elle ne peut pas être abordée de façon isolée, en faisant fi de tous les autres postes de coûts et de la question des revenus des producteurs». Selon les concernés, «Fairtrade et Rainforest ne prennent par ailleurs pas en compte les services et investissements que nous faisons, à travers la construction des écoles, l’eau potable, l’électricité… Une partie quand-même importante du développement économique et social est impactée».

Disparités
Il existe certes des disparités entre les pays africains. Car «si pour le Ghana la part de Fairtrade est importante, il n’en n’est pas de même pour les deux autres pays qui sont des marchés de niche. Généraliser cette mesure semble dès lors extrêmement compliqué», souligne Joseph Owona Kono. À l’en croire, le Ghana n’éprouve en effet aucune difficulté à appliquer cette mesure «jusqu’à un certain niveau, puisque jusque-là ils le font depuis l’année dernière». Aux dires de George Kporye cependant, «le problème est que même pour eux, ils doivent encore combler un gap de 24%, et cela sera très difficile». Et le vice-président de conclure: «ce n’est pas une question de volonté. Nous ne sommes tout simplement pas en mesure de payer de tels salaires».
En tout état de cause, «les revenus de Fairtrade ne doivent pas pour les autres pays, être comptabilisés dans le salaire. Parce qu’on risque de se retrouver avec deux niveaux de salaires dans la même plantation. C’est-à-dire que la partie Fairtrade qui représente 15% de la plantation sera payée selon le salaire décent et l’autre partie à 35 000 FCFA», prévient encore le président d’Afruibana.

Cible à étendre
S’agissant de la cible du salaire décent, Afruibana regrette aussi que cette mesure ne s’applique qu’aux producteurs. «L’exigence de Fairtrade et Rainfrorest Alliance ne concerne pas l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur», s’insurge George Kporye. Alors qu’il y a «un impératif aussi à ce que la responsabilité soit partagée par l’ensemble de cette chaîne de valeur ajoutée et particulièrement avec la grande distribution qui retient la part du Lion de la valeur finale du produit», indique pour sa part Jean-François Billot. La conséquence d’une telle disposition est «un alourdissement de la charge des producteurs». À en croire d’ailleurs Jean-Marie Kacou-Gervais, «la masse salariale, ne serait-ce qu’au niveau de la filière bananière, risque alors d’impacter de manière négative l’investissement. Qui pourra payer ces salaires? Et si nous ne pouvons pas payer ces salaires, c’est la mort de l’activité». Et le vice-président d’Afruibana de déclarer alors que «nous sommes un peu inquiets parce que cette mesure devrait pouvoir entrer en vigueur ce 1er juillet 2022. Nous souhaitons donc que nos gouvernements soient alertés sur la menace qui pèse et puissent dénoncer que certaines chapelles se réunissent pour faire des injonctions sans tenir compte des conditions sociales dans nos pays».

Théodore Ayissi Ayissi 

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