Au nom de la coopération Cameroun-Nigéria : la Beac sur l’autel du sacrifice du Camercap-Parc
Sortir le Cameroun de la Zone franc apparaît au think tank comme l’une des principales conditions pour accrocher le grenier de l’Afrique centrale au wagon nigérian. La souveraineté monétaire qui en découlerait viderait la Banque centrale de sa substance.
Mettre sur la même balance le renforcement de la coopération Cameroun-Nigéria et l’existence-même de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac). C’est l’exercice périlleux auquel s’est livré le Centre d’analyse et de recherche sur les politiques économiques et sociales du Cameroun (Camercap-Parc) dans sa Note d’orientation économique de juillet 2023. Le risque pour la Banque centrale de la Cemac se trouve en effet au détour d’une question centrale: «Et si le Cameroun s’accrochait davantage au Nigéria»? Les réponses avancées par le think tank en faveur d’une telle évolution sont en la matière sans équivoque. Elles font plus que trahir une préférence pour la souveraineté monétaire du Cameroun, au péril du mandat et des missions de l’institution bancaire sous-régionale.
Souveraineté monétaire: mode d’emploi
La marge de progression de la coopération commerciale entre les deux pays est encore très grande. Elle pose à titre principal la question des moyens monétaires d’échanges (Franc CFA et Naira). Le Camercap-Parc propose pour y faire face une «souveraineté monétaire assumée pour sortir de l’étau de la Zone franc». Plusieurs implications en découlent.
Barnabé Okouda parle dans un premier temps «de l’autonomie de décision du Cameroun en dehors de la Beac. Parce que les options formulées exigent du courage pour assumer une politique monétaire autogérée, flexible et indépendante d’une instance supranationale». À en croire le directeur exécutif du Camercap-Parc, c’est déjà le cas au Nigéria, «contrairement au Cameroun qui est membre de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (Umac)».
La Note d’orientation mentionne dans un deuxième temps la possibilité pour les deux pays «d’établir des accords commerciaux sans recourir aux USD ou à l’euro pour les transactions bilatérales. Quelques dispositions de politiques économiques et monétaires sont envisageables: notamment de considérer l’un et l’autre pays comme un marché intérieur». Dit autrement, «la configuration du nouvel espace économique Cameroun-Nigéria devra faire accepter le Franc CFA et le Naira comme monnaies ayant cours légal sur leurs territoires nationaux respectifs».
Certaines analyses parlent d’une pratique déjà existante dans les zones frontalières des deux pays. Elle devrait simplement être «formalisée et encadrée à l’échelle nationale. D’où l’intérêt d’une Chambre de commerce Cameroun/Nigéria qui servirait de cadre institutionnel pour se pencher sur les modalités et la formalisation de cette idée», est-il expliqué. Quitte à effaroucher la Beac dont le Camercap-Parc anticipe déjà la colère et la contestation. «Il apparaît évident qu’une telle initiative ne ferait pas la joie de la Banque centrale qui verrait ses frontières brisées et ses règlements non respectés». Barnabé Okouda se veut radical dans cette éventualité. Il propose comme solution de «quitter la barque pour rejoindre un rivage meilleur».
Ressorts
La nécessité d’une souveraineté monétaire dans la perspective d’un renforcement de la coopération avec le Nigéria part de plusieurs constats. «L’Afrique centrale demeure la région la moins intégrée et l’une des plus pauvres des CERs. Une union des pauvres ne marche pas ou très peu. Sans prôner un divorce avec la Cemac et la CEEAC, il est impératif pour chaque grand pays d’avoir pour premier partenaire économique son voisin». Qui plus est, souligne la Note d’orientation, la première puissance du continent.
Le Camercap-Parc relève aussi qu’«entre 2010 et 2020, le Cameroun présente une balance commerciale déficitaire. La Valeur de ses importations en provenance du Nigéria représente plus de 11,5 fois celle des exportations vers ce pays». Une légère amélioration est enregistrée sans être satisfaisante. Puisque «malgré une légère hausse en 2019, ce déficit diminue progressivement, passant de 408,14 milliards FCFA en 2015 à 12,91 milliards FCFA en 2020». D’où l’urgence pour le «Cameroun de tirer le meilleur avantage du décollage économique, notamment dans les domaines agricole, industriel et financier, de son voisin», est-il souligné. L’option de la compensation est également sur la table.
Théodore Ayissi Ayissi