Cameroun : « Déclassification des archives coloniales, ces documents sont cruciaux pour déterminer les responsabilités »

Le fonctionnaire camerounais, diplômé de l’école de bibliothéconomie et de sciences de l’information de l’Université de Montréal (Canada) situe sur les enjeux de la déclassification récente des documents secrets sur l’Histoire du Cameroun détenus par la France.

Samuel Owono

 

Quels sont les niveaux de classification des documents ?

La quasi-totalité des Etats du monde retiennent quatre niveaux de classification pour les informations sensibles. Dans l’ordre décroissant, on a l’information dite « très secret », l’information estampillée « secret », celle relevant du « confidentiel » et celle à « diffusion restreinte ». Chacun de ces niveaux accorde une protection proportionnée au risque encouru en cas de divulgation des informations qu’ils couvrent. Cette protection est matérialisée par le marquage des documents et supports.

Et maintenant, c’est quoi la déclassification ?

 Qu’entend-t-on par document « secret » ?

Un document est marqué « secret » seulement quand l’information qu’il contient est d’une grande importance et quand la protection de cette information contre certains acteurs est de première nécessité. Il s’agit d’un document couvert par le secret, et qui bénéficie à ce titre d’une protection supplémentaire par rapport aux délais de communicabilité. En clair, c’est un document dont la divulgation est  de nature à nuirenuire gravement ou très gravement à certains acteurs.

Selon une actualité récente, la France a décidé de déclassifier certains documents sur la lutte d’indépendance au Cameroun. En tant que spécialiste, pouvez-vous vous étendre sur la nature desdits documents ?

Il s’agit notamment d’archives émanant des conseillers diplomatiques et militaires français et également de compte-rendus de conseils restreints de défense de l’époque. Ils sont relatifs, on le présume, à la présence et aux usages politiques de ladite époque. De façon générale, il s’agit de documents, de données ou de fichiers qui ont fait l’objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion depuis l’époque que vous évoquez. On parle de classification. L’activation du dispositif de classification lui-même a été dictée par l’évaluation de la sensibilité de l’information et, implicitement, de l’intérêt qu’elle recouvre pour la France et pour le Cameroun, tout au moins en ce qui concerne la répression de la résistance à la colonisation. Déclassifier, c’est une avancée vers la réécriture de l’Histoire. Il y cependant un bémol à cela. Il s’agit de l’impossibilité de connaître le nombre exact de documents classés secret dans une affaire comme la lutte d’indépendance au Cameroun. Mais ces documents sont cruciaux pour savoir, par exemple, qui a fait quoi pour l’assassinat des Um Nyobe, Ouandié et autres.

Ces documents situent sur ce qui s’est déroulé entre 1950 et 1960 au Cameroun. Pourquoi avoir attendu 2019  pour les déclassifier?

Le délai légal international de communication d’un document couvert par le secret, après déclassification préalable, est de 50 ans, voire de 100 ans si sa communication est de nature à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables. Des dérogations à ces délais sont possibles. Un accès anticipé, toujours après déclassification préalable, peut notamment être autorisé à la suite d’une demande formulée dans le cadre de recherches scientifiques, par exemple historiques. C’est à l’autorité émettrice qu’il revient d’accéder ou non à cette demande.

Pour les documents sur une partie de l’Histoire du Cameroun qui viennent d’être déclassifiés par la France, je pense que le délai légal dont je parlais est atteint. Cependant, la contradiction entre la réglementation sur les documents classifiés et la loi de 1979 en France existe à plusieurs niveaux. Les principes retenus par la loi de 1979 sont l’égalité d’accès de tous, le droit de savoir, car les archives relèvent du patrimoine public, donc commun. Tous les documents deviennent communicables aux termes de délais fixés selon une typologie du secret ou des documents. Ces délais sont donc fixés a priori par la loi ou ses décrets d’application, en tout état de cause par le droit écrit. De manière sous-jacente, y figure l’idée que le temps efface toutes les sensibilités, et, selon le vers de Racine, qu’« il n’est pas de secret que le temps ne révèle », ou ne doive révéler. À l’inverse, la réglementation sur la classification des documents pose le principe de la hiérarchie du secret, c’est-à-dire de la hiérarchie du droit « à en connaître », dans un domaine qui est celui de l’information. La décision de classification d’un document est forcément d’opportunité, et de circonstance, prise par l’émetteur lui-même.

On suppose, de fait, un rapport de linéarité au temps ?

L’idée d’un secret inscrit « dans » le temps existe évidemment, et le rapport linéaire au temps apparaît dans toutes les mesures visant à anticiper l’échéance du délai de communicabilité, mais la classification répond également à des secrets de nature différente. Elle peut, en effet, correspondre à une mesure rendue nécessaire par l’intensité et non par la durée du secret : dans le domaine opérationnel en particulier, un secret (un plan de déplacement de forces par exemple) peut être extrêmement protégé mais pour un laps de temps très court, le secret qu’elle protège « tombant » parfois de lui-même en quelques heures… Or dans ce type de secret, que l’on pourrait qualifier d’« intensif » et non d’« extensif », en l’absence de mesures de déclassification explicites, les conséquences sur la communicabilité, et leur durée, sont identiques à celle d’un secret protégé sur le long terme, quand bien même seul le support de l’information, et non plus sa notoriété, serait désormais protégé.

Il faut ici souligner que l’idée largement répandue dans le public que les documents les plus secrets présenteraient une tendance naturelle à « s’évanouir dans la nature » est totalement fausse, et prouve une méconnaissance profonde des mécanismes de déclassification. Le secret est au contraire garant de la protection des documents. Les règles de rédaction, de suivi et de conservation des documents sont d’autant plus strictes et contrôlées que le niveau de classification s’élève. Le danger est dans la rétention de l’information et la difficulté est d’organiser le passage au statut d’archives historiques.

 par Jean-René Meva’a Amougou

 

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