«Le taux d’endettement du Cameroun est de 43,7%
Selon la dernière Analyse de Viabilité de la Dette (AVD) effectuée par le FMI à la fin décembre 2021 et mise à jour par les autorités nationales dans le cadre de la Loi de Finances 2023, la dette publique du Cameroun est viable, mais présente un risque élevé de surendettement, principalement à cause de la faiblesse des recettes budgétaires et d’exportations.
La structure et les perspectives de la dette de l’État du Cameroun vues par le directeur général de la Caisse autonome d’Amortissement (CAA).

Monsieur le directeur général, la Caisse autonome d’Amortissement a publié une note de conjoncture en juin 2023 qui donne des signaux alarmants sur la dette du Cameroun. Quelle est la situation réelle de la dette publique?
Pour répondre à votre question et peut-être éclairer l’opinion nationale sur la dette du Cameroun, je dois relever d’emblée que la publication des notes de conjoncture est un exercice permanent à la Caisse autonome d’Amortissement (CAA). Cet exercice s’inscrit dans une démarche de transparence et de bonne gouvernance en matière de gestion de la dette publique.
Au terme du 1er semestre 2023, l’encours de la dette du secteur public, sans intégrer l’emprunt obligataire de 176 milliards de FCFA émis en juin-juillet 2023, s’élève à 12 137 milliards de FCFA, soit 43,8% du PIB. Cet encours enregistre une baisse en glissement annuel de 0,4%.
À cette date, cet encours est constitué de: 11 240 milliards de FCFA de dette de l’administration centrale contractée essentiellement pour les projets structurants; 887 milliards de FCFA de dette des entreprises et établissements publics et 10,2 milliards de FCFA de dette des collectivités territoriales décentralisées, soit respectivement 92,6%, 7,3% et 0,1% du stock de la dette du secteur public.
Au vu de ces chiffres et compte tenu du respect constant des engagements de l’État, il semble excessif de parler de signaux alarmants concernant notre endettement.
Notre ratio de solvabilité démontre clairement la maîtrise de l’endettement public au Cameroun et la capacité du pays à honorer ses obligations à moyen et long terme.
L’opinion publique s’interroge souvent sur la pertinence de cet endettement et son rapport avec les projets réalisés. Cette préoccupation est-elle fondée?
Pour votre information, l’encours de la dette du secteur public à fin août 2023, est estimé à 12 008 milliards de FCFA soit environ 43,7% du PIB, en diminution de 0,7% par rapport à fin juin 2023.
Le taux d’endettement du Cameroun qui est de 43,7% du PIB reste en deçà du seuil des critères de convergence communautaire en zone CEMAC, fixé à 70% du PIB. À la vérité, nous disposons d’une marge d’endettement substantielle pour financer d’autres projets et programmes d’investissement porteurs de croissance.
Il sied de rappeler que les emprunts contractés ont principalement financé des projets structurants d’envergure nationale. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer le Port en eau profonde de Kribi avec ses infrastructures connexes, les infrastructures sportives majeures et l’aménagement de plus de 3 000 km de routes nationales et régionales, dont les tronçons Kumba-Mamfe-Bamenda, Sangmelima-Djoum, Ayos-Bonis, Maroua-Bogo, et Batchenga-Ntui- Yoko. Ces projets routiers ne représentent qu’une fraction des nombreuses initiatives entreprises. Sur le plan énergétique, des barrages tels que Memve’ele, Mekin et prochainement Nachtigal ont été mis en service pour augmenter l’offre en électricité. Par ailleurs, d’importantes améliorations ont été apportées aux infrastructures de télécommunications, favorisant ainsi une meilleure connectivité via internet et la téléphonie mobile. Des hôpitaux modernes ont été construits dans différentes régions du pays et des efforts significatifs ont été déployés pour augmenter l’accès à l’eau potable dans de nombreuses localités. Il convient également de noter que des fonds empruntés ont été alloués à des projets de reconstruction dans des zones fragiles, notamment via les plans présidentiels pour la reconstruction des régions du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et de l’Extrême-Nord.
La hausse de l’endettement public au Cameroun ces dernières années est le reflet des ambitions de développement des infrastructures du pays. Plusieurs mesures sont constamment prises pour optimiser l’utilisation des ressources issues de l’endettement. Dans ce sens, un accent particulier est mis sur la sélection des projets, leur maturation, ainsi que la rationalisation de leur financement, afin d’en maximiser les retombées socioéconomiques et de garantir la viabilité de la dette et la soutenabilité des finances publiques.
Il est vrai que tout n’est pas parfait, mais il importe de relever les efforts entrepris par le Gouvernement pour s’assurer de la bonne exécution des projets et programmes. À l’observation, plusieurs instances de contrôle collaborent étroitement pour garantir leur bonne réalisation.
La dette du Cameroun peut-elle être considérée comme viable?
Selon la dernière Analyse de Viabilité de la Dette (AVD) effectuée par le FMI à la fin décembre 2021 et mise à jour par les autorités nationales dans le cadre de la Loi de Finances 2023, la dette publique du Cameroun est viable, mais présente un risque élevé de surendettement, principalement à cause de la faiblesse des recettes budgétaires et d’exportations.
Toutefois, afin de conserver cette viabilité et réduire progressivement le risque de surendettement, le Gouvernement a initié des réformes pour renforcer les politiques économiques, budgétaires et fiscales, améliorer la compétitivité extérieure du Cameroun et soutenir l’implémentation de la politique d’import-substitution. À cet effet, plusieurs mesures ont déjà été prises par le Gouvernement afin de stimuler les exportations. De plus, les importations de certains produits alimentaires (riz, poissons, etc.), qui constituent un facteur important de sortie des devises, sont désormais mieux régulées.
La valorisation des exportations constitue un autre levier important qui a été actionné afin de promouvoir la transformation locale des produits, notamment la mise en service des usines de transformation locale du cacao, la restructuration de la CICAM avec pour objectif, l’accroissement de sa capacité d’absorption du coton produit par la SODECOTON, ainsi que la mise en œuvre graduelle de la mesure d’interdiction des exportations de bois en grume.
Plusieurs actions ont aussi été menées au niveau sous-régional, pour promouvoir et faciliter le commerce entre les pays de la CEMAC, de la CEEAC et du Nigéria.
Il importe également de relever que la politique d’endettement public menée par le Gouvernement est alignée sur la Stratégie Nationale de Développement pour la période 2020-2030 (SND30), qui vise à concrétiser la Vision du Chef de l’État, Son Excellence Paul BIYA, de faire du Cameroun un pays émergent à l’horizon 2035.
De même, la Stratégie d’Endettement à Moyen Terme annexée chaque année à la Loi de Finances contribue à financer le programme de développement du Gouvernement, tout en veillant au maintien de la dette publique sur une trajectoire viable.
Que pensez-vous des récentes évaluations financières du Cameroun par les agences de notation financière?
La notation financière effectuée par les agences offre une opinion indépendante sur la solvabilité d’un débiteur, c’est-à-dire sa capacité et sa volonté d’honorer ses obligations financières à court et moyen termes. Chaque agence possède ses propres critères d’évaluation, qui peuvent varier d’une agence à une autre. En ce qui concerne les notations souveraines, elles représentent une évaluation permanente des économies, offrant une vision claire des indicateurs d’un pays à un moment précis, dans un contexte donné. Les investisseurs et les États s’en servent souvent comme référence pour corriger les écarts éventuels relevés.
Pour le Cameroun, les agences de notation Moody’s et Standard & Poors ont dégradé la note du pays de deux paliers. Moody’s a réduit la note du Cameroun de b2 à CAA1, indiquant un risque accru pour les obligations émises par le pays. De son côté, Standard & Poors, après avoir initialement déclaré un défaut sélectif pour le Cameroun, l’a réévalué à CCC+/C. Cela signifie que les obligations camerounaises sont considérées comme vulnérables. Le pays est alors perçu comme présentant un risque élevé de non-remboursement sur les marchés internationaux.
Sur le plan opérationnel, le Cameroun a accusé un léger retard dans le remboursement de certaines échéances auprès d’une banque commerciale. Ces retards, d’environ dix jours en moyenne, résultent des problèmes techniques et ne sauraient être considérés de notre point de vue comme des défauts de paiement. Cependant, il faut souligner que Fitch, une autre agence de notation avec laquelle les autorités échangent régulièrement, n’a pas été aussi pessimiste que les deux premières.
À ce jour, le Cameroun ne compte aucun arriéré de paiement de dette extérieure. De plus, diverses mesures ont été instruites par le Président de la République pour assurer le paiement régulier des échéances de la dette. Malgré cette notation, les acteurs financiers, tant au niveau national qu’international, continuent de faire confiance au Cameroun. Ceci est illustré par les prêts en cours de négociation et ceux déjà autorisés par décret présidentiel, se chiffrant à ce jour à plus de 5 000 milliards de FCFA.
En clair, l’impact de la récente notation des agences suscitées pourrait être relativisé. Le pays continue à faire preuve de résilience en honorant tous ses engagements, tout en travaillant à améliorer sa perception auprès de la communauté financière internationale.
Quelle est l’incidence de ce classement sur la crédibilité et la signature du Cameroun?
Bien qu’une dégradation de la notation souveraine entraîne généralement une hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics, je ne parlerais pas d’incidence face à une situation qui a très vite été rattrapée par le Gouvernement.
Le Gouvernement se veut rassurant, fort de l’état actuel de la trésorerie et du satisfecit maintes fois réitéré de nos partenaires financiers multilatéraux à l’issue de leurs revues conjointes au Cameroun. Les grandes réformes sectorielles entreprises ont permis au Trésor Public de garantir la soutenabilité de la dette et la crédibilité de la signature du Cameroun tant au niveau national qu’international. J’en veux pour preuve, la réussite du récent emprunt obligataire de portée sous régionale d’un montant de 176 milliards de FCFA au-delà des 150 milliards de FCFA initialement recherchés.
Pour conclure, je tiens à souligner que les économies mondiales sont confrontées à de réels défis et le Cameroun n’échappe pas à cette réalité. La Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique a identifié parmi ces défis l’augmentation préoccupante de la dette publique. Cette situation est aggravée par des recettes fiscales insuffisantes, des taux d’intérêt élevés et les tensions persistantes entre les grandes puissances mondiales. Dans ce contexte, il est essentiel que toutes les entités publiques et parapubliques, ayant le pouvoir d’engager financièrement l’État renforcent une discipline budgétaire rigoureuse et une orthodoxie financière stricte. Des efforts significatifs sont déployés par le Gouvernement pour assurer la stabilité macroéconomique, mais il convient de relever qu’il reste beaucoup à faire pour permettre au Cameroun de demeurer sur la voie de l’émergence.
Qu’en est-il de la restructuration de la dette publique du Cameroun? Il semble que l’État du Cameroun a reçu de nombreuses propositions dans ce sens.
En ce qui concerne la restructuration de la dette publique du Cameroun, il est essentiel de reconnaître que la dette du pays est actuellement gérée de manière à la maintenir à un niveau viable. Toutefois, il est important de noter que des défis subsistent, notamment le risque de surendettement et les pics de remboursement de dette prévus dans un avenir proche entre 2023-2027.
Pour préserver la soutenabilité de la dette et minimiser les risques, il pourrait être envisagé de manière préventive la possibilité d’une restructuration de la dette ou de son reprofilage. Il est donc tout à fait pertinent que des propositions en ce sens aient été présentées par des banques et cabinets-conseils de renommées internationales.
La restructuration de la dette est un processus complexe qui nécessite des négociations avec diverses parties prenantes, notamment les détenteurs d’obligations souveraines et les institutions financières internationales. À titre d’exemple, en 2020, pendant la crise sanitaire de la COVID19, les pays du G20 ont accordé au Cameroun un moratoire sur le service de la dette d’environ 290 milliards de FCFA, à l’effet de permettre aux autorités de réorienter les ressources budgétaires aux activités de riposte contre la pandémie. Cette dette a été rééchelonnée sur 6 ans, entre 2022 et 2027 et est régulièrement payée par la CAA.
Plus loin, en 2021, le Cameroun a entrepris une opération de gestion de passif sur les marchés financiers internationaux, qui ont permis de racheter plus de 70% du notionnel de l’Eurobond émis en 2015, à travers l’émission d’un nouvel eurobond, à un coût largement inférieur. Cette émission a permis à la fois de maîtriser le risque de refinancement sur la période 2023 -2025, en repoussant les maturités de 11 années, d’une part, et de baisser le coût global du portefeuille de la dette, d’autre part.
Les mécanismes de restructuration peuvent inclure une prolongation des échéances de remboursement, une réduction des taux d’intérêt, un rachat de dette ou même la réduction du montant total de la dette. L’objectif principal est de rendre la situation financière plus soutenable et d’alléger par conséquent la charge de la dette.
Actuellement, sous l’impulsion du ministre des Finances, le Gouvernement est en discussion avec des partenaires pour le refinancement d’une certaine catégorie de dettes intérieures de l’ordre de FCFA 200 milliards.
Aussi, le Cameroun évalue également la proposition des pays membres du G20 aux pays en difficultés structurelles à travers le mécanisme intitulé Cadre Commun qui offre la possibilité d’annuler la dette détenue par ces pays sous certaines conditions. Cette facilité peut apporter une bouffée d’oxygène à court terme en reportant les échéances de dette, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est susceptible d’engendrer d’énormes répercussions négatives, sur les plans économique et financier, de façon à compromettre la mobilisation des nouveaux financements.
À date, certains pays ayant des situations d’insolvabilité avérée ont sollicité cette initiative, tels que la Zambie, l’Éthiopie ou le Ghana. Le Cameroun ne se retrouve pas dans cette situation, sa dette reste viable même s’il existe des risques de surendettement.
C’est dans cette optique que toutes les propositions de restructuration ou de reprofilage sont prises au sérieux et examinées avec toute la prudence nécessaire.
En tout état de cause, toute décision en matière de restructuration de la dette doit être prise dans le but de préserver la stabilité financière du pays et de garantir la capacité du Gouvernement à financer les projets de développement en droite ligne avec la SND30.
Le Cameroun adopte une approche responsable et prudente en matière de gestion de la dette, en veillant à ce que les réformes et les actions entreprises soient alignées sur les objectifs de développement à long terme du pays.
Il est également important de souligner que la situation économique et financière est en constante évolution et le Gouvernement ajustera ses stratégies en fonction des développements futurs. L’objectif ultime demeure de maintenir la stabilité économique, de garantir la soutenabilité de la dette publique et de promouvoir la croissance durable au Cameroun.
Source: Caisse Autonome d’Amortissement (CAA)